Samir a pu dormir dans un foyer d’hébergement d’urgence grâce au dispositif spécial mis en place durant le confinement.
Samir, 41 ans, a longtemps travaillé comme ouvrier polyvalent en intérim. Après s’être retrouvé plusieurs fois à la rue, il avait trouvé un travail dans une auberge de jeunesse en 2018. Reprochant à son patron de profiter de sa situation, en le forçant à travailler pendant ses congés et en heures supplémentaires non-payées, il avait fini par perdre cet emploi. Alors sans-emploi et logé chez sa petite amie, il a fini par retourner à la rue en décembre 2019 après avoir porté plainte contre elle pour des violences.
« Cet hiver, quand j’appelais le 115 pour un foyer d’hébergement d’urgence, on avait seulement le droit à une nuit tous les quatre jours. Les trois autres jours, on n’avait droit à rien. Plusieurs fois, je suis allé au foyer et il restait des places, mais comme ça faisait moins de quatre jours, on me refusait.
Honnêtement, j’avais nulle part où dormir, en plein hiver. Donc je me suis mis à mentir sur mon nom, pour pouvoir dormir plus souvent. Ils s’en sont aperçus et ils m’ont puni : pendant un mois, je n’avais plus le droit de dormir au foyer du tout.
« J’ai pris quatre amendes de la police »
Le jour où le confinement a commencé, ils ont gardé dans le foyer les gens qui avaient dormi dedans et ils n’acceptaient plus du tout les autres. Même pas un jour sur quatre ; même si on avait passé une semaine entière à la rue ! Pendant trois semaines, j’ai harcelé le 115 : ils nous disaient qu’il n’y avait rien du tout.
Pendant ces trois semaines, j’ai pris quatre amendes de la police. Parce que je n’avais pas à être dehors pendant le confinement. Je leur ai dit que j’étais SDF, je leur ai fait voir un papier du foyer où j’avais été avant le confinement qui le prouvait.
Début avril, on m’a appelé pour me dire qu’il y avait de la place dans le centre EPIDE, une structure d’hébergement d’urgence à Meyzieu. Je suis arrivé le 2 avril. On m’a expliqué les règles.
Hébergement à Lyon : les leçons de la Covid-19 permettront-elles de mettre fin à la crise ?
« Dans ce foyer, on avait le droit de sortir qu’une fois par semaine »
J’étais outré par ces règles : dans ce foyer, on avait le droit de sortir qu’une fois par semaine. Et pendant deux ou trois heures, pas plus. Il fallait leur dire où vous allez, l’heure de départ et l’heure de retour. Sinon, si vous ne respectiez pas ces règles, vous aviez un avertissement. Et au bout de trois fois, vous êtes dehors. Si vous reveniez en retard, vous aviez un avertissement. Alors que c’est à Meyzieu, dans la zone industrielle… il y a un seul bus par heure là-bas !
Dans la structure, il n’y a pas d’activité, pas de télé, rien du tout. Vous êtes dans une chambre. Vous faites quoi toute la journée ? Les repas sont servis, certes. Le midi, le soir. Mais c’est infecte. C’est des barquettes en plastique qui sont réchauffées. Des fois on a eu des barquettes périmées.
« Avec 40,5 de fièvre, on a refusé de m’hospitaliser »
À partir du 12 avril, je suis tombé malade. Ils ont refuser de me donner des dolipranes. Au bout de deux jours, ils m’ont pris la température : j’avais 40,5 degrés ! Ils m’ont mis dans une chambre, tout seul. De là, j’ai appelé le 15. Le 15 m’a dit qu’il fallait demander à la structure pour appeler un médecin. Je leur ai demandé, ils m’ont dit non, qu’il fallait que je reste en confinement pendant trois jours. Pas de doliprane, rien du tout. À 40,5, il faut faire venir un médecin, ou au moins m’emmener à l’hôpital. J’étais vraiment pas bien, je n’arrivais même plus à manger !
Ma température est retombée après trois jours, mais je toussais. On m’a emmené voir un médecin. Le médecin a dit que ça venait de mon hernie hiatale, car j’ai un problème d’estomac. Comme ça continuait, je suis allé voir un autre médecin, qui a aussi dit que c’était mon estomac et qui m’a seulement doublé le traitement. Mais ça continuait. Toute la durée du confinement, je vomissais. Je ne dormais pas. Je toussais, je crachais.
Le 11 mai devait être la fin de la structure, mais ils ont prolongé jusqu’au 20 mai. Ils se sont foutus de nous complètement. Ils ne donnaient aucune information. Au début, ça devait être le 30 avril, puis ils ont dit le 5 mai. Ensuite ils ont dit le 11 mai, ensuite le 20 mai. Comment peut-on prévenir des personnes la veille de si elles retournent à la rue ou pas ? On n’était au courant de rien : pas de télé, pas au courant des infos, rien du tout !
« J’ai dû laver mes draps dans la douche car ce n’était pas possible de les changer »
Comme le centre allait fermer le 20 mai, on m’a emmené le 18 à l’Étape Hôtel à Bron. Mon état de santé était toujours très mauvais. On nous a mis dans l’hôtel, on nous a donné 35 euros de tickets service et on nous dit de nous démerder avec ça pendant un mois.
Il n’y a pas de plaques chauffantes, pas de cuisinière, pas de four. Il n’y a rien, à part un micro-onde et un petit frigo. Comment on se nourrit ? Comment on lave ses affaires ? Il y a déjà 15 euros qui partent en produits d’hygiène.
Il vous reste 20 euros pour manger. On m’a dit d’aller aux Resto du cœur, mais ils donnent des conserves, je ne peux pas les cuisiner à l’hôtel ! Je n’ai aucun revenu, ça fait deux mois ! Rien du tout. Parce que la CAF veut une feuille de Pôle Emploi qui dit bien que je suis en fin de droits. Or Pôle Emploi ne recevait pas les gens durant le confinement et ensuite je n’ai pas pu y aller comme j’étais malade.
Il n’y avait pas de ménage fait dans la chambre. Rien du tout. J’ai demandé une serviette, on me l’a refusé. J’ai demandé un balai et une serpillière, on m’a dit non. Une fois, j’arrêtais pas de tousser et d’un coup, j’ai vomi. Ils m’ont dit que ce n’était pas possible de changer mes draps. J’ai du laver mes draps dans la salle de bain, dans la douche. Comment on peut accepter de laisser quelqu’un avec du vomi sur son lit ? Le lit sentait le vomi. Je ne pouvais pas laver le matelas, il ne rentrait pas dans la douche.
« J’ai été hospitalisé pour une tuberculose pulmonaire »
Je continuais de tousser. J’en pouvais plus. J’ai fini par appeler une ambulance. Elle est venue. La réception de l’hôtel a refusé d’ouvrir le portail. J’étais pas bien du tout, mais je me suis retrouvé à devoir escalader le portail pour pouvoir sortir de l’hôtel. Parce que le code du portail ne marche pas après 22 heures.
À partir de là, je suis rentré à l’hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc. C’était le 28 mai. J’ai été hospitalisé pendant deux semaines, pour une tuberculose pulmonaire. Là-bas, ils sont trop gentils. Malgré tout ce qui leur arrive, le personnel est toujours bienveillant, toujours là avec le sourire. Après tout ce que j’ai vécu, ça fait du bien.
Après mon hospitalisation, un taxi m’a emmené dans un hôtel Formule 1 à Massieux, dans l’Ain. Ça se passe très bien, il y a quelqu’un à l’accueil qui est là. L’infirmière est très bien, parce que j’ai des injections au niveau du poumon à faire deux fois par jour. À Lyon, je me suis arrangé avec une pharmacie pour mes médicaments, parce que je n’ai plus de papiers. Plus de carte d’identité, plus de carte de Sécu… la mère de mon ex, chez qui j’avais laissé mes affaires, a tout jeté.
« Je ne peux pas retourner à la rue avec mon état de santé »
Je devrai souvent faire l’aller-retour à Lyon. Pour mes examens à l’hôpital, pour mes médicaments à la pharmacie, pour aller Pôle Emploi, pour voir mon assistante sociale. Pas le choix. Mais l’hôtel est dans l’Ain. On ne nous donne pas d’argent pour le transport. Je ne peux pas prendre le bus. On me dit que je peux faire le trajet à pied, mais j’ai regardé sur la carte il y en a pour une heure et demie. Et je ne peux pas faire d’efforts, à cause de ma santé. Je ne sais pas comment faire. Et même une fois à Lyon, je n’ai pas de quoi payer le ticket TCL. Je dois marcher, marcher, marcher.
On nous dit qu’on reste à l’hôtel jusqu’au 30 juin. On m’a dit que ça allait peut-être être repoussé jusqu’au 11 juillet. Mais j’ai aucune preuve de ça. On ne nous met au courant de rien du tout. Je sais pas. Je suis perdu. Et après, il se passe quoi ? On va dormir en foyer une fois tous les quatre jours ?
Le problème, c’est que je ne peux pas retourner à la rue avec mon état de santé comme ça. J’ai un abcès pulmonaire qui n’est pas fini. J’ai un traitement à prendre. J’ai deux injections à faire, une le matin et une l’après-midi ; après chaque injection, il faut deux heures de repos. Je dois être alité pendant deux heures. J’ai aussi trois litres d’oxygène à prendre deux fois par jour. Comment je fais ? Des fois, j’espère avoir encore un truc au poumon pour repartir à l’hôpital. »
Chargement des commentaires…