“L’hôpital c’est capital, ça ne doit pas être géré par le capital !” ou “N’oubliez pas, quand le gouvernement dit ‘tout va bien’, courez !”
Ce sont les slogans que l’on a pu entendre ce mardi 26 mai à la mi-journée devant l’hôpital d’Edouard Herriot (HEH) à Lyon. En ce début d’après-midi ensoleillé, plusieurs manifestants se sont rassemblés devant l’enceinte de l’établissement. Parmi, eux, des personnes vêtues de gilets jaunes, des membres de divers syndicats avec autocollants à la veste, et des agents hospitaliers en tenue de travail ou civiles.
Si, pour certains, ce rassemblement et ceux qui s’en suivent ne sont que symboliques, pour d’autres c’est un moyen d’obtenir une audience afin d’exprimer les revendications du personnel soignant.
Chantal est infirmière à HEH et pour elle, manifester reste le seul moyen de se faire entendre du gouvernement.
“La crise que l’on vit à cause du Covid-19 est la preuve que les revendications des professionnelles de la santé sont fondées et qu’elles doivent être enfin entendues et comprises du gouvernement. Il est temps d’agir enfin”.
Lors de ce premier rassemblement estampillé « mardis de la colère », des personnels autres que soignants ont aussi voulu marquer le coup, comme Brigitte se décrivant comme « gilet jaune » et Jacques, syndiqué CGT. Tous deux habitent la commune de Villeurbanne :
“Nous, on n’est pas soignant, mais on bénéficie du service de santé public. C’est pour cette raison et parce que nous sommes militants que nous venons soutenir nos agents hospitaliers. Ils travaillent dans des conditions qui ne sont pas dignes du service qu’ils nous rendent”.
« L’absence de protection a provoqué chez moi de l’inquiétude »
Les soignants ont largement été sollicités pendant cette période de confinement, mais les professionnels tiennent à rappeler que « la crise sanitaire n’est pas finie ». Leur travail ne s’est pas arrêté le 11 mai 2020. Tous travaillent encore pour soigner les patients “Covid”. Et ce, malgré une « fatigue pesante due aux conditions de travail ».
Olivier travaille dans un des services d’imageries de l’hôpital. Ces services ont travaillé en continu depuis le début de la crise. Ils ont eux aussi été largement impactés par le Covid-19.
“Le moyen le plus efficace et le plus rapide pour détecter si le patient a contracté le Covid-19 c’est l’imagerie, parce qu’on peut voir s’il y a une pneumonie au scanner. Pendant le pic de l’épidémie, tous les jours et tout le temps, il y avait des patients qui faisaient des radios pour vérifier s’ils étaient atteints du Covid et, si oui, comment la maladie évoluait. L’absence de protection a provoqué chez moi de l’inquiétude. »
Se présentant comme « papa », Olivier parle d’une situation d’autant plus difficile qu’il a craint pour la santé de ses enfants et de ses proches.
« J’avais peur d’être contaminé et de contaminer ma famille. Je n’étais pas totalement serein quand je rentrais chez moi, quand je passais du temps avec mes enfants. Enfin, je trouve dommage que malgré le fait que tout le personnel travaille dans les mêmes conditions, on fasse une distinction entre les soignants et le personnel hospitalier.
Il n’y a pas que les soignants qui sont confrontés aux risques et qui travaillent pour la guérison des patients.”
Un numéro d’aide psychologique a été transmis par mail aux équipes d’HEH mais pour Olivier comme pour certains collègues qui s’étaient rassemblés ce mardi 26 mai, la solution reste de fournir aux professionnels des équipements qui correspondent aux risques de leurs métiers.
« Si on est protégé, on a moins de raisons de s’inquiéter pour notre santé et celle de notre famille ».
A l’hôpital psychiatrique du Vinatier, une cellule psychologique a été mise en place mais selon plusieurs voix, il s’agit quasiment d’ »un sujet tabou dans le milieu médical ».
Chantal, quant à elle, est infirmière dans un service de pathologie virales aérosoles d’HEH. Depuis deux ans, cette professionnelle est membre de la CGT. Elle déplore, elle aussi le manque de matériel.
“Avant, on n’avait pas de soucis de matériel mais avec la crise on s’est rendu compte qu’on n’avait pas de stock. C’est à ce moment là que nos conditions de travail se sont davantage dégradées. On a du s’adapter au manque de masques et d’équipements de protection. Avec la crise du Covid-19, on nous a changé notre protocole de soin ».
Chantal est en colère. L’infirmière ne comprend pas ce manque de moyen de protection. Derrière son masque fait main en tissu rouge et noir, elle se dit « épuisée moralement et nerveusement par la situation ».
Le manque de moyens leur a imposé d’effectuer « un autre travail que celui d’infirmier ». Et même si elle explique ne pas être de nature à s’inquiéter, pour la première fois, Chantal s’est posée des questions sur sa santé et celle de son entourage. Elle a d’ailleurs interdit à tous ses proches et ses voisins de l’approcher de près ou de loin pendant toute la période du confinement. Elle a fait le choix drastique de ne surtout pas sortir sur son temps de repos même pour faire des courses alimentaires.
Pour cette professionnelle diplômée depuis 1993, son travail n’a plus été le même :
« Dans mon service, quand on soignait les patients avant la crise, on avait un équipement à usage unique. On le jetait entièrement en sortant de la chambre. Avec le Covid-19 on manque de masque et on se retrouve avec des équipements à usages pluriels. C’est complètement différent ».
Une solidarité entre les soignants
Lors de cette manifestation, des personnels hospitaliers de différents services et hôpitaux se sont retrouvés. Beaucoup d’entre eux sont d’accord pour dire que la solidarité dans leur corps de métier a été d’autant plus forte que la crise les a frappés sans prévenir.
Deux professionnelles de la santé qui travaillent au Vinatier sont venues soutenir leurs collègues pour défendre les revendications des soignants. Elles expliquent comment elles ont ressenties cette solidarité durant la crise épidémique.
“D’habitude, nous sommes déjà très solidaires. Mais pendant ces semaines, la solidarité entre collègues s’est d’autant plus faite ressentir. C’était vraiment agréable. Peu importe l’hôpital où on travaille, on travaille tous dans les mêmes conditions avec les mêmes difficultés.”
Olivier du service imagerie d’HEH ajoute quant à lui :
“On se prête le matériel, on est solidaire, on échange. Ça fait du bien”.
« On nous a livré des repas, on a reçu des dons, on nous a applaudis… »
Raja Hachemi est aide soignante à HEH mais elle est aussi représentante du personnel et membre de la CGT. Son implication syndicale a occupé la majeure partie de son temps pendant la période de haute épidémie.
“D’habitude, on travaille à flux tendu. Là c’était pire ! Pendant le pic de l’épidémie, en tant que représentante du personnel, j’ai été très sollicitée. On a déposé trois déclarations de Danger à Grande Imminence à cause du manque de matériel et on a eu un Comité d’Hygiène et de Sécurité des Conditions de Travail extraordinaire. L’adaptation des professionnels se faisait au fur et à mesure. Pour ma part je me suis sentie totalement impuissante”.
De cette situation si singulière, les soignants retiennent tout de même le soutien que certains parti ont pu leur apporter. Des repas distribués aux dons d’importantes sommes d’argent en passant par les applaudissements, des professionnels affirment aussi eu chaud au coeur grâce aux différentes marques de solidarité émanant de l’extérieure. Raja Hachemi s’est vue touchée de cette solidarité.
“On nous a livré des repas, on a recu des dons, on nous a applaudis… C’était très plaisant et agréable car pour une fois nous avons ressenti une reconnaissance de la part des français envers notre travail”.
Pour autant, ce plaisir n’était pas partagé par tous. Chantal ne souhaitait pas recevoir de remerciements. Cette dernière ne se montrait pas aux applaudissements de 20 heures et évitait d’être vue de ses voisins durant la période de confinement.
“Je me cachais de mes voisins quand j’allais au travail. J’avais honte. J’avais honte parce que je trouvais que cette reconnaissance n’avait pas lieu d’être. Aussi, je me doutais qu’une fois le confinement terminé notre travail serait en quelque sorte oublié. Dans ma rue on a ouvert un compte whatsapp. Je m’entends bien avec tous mes voisins mais par exemple, aujourd’hui lorsque j’ai annoncé le rassemblement des « mardis de la colère » sur la conversation en ligne, je n’ai pas eu un mot de soutien !
J’ai l’impression que la reconnaissance de mes voisins était présente et sincère pendant le confinement mais depuis le 11 mai, c’est comme si notre travail avait été oublié ».
Pour autant, tous les manifestants rencontrés se rejoignent sur la nécessité d’alerter sur des conditions de travail qui restent dangereuses pour leur santé physique et mentale. Aucun de ceux réunis ce mardi 26 mai devant l’hôpital HEH ne s’est dit satisfait des mesures prises par le gouvernement pour le service de santé public, ni même heureux à l’idée de recevoir une médaille de remerciements de la part du président de la République. Voire en colère vis-à-vis de cette initiative jugée « gadget » et dérisoire.
« J’ai discuté avec d’autres de mes collègues et pour nous, cette médaille, c’est du mépris. On veut plus de moyens », insiste Raja Hachemi.
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