L’Ecole urbaine de Lyon propose une série de conférences intitulées « Les Mercredis de l’anthropocène », qui étaient données avant le confinement aux Halles du Faubourg (Lyon 7è). Rue89Lyon en est partenaire et publie à ce titre les tribunes des invité.e.s et intervenant.e.s qui poursuivent les échanges à distance. La séance de cette semaine porte sur le système alimentaire industriel.
En raison des mesures sanitaires liées au coronavirus, elle n’a pas lieu aux Halles du Faubourg mais est disponible en podcast.
Pour en parler, l’Ecole urbaine de Lyon reçoit Aurore Dupont, chef de projet « Alimentation et agriculture » du grand Angoulème. Elle dialogue avec Felix Lallemand, fondateur des Greniers d’Abondance, docteur en écologie et évolution, actuellement en post doctorat au Centre d’Ecologie des Sciences de la Conservation (Museum d’Histoire Naturelle).
L’association Les Greniers d’Abondance a publié un article visant à détailler l’impact de la pandémie du Covid-19 sur nos systèmes alimentaires.
L’article intégral se propose d’expliquer les mécanismes à l’origine des crises multiples que la pandémie de Covid-19 a initié ou simplement catalysé à court et plus long terme. À la crise sanitaire actuelle succède déjà une crise économique de grande ampleur qui touche le système alimentaire industrialisé et est sur le point d’affecter en profondeur la sécurité alimentaire mondiale sur le long terme.
L’article a été rédigé par Félix Lallemand et Arthur Grimonpont (Les Greniers d’Abondance), et a bénéficié des contributions et de la relecture de Benjamin Cuillier, Lan Anh Vu Hong, Arnaud Vens, Cécilia Thibault et Héloïse Grimonpont (Les Greniers d’Abondance), Simon Bridonneau (Triticum), et Anton Deums (Auréso).
Nous vous proposons un résumé de cet article écrit par Inès Joffet (Les Greniers d’Abondance). L’article originel a été publié sur le site Medium.
Le système alimentaire mis à l’épreuve
C’est tout le système alimentaire qui est touché par l’arrêt brutal de l’économie nationale. Tous les maillons de la chaîne doivent faire face à des difficultés d’approvisionnement, de débouchés, et de manque de main-d’œuvre.
Des tensions sont apparues tout de suite dans le secteur de l’agrofourniture, tantôt en rupture de stock (razzia sur les semences), tantôt contraint de jeter des marchandises sans débouchés (plants), et dans celui de l’agriculture.
La fermeture des frontières entraîne une chute de la main d’œuvre saisonnière. Un appel à se mobiliser dans les champs a été lancé par la plateforme Des bras pour ton assiette.
Certains agriculteurs commencent à manquer de débouchés pour leurs productions (lait, fruits et légumes). Ils se retrouvent en surproduction par rapport à une demande en baisse : leurs clients de la restauration hors domicile ont suspendu leur activité ou les consommateurs privilégient des produits secs.
Dans les usines, la main-d’œuvre manque également alors que la demande des ménages pour certains produits transformés a augmenté avec l’entrée en confinement (farine, pâtes).
On note en effet un changement de comportement des consommateurs qui se tournent davantage vers des produits de longue conservation pour faire des stocks et achètent plus par à-coups. Les chaînes logistiques (transports, emballages), clé de voûte du système alimentaire, sont bouleversées elles aussi. Des denrées viennent régulièrement à manquer dans les rayons des grandes surfaces.
Le risque d’insécurité alimentaire s’accroît pour les foyers les plus pauvres mais on voit se multiplier les démarches de solidarité. La vente directe est revalorisée, même si côté grande distribution, la livraison et le drive sont en vogue.
La crise met en évidence certaines vulnérabilités de notre système alimentaire : son fonctionnement en flux tendu, sa dépendance à la main d’œuvre étrangère et la fragilité économique de certains acteurs. De ce fait, le problème de l’insécurité alimentaire pourrait s’accroître à moyen terme…
Le plus dur reste à venir
La crise sanitaire pourrait se muer en crise économique de grande ampleur. Les exploitations agricoles déjà fragiles pourraient faire faillite et la précarité alimentaire risque d’augmenter fortement.
Les marchés alimentaires mondiaux vont vraisemblablement se gripper : baisse des capacités de production (dépendance aux imports et à la main-d’œuvre étrangère), problèmes de logistique des chaînes d’approvisionnement, fluctuation des prix sur les marchés internationaux.
Les consommateurs vont perdre en pouvoir d’achat. Beaucoup voient leurs conditions de revenus menacées par la fermeture partielle ou totale de leur entreprise (8 personnes sur 10 dans le monde), ou par des décisions éventuelles de réduction des salaires voire de licenciements. Ceci risque d’entraîner une explosion de la précarité alimentaire, d’autant plus forte pour les travailleurs informels (comme c’est le cas en Inde).
Les pays occidentaux se mettent en mouvement pour garantir un minimum alimentaire à chacun. Des chercheurs britanniques proposent un programme de rationnement tenant compte des besoins nutritionnels de chacun. Aux Etats-Unis, les banques alimentaires travaillent d’arrache-pied et sont déjà submergées à tel point qu’elles ne peuvent pas servir toutes les personnes qui soudainement nécessitent une aide alimentaire.
Les agriculteurs sont eux aussi en danger face au choc économique. Les exploitations les plus fragiles risquent de faire faillite, venant accélérer le déclin de la population agricole. Beaucoup sont étroitement intégrées dans un système alimentaire complexe et dépendent de la fourniture d’intrants et d’équipement en amont et des industries agro-alimentaires et de la grande distribution en aval. Ces grandes firmes de l’agro-industrie bénéficient d’un important pouvoir de négociation par rapport à la construction des prix. Les agriculteurs ne récupèrent, en valeur, que 6,5% des achats alimentaires des Français.
L’arbre qui cache la forêt
Cette crise inédite ne doit pas nous faire oublier les autres menaces qui pèsent sur notre capacité à nous nourrir. Les conditions nécessaires au fonctionnement du système agro-industriel sont en effet compromises. Il est urgent de transformer notre système alimentaire pour en renforcer la résilience face à ces perturbations.
L’offre en pétrole va se contracter au cours des 5 ans à venir. La demande a baissé avec l’entrée en confinement, les prix ont chuté, et les investissements pour l’exploitation de nouveaux gisements ont dû être suspendus. Combiné au déclin géologique de la majorité des puits actuellement en production, cela entraînera un manque de pétrole, un ralentissement des nombreuses activités qui en dépendent et donc de graves difficultés économiques. L’agriculture et l’ensemble du système alimentaire, dépendent des énergies fossiles et ne sont pas préparés à un tel sevrage.
Le confinement n’a pas changé le cours des prévisions climatiques. Malgré ses effets positifs (diminution des émissions de gaz à effet de serre, de la pollution, de la consommation énergétique, réapparition de la biodiversité dans certains lieux), cet infléchissement ponctuel n’a presque aucune incidence sur les crises écologiques globales, qui résultent de plusieurs décennies de développement incompatible avec les limites planétaires.
Nous devrons faire face à l’augmentation prévue des températures et des événements climatiques extrêmes. L’agriculture est particulièrement vulnérable face aux risques de sécheresses, d’inondations, ou face à la migration des pathogènes et des ravageurs.
Le lien entre effondrement de la biodiversité et augmentation des risques sanitaires est illustré par la pandémie actuelle. Les systèmes agricoles sont menacés par le déclin de la vie sauvage car certaines fonctions essentielles comme la pollinisation, la régulation des pathogènes et des ravageurs, ou le renouvellement de la fertilité des sols se dégradent.
La crise actuelle met en évidence la complexité de notre système alimentaire, certaines de ses vulnérabilités, et nous rappelle l’urgence qu’il y a à le transformer en profondeur pour répondre aux crises de demain.
Chargement des commentaires…