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Plongée dans la scène soul de Lyon (car elle en a une)

Non, nous n’allons pas vous mentir : Lyon n’est pas une « soul city » tout comme la France n’a jamais été une « Nation under a groove ». La soul, musique populaire afro-américaine au succès colossal rivalise avec la pop-music depuis presque 60 ans sur toute la planète. Mais ici, il semble que la mayonnaise n’ait jamais pris, contrairement à chez nos voisins grands britons.

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L'album de Dany Mario, sorti en 1969, seul trace de soul-music dans les productions historiques lyonnaises. DR

Pourtant au tournant du siècle dernier, Lyon aurait pu y croire avec l’émergence d’une nouvelle scène dédiée aux musiques afro-américaines. Immersion dans ce que pourrait être « Lyon : Capitale de la soul-music ». Article tiré de l’excellent magazine de la Bibliothèque municipale de Lyon, l’Influx.

Disques soul. DR

La préhistoire

D’aussi loin que l’on remonte, à l’aide de notre collection de disques « Mémoire des musiques lyonnaises », nous n’avons trouvé qu’une seule trace de soul-music dans les productions historiques lyonnaises.

En 1969 un obscur combo mené par le chanteur Dany Mario (et son orchestre) exécute avec fidélité 4 reprises de géants de la soul américaine :

Have mercy” (Don Covay), “She’s looking good” (Wilson Pickett), “I’ve been loving you too long” (Otis Redding) et une version du titre hommage de William Bell « a tribute to a king »  rebaptisée pour l’occasion « A Tribute to Otis ».

Produit par le mythique label lyonnais JBP, qui entre 1958 et 1984 faisait la pluie et le beau temps sur la variété régionale, cet E.P. est aujourd’hui recherché  par les aficionados de grooves « vintage ».

Dany Mario a disparu (comme bien d’autres)  des radars de l’histoire musicale sans qu’on sache vraiment qui il était.

Maigre pêche pour notre panorama des musiques populaires afro-américaines en terre rhodanienne d’autant qu’il faut attendre 1980 pour un deuxième essai réussi de groove à la lyonnaise.

En 1978, suite au festival  « New Wave french connection  » donné à Fourvière,  la scène rock lyonnaise s’étalait au grand jour et Libération titrait même : Lyon Capitale du Rock. C’est dans cette effervescence rock-punk-new wave que naquit entre Givors et Lyon, le groupe Killdozer dont les idoles étaient plutôt James Brown, Arthur Conley ou Rufus Thomas. L’unique albumdu groupe sorti sur CBS (quand même) à l’orée des années 1980 témoigne d’un équilibre réussi entre soul-music et énergie rock.

Au milieu des années 90’s, Lyon connait une scène acid jazz aussi développée qu’à Paris. Assez éloigné de la soul originelle, l’acid jazz s’en inspire pourtant en redécouvrant un groove organique (cuivres, vraie basse-batterie et chant soul). Une multitude de groupes vont alors gagner leurs galons en mélangeant jazz, funk, hip hop et soul. Les groupes tels que Kool Kats club , Mo jazz beats , Colorblind  ou Metropolitan jazz affair  témoignent de la vitalité de cette nouvelle scène groove entre Rhône et Saône.

Favorite recordings : Hitsville France ?

Le chapitre qui va suivre conte l’histoire d’hommes et de femmes, d’une maison (de disques), d’une famille, d’une aventure musicale qui se passe entre Lyon et Paris et qui  est comparable à certains égards à l’épopée Motown, la célèbre firme de Detroit créatrice de centaines de tubes soul.

En arrivant à Lyon en 2001, le bassiste et producteur Bruno Hovart va d’abord se rapprocher de la scène House lyonnaise et notamment du label Rotax fondé en 1996 par Pascal Rioux, DJ et collectionneur de disques reconnu à Lyon.  Parallèlement Hovart fréquente les lieux et les acteurs de la scène acid-jazz lyonnaise : le label Plein Gaz, DJ Spider…et un certain Mr Day. Les fans de black-music se retrouvent alors à la Marquise, mythique péniche du quai Augagneur, dont le patron Jun Matsuoka (moitié du duo Colorblind) a toujours soutenu l’émergence d’une telle scène. Avec Eric Duperray (alias Mr Day), Il forme le groupe Metropolitan jazz affair et surtout les Dynamics, projet de reprises de tubes dans un style reggae-soul. Bruno Hovart s’invente autant de pseudonymes que de styles musicaux qu’il produit. Pour toutes les productions, arrangements et remix qu’il effectue pour les autres ce sera Patchworks.

Mais c’est la rencontre entre  Pascal Rioux, le chanteur Mr Day et les productions de Bruno Hovart qui va produire l’étincelle pour la création de la plus grosse machine à groove française de ces dernières années.  Un label est créé en 2006 à Paris par cette trinité lyonnaise : Favorite recordings. Il édite d’abord des singles uniquement en vinyls (45 tours ou maxi 45 tours), destinés aux DJ’s des clubs d’Europe. On y retrouve autant des artistes parisiens d’abstract hip hop (Onra, Mr Modo), un soulman américain sur le retour que les premières expériences soul du duo Duperray / Hovart.

En 2010 la sortie d’un premier long format constitue un tournant dans la politique du label Favorite recordings. L’album Small Fry de Mr Day devient la première pierre d’un édifice tourné dorénavant vers un large public. Amateurs et passionnés de soul-music se rendent compte de la très grande qualité du travail de Patchworks en studio et surtout qu’une équipe française peut rivaliser avec les productions anglo-saxonnes.

En effet « Small Fry » est un condensé de différents styles de soul-music mais qui garde une unité. Nous avions fait une critique de ce premier essai (ici).

Deux ans plus tard sort le deuxième album de Mr Day Dry up in the sun. Fort du succès de son premier opus, il ajoute à sa palette musicale des titres mêlant soul et garage rock à grands coups de fuzz et de sitar. Nos collègues d’Amply avaient alors loué sa maitrise vocale.

Patchworks, producteur de ces deux opus remarqués, va lui aussi se lancer dans la production de ses propres albums. Sous le nom de  Uptown Funk Empire  il sort un premier album confidentiel sur le label Soulab dans lequel  il invite des figures de la soul européennes (Noel McKoy, Juan Rozoff). “The Empire Stripes back” mêle disco-funk, blaxploitation, lounge-music et soul montrant la technicité et la maturité d’Hovart.

Sur le label Favorite recordings c’est sous le nom de Mr President   qu’il officiera. Continuant son travail de défrichement de la musique afro américaine il aborde les contrées soul-funk, disco-funk voire franchement disco marchant autant sur les traces de Curtis Mayfield, Georges Clinton, les Ohio Players ou Kool an the Gang. Dans tous les cas les productions et les arrangements sont impeccables et nous précipitent  immanquablement sur les dance-floors. Ces trois albums forment la colonne vertébrale des productions soul / Funk d’Hovart et constituent une véritable carte de visite pour qui veut travailler avec le maître.

Bruno « Patchworks » Hovart multiplie les expériences musicales sous d’autres pseudos Taggy Matcher (reprises reggae de classiques du rap), Patchworks Galactic Project (prog-rock cosmique) ou encore Voilaaa (afro-disco) sans compter une multitude d’autres pseudos pour ses productions house ou techno.

Les Soul sisters

Comme souvent dans la soul-music les chanteuses qui prennent le micro en leader ont d’abord été choristes pour d’autres et ont, de ce fait, une sérieuse expérience de la scène et du studio avant de se lancer en solo.

C’est le cas d’Hawa, de son vrai nom Jennifer Zonou. D’abord active sur la scène hip hop lyonnaise elle est repérée par Bruno Hovart et fera les chœurs derrière les projets Mr Day et Mr President avant de se lancer sous le nom d’Hawa en 2009 avec un premier single remarqué : une reprise « northern-soul » du D.AN.C.E. du groupe Justice couplé avec sweet lucky day un titre plus rhythm’n blues, propulseront  la chanteuse dans les espoirs de la soul-music française. Bruno Hovart et Pascal Rioux croient en elle et produisent deux albums My little green box  (2011) et Another tree (2013).

Le premier opus aux accents reggae et soul-pop trouvera tout de suite un large public qui plébiscite un grain de voix unique, adaptable à tous les registres (ballades, up-tempos). Auteure de tous ses textes et d’une partie des compositions, elle est soutenue, pour le reste, par la « family » Favorite : Bruno Hovart (tous instruments), Mr Day (chant). Au final : un album sautillant où l’héritage de la Motown côtoie des sonorités plus récentes  estampillées « new-soul » et comparable en qualité aux productions d’une Nicole Willis.

Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Le trio (Hawa / Hovart / Rioux) décide de réitérer le projet deux ans plus tard. Après de nombreuses dates dans toute la France, Hawa retourne en studio pour enregistrer un deuxième album au son plus vintage. « Another tree »  est enregistré en prises live avec une équipe agrandie mais aux sonorités réduites : moins de groove plus de profondeur. Les compositions s’inspirent cette fois de la soul sudiste (Stax, Hi records) oscillant entre arrangements folk-soul et deep soul.  Hawa utilise une tessiture souvent plus grave faisant penser à une Ann Peebles (magnifique Gone away) osant des titres rock’n’roll (Hey babe) et gospel (Dear past).

Tout comme Hawa,  Valérie Sandra Mandengué alias Mounam a fait ses armes en tant que choriste notamment au sein des groupes The Dynamics,  Metropolitan Jazz Affair et Mr Day. En 2010 elle enregistre un premier 45 tours sous son nom avec le duo parisien Trevor & Lisa. What needs mama  sorti sur Favorite recordings est un tube afro-soul. Puis elle intègre le groupe lyonnais Soul Funk Soldiers la même année. En 2012 elle s’émancipe de la « famille » parisienne pour enregistrer à Lyon Heaven un E.P. 6 titres. Plus proche d’une deep-soul et du son Stax, leurs productions cuivrées et bluesy mettent en avant la voix rauque de la chanteuse.

Comme Berry Gordy chez Motown, Pascal Rioux a su s’entourer d’une équipe fidèle (on parle même d’écurie) avec Hovart comme compositeur arrangeur et musicien, Mr Day comme auteur et chanteur et des choristes fidèles (Mounam, Hawa) tous venus de la scène lyonnaise. Tous les enregistrements de Bruno Hovart se font à Lyon dans son home Studio Ginger X.

L’Amérique débarque à Lyon

Autre soul sister, la chanteuse américaine Ciara Thompson est arrivée un peu par hasard sur la scène lyonnaise. Native de Saint Louis (Missouri), elle étudie à Lyon lorsqu’elle croise dans la rue Julien Masson (ex-guitariste chez Mr Day) qui lui demande de faire un essai pour son groupe :  les  Buttshakers sont nés. Le groupe se distingue par une base rythm’n’blues avec une dose de garage et de soul music. Le chant habité de Ciara qu’on sent d’une profonde sincérité, nous parle de ses déboires, d’une jeunesse très loin du rêve américain.

En 2008 sort un premier e.p. autoproduit avec 4 reprises de standards de soul. Shake some action contient une reprise admirablement adaptée du « gimme a little sign » de Brenton Wood et une version de « Shake A Tail Feather » qui dépasse celle de son mentor : Tina Turner. Le décor est posé.

Le premier album Headaches and heartaches, sorti en 2011, a été enregistré au studio   Back to Mono (Lyon 3eme), recherché pour un son analogique et vintage semblable aux productions des années 1960. L’album contient 10 titres originaux écrits par Ciara et Julien dont sortira le single « You talk too much » à l’énergie garage-soul impressionnante. Instrumentation très rock et voix profonde de la diva américaine voici la recette mise en place pour ce premier album.

Ils entament avec succès une série de concert dans toute l’Europe avant de reprendre le chemin des studios. D’abord pour sortir un E.P. 6 titres  Wicked woman édité en vinyl 25 cm et enregistré à Hambourg sur un nouveau label. Même si le Wicked woman s’ouvre sur un titre garage-soul, le groupe revient  à une soul plus authentique : guitare funky, cuivres rutilants et breakbeats soutiennent une voix toujours aussi mature.

2014 vient le temps du deuxième album. Si Night shift s’ouvre sur un brûlot presque « punk-soul », l’âge dor de la soul-music reste leur terrain de jeu principal allant de thèmes rhythm’n’blues (Tell the truth) à deep-soul (Only your love).

Le groupe marche peut être sur les traces d’une Sharon Jones (chanteuse américaine qui a relancé  la soul originelle) mais il le fait avec tellement d’énergie et de sincérité que nous pouvons nous réjouir d’avoir enfin des artistes français qui rivalisent avec les pointures américaines. Un nouveau 45 tours sorti fin 2015, Soul Kitchen nous laisse espérer un nouvel album pour la fin de l’année ?

La relève

Fin 2014, un morceau rythmé et vintage qui nous fait du bien aux pieds, passe sur les ondes. Treat me right est un titre retro-soul avec des pointes d’afro évoquant autant Curtis Mayfield que Fela. Ce qu’on retient immédiatement de ce titre c’est la voix de falsetto très onctueuse de John Milk, responsable de ce tube sorti de nulle part.

Pourtant le personnage n’est pas tout à fait inconnu sur la place lyonnaise. En 2010 Clément Bonfils  fonde le label reggae et officie comme chanteur et multi-instrumentiste au sein du groupe reggae roots The Mighty Lions. La rencontre avec Bruno Hovart (encore lui) lui permet quelques collaborations sur le label Big Single (subdivision reggae de Favorite recordings) dès 2011, déjà sous le nom de John Milk. Le projet John Milk devient un quatuor et sort son premier album Treat me right début 2015. Signé chez Underdog (Fanga, Juan Rozoff…),  le groupe s’aventure sur les terres les plus audacieuses et construit un album varié alternant ballades et titres dansants, passant du funk au doo-wop, de l’afro-soul au soul-jazz.

Avec un son plus pop que ses confrères, la musique du groupe Charlie and the soap opera est pourtant gorgée de soul et de funk. Fondée en 2011 autour de la personnalité charismatique du chanteur et pianiste Charlie Tchango, la formation a d’abord séduit par ses concerts enflammés. Ils sortent en 2013 un premier E.P. éponyme prometteur dans lequel la voix de Charlie s’adapte aux différentes influences allant de Bootsy Collins à Ray Charles (superbe Alizée) en passant par Prince.

Sorti l’année dernière,  leur premier album Many people élargit encore le champ des influences. Même si la principale influence reste le Kid de Minnéapolis (Many people, Neptune), on peut entendre des références à Stax, Joe Cooker ou encore Rick James. Charlie, qui compose tous les titres, amène son groupe vers un funk intemporel, enraciné dans la tradition soul et en même temps très moderne.

Beaucoup de jeunes espoirs pourraient encore relever le flambeau d’une cité qu’on voudrait encore plus soul. On pense aux prometteurs Thump the Table (Adèle lyonnaise ?), Oops Darling ou encore Sidetones. Nous n’avons pas encore référencé les disques de ces deux derniers dans notre collection « Mémoire des musiques lyonnaises » mais nous ne manquerons pas de reparler d’eux sur l’influx ou sur notre page facebook Lyon scène locale.

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