[Confinés dans la rue 5/5] Alors que la majorité de la population s’est confinée, les personnes sans abri ont perdu des repères. Yves Petit, membre de l’association ATD Quart Monde tente de rester en contact avec certaines d’entre elles. Il nous raconte comment la situation de ces personnes en grande précarité s’est encore empirée, craignant surtout que ce lien soit de plus en plus difficile à maintenir.
Face à une telle situation, certains sans-abri pourraient perdre tout espoir de s’en sortir.
Mercredi 25 mars, jour 9 du confinement, Yves Petit a recueilli trois témoignages. Simon a trouvé un appartement à louer pour une semaine. Dom et ses compagnons de galère récupèrent les invendus des derniers marchés. Zyad n’arrive pas à rester enfermé.
« Le 115 n’aura pas de place avant le 4 avril »
Jour 2. Simon me dit qu’il est dans un hôtel depuis quelques jours, après avoir quitté la structure collective où il était et où il n’arrivait plus à supporter les règles de la vie en colocation. Aujourd’hui, il vient d’apprendre que le lieu va fermer demain. Il s’inquiète pour la suite. Je lui dis que je le recontacterai demain.
« Il faudrait qu’ils ouvrent des gymnases. On ne risque pas le grand froid mais on risque d’être contaminés ».
Jour 3. Il me dit :
« J’ai appelé aujourd’hui le 115. Ils ont dit qu’ils n’auront pas de place avant le 4 avril ».
Puis :
« J’ai trouvé un appartement partagé pour 6 jours dans le 8ème pour 216 euros ».
« Ce que je veux surtout, c’est la paix »
Jour 8. Simon me demande si j’ai des renseignements. Je lui dis que, pour le moment, il n’y a aucune proposition d’hébergement mise en place au niveau du 115.
« Moi, je préférerais rester là où je suis, mais je ne sais pas si je vais pouvoir. La personne qui fait la location m’a demandé 216 euros pour la première semaine. C’est correct et propre ici, je ne peux pas me plaindre. J’ai demandé au propriétaire si je pouvais pas louer pour un mois. De toute manière, il n’y plus aucun touriste actuellement. Mais je ne peux pas lâcher plus de 500 euros par mois pour la chambre. Et puis aussi, je ne touche mes prestations qu’à partir du 6. Je ne sais pas s’il va vouloir. Après, il ne me restera rien pour la bouffe et le reste.
Ce que je veux surtout, c’est la paix. Je ne veux pas de leurs trucs collectifs. Le confinement, cela ne me gène pas trop. J’ai fait marin dans les bateaux et on partait à chaque fois 5 à 6 mois en mer. Et puis, quand j’étais dans mon ancien foyer, l’ambiance était tellement pourrie que je restais toujours dans ma chambre quand j’étais pas dehors.
J’ai arrêté mon ancien travail dans une « association de nettoyage intermédiaire » à la fin de l’année dernière. Je touchais le RSA et un petit peu plus en fonction des heures travaillées. J’ai transmis l’attestation de l’employeur à Pôle Emploi le 13 mars, mais ils me l’ont refusée parce qu’ils ont trouvé que le document n’était pas lisible. Je sais pas quand est-ce que je vais toucher le chômage. Et puis, après toute cette crise, on va plus trouver de travail. Tout le monde va se retrouver au chômage ».
« Dans l’endroit où il se confine, il ne peut même pas se mettre debout »
Depuis 9 jours, Dom s’est rapproché de trois autres personnes à la rue. Ils sont devenus un groupe que l’adversité a réuni et soudé. L’un d’eux a un hébergement dans un foyer. Lui et les deux autres continuent à dormir ailleurs.
« Hier, on est allé au marché. Les vendeurs, ils ont dit que c’était la dernière fois. Ils avaient des invendus par dessus la tête. Du coup, on a récupéré pas mal de choses.
J’ai été voir mon pote qui vit dans un cagibi. Je lui ai donné la lampe que j’ai récupérée l’autre jour. Je lui ai aussi donné deux livres que j’avais. Il avait besoin d’écouteurs pour écouter la radio avec son téléphone. Moi, j’en ai, mais ils sont cassés. Du coup, il écoute la radio avec le haut-parleur. Il a réussi à trouver un endroit pour recharger. C’est une pizzeria.
J’ai trouvé qu’il n’avait pas l’air d’avoir la forme quand je l’ai eu au téléphone. Je l’appelle régulièrement. Il va un peu moins s’ennuyer avec ça. Quand il décrit son quotidien, c’est chaud. Il sort à peine. La dernière fois, il est sorti et il m’a dit qu’au bout de quelques minutes, il a commencé à se sentir pas bien. Il a fallu qu’il s’arrête et qu’il se repose un peu parce qu’il n’est plus habitué à force de rester tout le temps assis ou couché.
Dans l’endroit où il se confine, il ne peut même pas se mettre debout. C’est terrible et je pense qu’il n’est pas le seul comme ça ».
« Les gens ne sortent même pas pour l’aide alimentaire »
Dom est passé à la Croix-Rouge où il a pu récupérer des sandwichs.
« Dans l’absolu, l’urgence sanitaire ne s’oppose pas à l’urgence sociale, mais les choses auraient dû être faites avant. Maintenant, il va falloir faire avec.
Aujourd’hui, on est passés devant la Croix-Rouge et il y avait un monsieur qui nous a donné un colis de sandwichs. Ils n’arrivent même pas à les écouler. Apparemment, les gens ne sortent même pas pour aller chercher de l’aide alimentaire. Ils ont trop peur. Il nous a dit de venir demain matin. Je vais essayer de penser à lui parler de l’application Entourage. C’est le bon moment de faire grossir le réseau.
A l’accueil de jour, on a pu jardiner aujourd’hui avec mon pote. Il y a plein de trucs qui sortent. C’était cool. J’ai vu toute l’équipe des salariés. Ils mangeaient dehors. On mangeait à distance respectable les uns des autres, mais on mangeait ensemble. Maintenant, à chaque fois que quelqu’un vient chercher son courrier, ils lui donnent un colis alimentaire ».
« Il y a trop de stress »
Zyad est hébergé temporairement chez quelqu’un. Il n’a aucune ressource depuis que les chantiers où il travaillait sans être déclaré se sont arrêtés. Il a des antécédents d’addiction et de maladie psychiatrique.
« Le médecin qui s’occupe de mon suivi médical me dit toujours que, quand le stress monte trop, il faut sortir. Et ça marche ! Avec cela, j’arrive à gérer mes problèmes. C’est pour cela que je bouge beaucoup, que je reste pas chez moi.
C’est la prison ici. Tout est fermé. Il y a trop de stress. Je crois qu’ils vont rallonger de quatre semaines. C’est pas possible. Les gens ils deviennent malades à pas sortir, pire que s’ils sortaient dehors. Moi, je suis stressé alors je remplis mon attestation et je sors. Je fais attention. Je croise personne. Hier, je suis parti loin. Les policiers m’ont contrôlés et ils m’ont dit qu’à partir de demain ça sera interdit de se promener dans les parcs, le long des berges. Après, c’est risqué. Il y a des patrouilles où ils sont gentils et d’autres où ils ne rigolent pas.
Je sors aussi pour faire les courses. Les magasins qui sont dans le quartier sont vraiment trop cher, j’ai pas l’argent. Alors je vais là où c’est le moins cher. C’est loin et je prends le métro ».
« Je vais compter les grains de riz »
Zyad s’inquiète des effets psychologiques du confinement :
« C’est la misère. Il a des métiers qui sont autorisés et d’autres qui ne le sont pas. Pour les chantiers, c’est tout arrêté. Après, on attend les annonces. Ce mois-ci, ils disent qu’on ne paie pas l’eau, on ne paie pas l’électricité, on ne paie pas le loyer, qu’il n’y a pas de sociétés qui font faillite. Mais pour le mois prochain, on ne sait pas. C’est extrêmement… il n’y a rien à dire. Il n’y a pas de week-end, il n’y a pas de sortie. Cela va être chaud. Les gens, ils vont devenir fous. Il y a des gens qui n’arrivent pas à résister à la maison. C’est leur maladie. Il faut bouger, obligé.
Ça commence à crier un peu dans les appartements. Il y a des familles, ils ont 4-5 enfants, ou plus. Il faut aérer l’appartement. Les jeunes, ils sortent mais c’est limite. Si quelqu’un sort sans raison, s’il y a une patrouille, c’est l’amende. Et les HLM, ils ont arrêté les tournées d’entretien. S’il y a quelque chose qui ne marche pas, on fait comment ? »
Pour changer de sujet, je lui dis que j’ai commencé un puzzle chez moi.
« Moi, j’ai un kilo de riz, alors je vais compter les grains de riz dans le paquet ».
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