Eric Vidalenc est chef du projet Prospective énergie ressources à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Ce onzième rendez-vous des « Mercredis de l’anthropocène » portera sur la matérialité des villes intelligentes et leur empreinte écologique. Pour en parler, il sera accompagné de Kévin Marquet, maître de conférences à l’INSA et directeur du groupe de travail CNRS « Pour une informatique éco-responsable ». Ci-après le texte signé par Eric Vidalenc.
Consommation d’électricité
L’impact énergétique du numérique est ce à quoi l’on pense intuitivement quand on commence à aborder le sujet de l’impact environnemental de la smart city ou ville intelligente.
Nos smartphones consomment de l’énergie, de l’électricité. Tous les jours, il convient de les biberonner. Car malgré maintenant plusieurs générations, ces derniers sont toujours aussi gourmands. Plus d’applications, plus de surfaces d’écrans, plus de Go téléchargés ; et au final, toujours une journée avec une recharge de batterie. C’est ce que l’on appelle l’effet rebond : à usage constant, les équipements consomment de moins en moins ; sauf que les usages ne sont pas constants, et qu’au final, les consommations énergétiques en valeur absolue augmentent.
De la même manière, les véhicules électriques, nouveaux outils de mobilité permettant entre autres de décarboner la mobilité, réduire la pollution locale, le bruit, nécessitent aussi des recharges régulières si ce n’est quotidiennes. Et s’ils reposent bien sur tout un système électrique (centrales, réseaux, bornes…), c’est d’abord les kWh au compteur que l’on voit défiler et pour lesquels on peut imaginer un impact pour les produire.
L’impact écologique de l’objet
Pourtant, ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. Toute l’autre partie concerne l’impact essentiel en termes d’énergie grise ou de gaz à effet de serre lié à la matérialité de ces techniques et de leurs structures sous-jacentes. Les bornes de recharge, les centrales de production d’électricité, les mines nécessaires aux métaux des smarphones ou lithium des batteries, c’est dans tout cela que réside le poids environnemental principal de ces objets et de leurs usages.
L’empreinte environnementale des smartphones est principalement due à l’extraction des minerais que l’on retrouve sous la forme de métaux dans les téléphones. 70 métaux, c’est ce qui est nécessaire pour un smartphone aujourd’hui, soit deux fois plus que pour les téléphones portables précédemment . L’exploitation des mines conduit notamment à des pollutions de l’eau, de l’air et des sols. Les activités métallurgiques et électroniques sont aussi très impactantes et énergivores.
Les Analyses de Cycle de Vie nous permettent d’objectiver ces besoins et de poser des ordres de grandeur sur ces impacts respectifs. C’est une particularité des techniques de la ville intelligente, ou du numérique plus particulièrement. Evaluer l’impact de ces techniques est plus complexe que celui d’une automobile thermique par exemple où l’impact réside principalement dans son usage (de l’ordre de 90% pour un véhicule thermique). Là le rapport est inversé : 80% à 90% de l’impact d’un smartphone réside dans sa fabrication. Pour un véhicule électrique, le constat n’est pas si accablant mais la fabrication du véhicule électrique et de sa batterie nécessite deux fois plus d’énergie que pour un véhicule thermique.
Avec ces nouveaux dispositifs techniques, c’est de plus en plus l’objet, plus que son usage, qui fait l’impact. Sa fabrication et sa fin de vie plus exactement.
Plus d’électricité, plus d’impacts cachés
Au final, l’électrification des usages concourent globalement à une meilleure performance des usages. Que ce soit le chauffage, la mobilité ou le numérique. Mais en même temps, il convient de prendre conscience que cette électrification ne réduit pas seulement les impacts. Elles les déplacent en partie dans les infrastructures, dans les équipements, leurs fabrications et leurs fins de vie. Et souvent elles les déplacent dans l’espace. Les lieux de fabrication ne sont pas toujours, loin de là, les lieux d’usage.
La ville intelligente serait de manière implicite la ville propre et efficace. À y regarder de plus près, il est difficile de conclure rapidement sur ce lien. Comme il est rappelé dans l’ouvrage Inventer l’avenir (2019, CNRS Editions), le programme AlphaGo en 2016 a bien battu le champion du monde de jeu de Go Lee Sedol. Prouesse de l’intelligence artificielle.
Pourtant à y regarder de plus prêt AlphaGo fonctionne avec une puissance de calcul phénoménale de 1200 processeurs et 176 processeurs graphiques ; le tout nécessitant une puissance électrique de 300kW ! Lee Seedol lui n’utilisait que 20 à 30W. Là encore, en se focalisant uniquement sur la « performance », on en oublie qu’elle est réalisée à un coût énergétique et environnemental exorbitant.
Cet exemple caricatural mais bien réel illustre que la performance se fait aujourd’hui au détriment de tout autre considération, notamment énergétique et matérielle. Si la ville intelligente veut avoir quelques ambitions écologiques, il convient de se soucier de sa matérialité.
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