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« J’ai des collègues sans vraiment en avoir » : le coworking contre l’isolement

Travailler à la maison a tendance à isoler et déstructurer les journées. C’est donc d’abord du lien social et un cadre que l’on vient chercher dans un espace de coworking. Tout ce que peut apporter le fait de travailler avec des collègues.

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« J’ai des collègues sans vraiment en avoir » : le coworking contre l’isolement

« Tu deviens fou si tu bosses de chez toi. Les seules interactions sociales que t’as, c’est au supermarché ou avec la boulangère », déclare sans ambage Benjamin Caron, freelance et nomade à Webup space à Lyon.

Tous, aussi bien les indépendants que les salariés, s’accordent à dire que le coworking est la panacée contre l’isolement.

Alors que le coworking a été inventé pour développer les collaborations, c’est le recherche de lien social et le besoin de remettre le travail à sa place qui est mis en avant par les coworkers. Et non le business que le coworking a pu leur apporter.

Emilie Lacroix, 39 ans, consultante en gestion de services public en coworking est venue à l’Equipage « pour créer du lien social et installer une barrière entre vie pro et vie perso. »

Doctorante au sein du laboratoire Magellan de Lyon 3, Camille Pfeffer mène actuellement une recherche sur les lieux de coworking. Elle observe ces deux motivations principales pour expliquer la venue dans un coworking : la « recherche d’un cadre » et « sortir de l’isolement ».

« Le télétravail, au sens du home office, a pu flouter les lignes, avec des difficultés pour couper entre la vie privée. Dans ce cas-là, les coworkers veulent remettre des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle ».

 


Le business du coworking à Lyon : à chaque coin de rue, son espace


La difficile implantation des lieux de coworking à la campagne

« Quand tu te trouves toujours en slip devant ton ordinateur… »

François Bourgain, 45 ans, a créé la coworquie en 2016 à Mornant. Ce lieu de coworking à la campagne, il l’a voulu d’abord pour lui-même y travailler :

« j’en avais besoin pour moi. Je n’aime pas travailler à la maison car j’ai l’impression de ne jamais m’arrêter. Quand les enfants rentrent, je me dis comment je vais sauver une demi-heure, comment je vais finir un mail. Ça ne s’arrête jamais ».

François Bourgain, le fondateur de l’espace de coworking, la Coworquie à Mornant. ©LB/Rue89Lyon

Ancien commercial dans l’industrie devenu formateur-consultant en « relation client », François Bourgain avait besoin de « séparer les deux sphères ». Aujourd’hui, il anime « à mi-temps » le lieu de coworking.

« Quand tu te trouves toujours en slip devant ton ordinateur en milieu de matinée, pour moi, il y a un problème. J’ai besoin de dire que je commence ma journée de travail et que la termine. Sinon, elle ne se termine jamais. »

Bénédicte Cabus, graphiste en freelance, a d’abord loué des locaux dans une pépinière d’entreprises avant de créer un espace de coworking à Annonay,

dans une ancienne chapelle. D’où le nom.

Elle met en avant les mêmes raisons que François. « Je voulais un coworking pour moi », dit-elle :

« Je n’avais plus de vie. Pendant deux ans, je ne faisais que ça. Et puis il y avait mon mari qui avait du mal à comprendre. Il se pointait, posait l’enfant comme si, parce que j’étais à la maison, je ne travaillais pas. »

C’est aussi contre le « travail haché », que Bénédicte Cabus a décidé de quitter son bureau de la maison :

« Tu fais les courses, les machines à laver,… il n’y a jamais une vraie journée de travail. Désormais, je vais au travail. Je n’ai même plus d’ordinateur du boulot à la maison. »

Tout comme Bénédicte Cabus, François Bourgain évoque la nécessité d’un « cadre physique » :

« Je prends mon sac le matin pour aller au travail et je le repose le soir. Je ne me reconnecte plus le soir. Je me dis qu’il n’y a rien de si urgent qui m’oblige à rouvrir mon ordinateur. Ce n’est pas grave, le monde ne va pas s’effondrer. »

Dans sa recherche actuelle sur les coworkers, la doctorante Camille Pfeffer souligne cette tendance : la séparation physique entre vie professionnelle et vie personnelle est le moyen trouvé par les coworkers pour se déconnecter :

« Le coworking répond à un inconvénient du télétravail au sens de home office. Remettre la vie privée et la vie professionnelle à leur place. Beaucoup disent « à partir du moment où j’ai quitté le travail, je n’ouvre pas l’ordinateur le soir. »

Rompre l’isolement

Quand on travaille à la maison, impossible de trouver une oreille attentive pour demander conseil ou extérioriser une déconvenue.
A écouter les coworkers, cet isolement pèse autant que le travail destructuré.
François Bourgain de Mornant parle de ces question qui « trottent dans la tête quand on est travailleur indépendant » :

« On a tous les mêmes interrogations. Est-ce normal de trouver un client difficile ? Comment trouver un bon expert comptable ? Quel logiciel de comptabilité prendre ? Comment faire face à des impayés ? Tu te prends la tête avec quelqu’un et tu veux que quelqu’un entende pour extérioriser. »

Autant d’interrogations, dit-il, qu’« on ne peut pas partager avec sa femme ou son mari » :

« C’est mieux d’avoir une écoute avec des personnes qui ont cette expérience. »

Morgan, 31 ans, coworke à Mornant depuis janvier dernier. Soit six mois après la création de sa société de gestion technique de patrimoine immobilier. Après avoir travaillé à Nexity dans la tour du Crayon de la Part-Dieu, il s’est mis à son compte « en prévoyant de venir travailler dans ce lieu », à cinq minutes de chez lui :

« Quand on crée une boîte, on a tendance à s’isoler alors que quand on est salarié, on voit ses collègues tous les jours ».

Fabienne Anselin, 53 ans, habite Chabanière, à huit minutes du lieu de coworking de Mornant :

« Après 25 ans de salariat, j’envisageais difficilement d’être seule entre quatre murs ».

Dès la création de sa société de conseil en performance énergétique, elle s’est inscrite à une Cordée, à Lyon. Mais elle n’y a jamais mis les pieds. Trop loin. Dès que l’espace s’est créé à Mornant, elle y est allé :

« Je peux travailler n’importe où, de chez moi aussi. Mais quand il s’agit de tâches qu’on aime pas faire comme le démarchage commercial ou l’administratif, c’est difficile de s’y mettre. »

Il y a aussi des périodes où il est plus dur de travailler seule. Fabienne Ancelin :

« S’il n’y avait pas eu ce lieu de coworking, je ne sais pas si j’aurai continué quand j’ai eu moins de clients ».

Le retour des vacances est particulièrement difficile :

« C’est compliqué de se remettre au travail après les vacances, même quand on aime ce qu’on fait. Les coworkers forment alors un appui précieux car on retrouve tout simplement un environnement de travail où tout le monde s’y remet. »

Fabienne Anselin, dans l’espace de coworking, La Coworquie à Mornant. ©LB/Rue89Lyon

Ce besoin de « remotivation » a été identifié par François, l’animateur du lieu :

« Au début de la création d’entreprise, on est à bloc, on a simplement besoin de ressources, comme d’une imprimante. Mais après des mois d’activité, on a besoin de remotivation. Avec toujours ces mêmes questions ».

D’où l’intérêt d’avoir des gens qui s’y connaissent pour vous conseiller.

La difficile implantation des lieux de coworking à la campagne

Des collègues même s’il n’y a pas « de relations de hiérarchie »

« Quand je parle de Yann à mes amis, je dis que c’est une collègue », raconte Jeanne.

Pourtant Yann et Jeanne ne travaillent pas pour la même entreprise et leurs secteurs d’activité n’ont rien à voir. La première est salariée à la société RH partners depuis octobre 2018. La seconde est la boss du pôle français de l’agence de communication américaine Benson Marketing, spécialisée dans les vins et spiritueux. Les deux femmes d’une trentaine d’années se retrouvent souvent pour la pause déjeuner. La pratique du « colunching » est fortement mise en avant par les animateurs de la communauté. On ne rigole pas avec la pause dej’ chez les coworkers.

« Finalement, c’est comme si Wojo était le service logistique, que Jeanne s’occupait du marketing et nous des ressources humaines », conclut Yann.

Yann (à gauche) et Jeanne (à droite), déjeunent en compagnie de leurs « collègues » respectives. © Emma Delaunay/Rue89Lyon

Ensemble les deux femmes discutent de problématiques à laquelle elles se heurtent, sans une once de rapports salariaux présente entre elles deux.

Dans son travail de recherche, Camille Pfeffer s’est arrêtée également sur le choix des mots :

« Cette question de vocabulaire est compliquée. Il faut certainement redéfinir ce qu’est un collègue. Dans un espace de coworking, les lignes sociales deviennent plus floues entre indépendants et salariés. Est-ce que les rapports hiérarchiques changent quelque chose ? D’un autre côté, les indépendants n’ont pas de vrais collègues alors que les salariés en ont. Dans ce cas là, quel statut ont ces « nouveaux collègues » présents dans un espace de coworking ? »

Nelly Bernard est l’animatrice de l’espace de coworking de la petite commune de Pélussin, dans les Monts du Pilat.
Pour elle, les coworkers « recherchent d’abord des collègues » :

« Ils le disent comme cela. C’est l’enjeu principal pour eux, car ils sont isolés ».

Entre salariés d’entreprises différentes comme entre travailleurs indépendants, les coworkers parlent ce terme de « collègues ».
Morgan de la Coworquie à Mornant :

« Les autres coworkers sont comme des collègues de travail sauf qu’on n’a pas le même métier. »

Béatrice Pflieger passe une tête dans l’open space où se trouve Morgan. Avec elle, Morgan discute de cours de rock :

« Evidemment, on ne peut pas avoir ce genre de discussion avec des clients. Ici, on peut parler du métier, comme de cours de rock. Ce n’est pas que boulot, boulot ».

Roxanne Gonzalez, 37 ans, coworke également à Mornant :

« Quand j’ai créé mon activité, j’ai d’abord pris un bureau dans un local. Mais ça n’allait pas. En plus de payer le téléphone, l’assurance, les fluides, il me manquait une vie socio-professionnelle. Les coworkers se sont les collègues que tu n’as plus. Ici, tout le monde est indépendant. On partage des problématiques communes. »

Bénédicte Cabus de La Chapelle à Annonay va plus loin. Pour elle, « ce sont des collègues en mieux » :

« Quand j’étais salariée dans une boîte, il y avait plus de barrières pour parler de ma vie perso. Là, j’ai l’impression qu’on peut parler de tout. Et, surtout, si tu veux, prendre une pause c’est ton problème. »

Cette absence de hiérarchie entre les coworkers a vraiment pesé dans la balance de Julien, salarié et coworker au Café Sofffa de Lyon.

« Il n’y a pas de relations de hiérarchie. Tu n’as pas les mecs qui te disent « bah alors t’as pris ton aprem’ » quand tu pars à 18h. Je fais ma vie, je viens et pars quand je veux, personne ne me juge. »

Le café, élément clé du coworking

Dans le cadre du télétravail, la chercheuse Camille Pfeffer note que ce besoin de se « reconnecter aux gens dans la vraie vie et non à un ordinateur n’est satisfait ni par les coups de téléphone aux « vrais collègues » (dans le cas de salariés en télétravail), ni par les prestations d’un centre d’affaire ».

« Dans un centre d’affaire, vous louez seulement un bureau. Ce n’est pas parce qu’il y a d’autres bureaux et des couloirs que vous croisez d’autres personnes. Vous restez seul. Dans un lieu de coworking, les rencontres informels sont permises par la cuisine ou le baby foot. Lors d’un repas et, bien sûr, autour d’un café. »

Le café, c’est l’élément clé d’un espace de coworking.
Bénédicte Cabus d’Annonay a eu une expérience douloureuse à ce sujet en pépinière d’entreprise :

« Dans la pépinière où j’étais, au début de mon activité d’indépendante, on me reprochait de passer trop de temps à la machin à café. Alors que que les langues se délient. »

Autour d’une tasse de café, les gens se lâchent, se conseillent voir se soutiennent, raconte Anne-Sophie Gonnot l’animatrice du lieu de coworking de Saint-Just-Saint-Rambert (Loire). Elle raconte une scène :

« Un tel arrive dit « un client ne m’a pas payé ». Un autre propose un modèle de lettre de relance. Le problème du premier est en partie réglé. »

On pourrait citer tous les animateurs de lieux de coworking. On s’en tiendra à l’animatrice de lieux de coworking, Guillemette Loyez de Lamure-sur-Azergues, pour montrer qu’il existe une différence entre lieux urbains et lieux ruraux :

« Les coworkers viennent chercher des collègues pour le café. Pour trouver également de l’info informelle nécessaire à la vie rurale. Par exemple, la livraison de pelés (les granules pour le poêle, ndlr), du covoiturage pour les enfants, gérer la garde d’enfants car il n’y a pas de centre de loisir le mercredi. Le genre d’infos qu’il est plus difficile à trouver sur Internet qu’en ville ».

« Si les gens viennent pour le business, ça ne marche pas »

L’enjeu pour les animateurs de ces lieux, « comment formaliser ce qui est informel sans le formaliser », comme dirait François Bourgain de Mornant.
C’est tout le rôle de l’animateur. Il doit susciter ces échanges informels, notamment autour du café, et créer des temps de rencontre lors d’ateliers pour attirer ces coworkers. Nelly Bernard de Pélussin :

« Il y a un certain nombre de coworkers qui ne viennent pas forcément pour travailler mais ils viennent à nos rendez-vous du jeudi « boîte à outils » autour d’une thématique liée à la création d’entreprise. »

Le dosage est très subtil. François Bourgain :

« Chaque chose en son temps. Après des discussions informelles, on peut commencer à parler de ses difficultés. De la même manière, Si les gens viennent pour le business, ça ne marche pas. Il faut d’abord être en confiance. Les premières discussions sont souvent perso. Les affaires viennent ensuite. C’est parce qu’on se côtoie, que l’on va faire du business ensemble. »

C’est également l’expérience de Sylvain, un salarié d’une société parisienne spécialisée dans l’intranet collaboratif qui a toujours placé son antenne lyonnaise dans des espaces de coworking. Coworker à L’Equipage coworking à Lyon, il met en garde sur les grands espaces de coworking, notamment la Tour du Web :

« J’ai fait pas mal de temps où j’étais le seul consultant parmi les coworkers. J’étais assez isolé même pendant les repas… C’était un grand coworking, donc finalement il n’y avais pas de vrais liens. »

François Bourgain, l’animateur de Mornant conclut :

« Le coworking, ce n’est pas des bureaux partagés, même si on les fait visiter en premier. Un espace fonctionne bien quand la communauté est forte. »


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