Il s’agit d’une dealeuse de bœuf, qu’on appelle Madame Poincarré, aux cheveux coupés ras et talons aiguilles fourrés dans le sac. Elle a hérité d’un petit domaine agricole dans la campagne caladoise, à quelques bornes de Lyon, qu’elle a transformé en un élevage de charolaises haut de gamme.
Lisez-la ci-après.
« Vous êtes pas d’ici, vous »
The Spiderman is having you for dinner tonight. Tou douuuuuu.
Au volant de son petit camion frigorifique, Elsa chantait par-dessus un tube du siècle dernier, un sourire aux lèvres. Elle tapait sur un synthétiseur imaginaire au fil des notes, qui lui rappelaient les virées en forêt avec son grand-père, il y avait, lui semblait-il, mille ans de ça. L’écran de contrôle indiquait la date du 6 avril 2050, 26°C à l’extérieur, 3°C dans le frigo. À 10h du matin, la circulation était fluide sur la D33. Elle avait bien fait de ne pas prendre l’autoroute.
Voilà un moment qu’elle n’avait pas quitté Tarare et le domaine de Chessy. Son domaine, depuis le départ de l’ancien propriétaire, au grand dam de sa mère qui n’y connaissait clairement rien en start up et tendances marketing. Elsa, elle, savait ce qu’elle faisait en rachetant cette exploitation bovine bio. Il suffisait d’avoir un peu étudié le contexte économique post seconde crise de la vache folle pour se rendre compte que sa production se vendrait à prix d’or. Mais sa végane de mère, elle, n’y pannait rien à l’économie.
« Je peux la faire, la livraison des entrecôtes, M’dame Poincarré, c’est pas un souci… », lui avait dit Thomas, l’un des hommes qu’elle employait sur l’élevage.
Elle avait frémi au « M’dame Poincarré » puis insisté, le ton courroucé. Il l’avait regardée, l’air surpris, puis il avait baissé les yeux et marmonné : « Bah vous faites bien comme vous voulez, après tout. »
Voilà, je fais bien comme je veux.
La trentenaire frotta le haut de sa tête avec sa paume droite -elle avait des cheveux châtain coupés très court- et se remit à chanter. Elle jetait des coups d’œil fréquents sur un téléphone transparent ultra fin qui trainait sur le siège passager, à côté d’une paire d’escarpins et d’un petit sac à mains Burberry. Le trafic ralentit progressivement. Elle approchait Tassin. Arrivée au péage du Méridien la Ferrière, elle grimaça.
Putain, il aurait pas pu me prévenir Thomas ?
Le panneau devant l’automate indiquait un droit d’entrée dans le centre à 35 euros pour trois heures. Le tarif avait encore augmenté entre mars et avril, presque autant que la taxe bovine. Elsa fulminait. L’État et la Métropole avaient décidé de la ruiner ce mois-ci. Elle tapa le montant sur l’écran translucide de son téléphone, l’approcha de l’automate pour payer. La barrière se souleva, la jeune femme soupira et leva son pied de la pédale de frein. Il allait falloir faire vite si elle ne voulait pas rogner sa marge à coups de suppléments au péage de sortie. Elle craignait maintenant un contrôle sanitaire surprise au Sofitel, qui la ralentirait. Aurait-elle dû prévoir une entrecôte supplémentaire pour un pot-de-vin, au cas où ? Et si la livraison suivante à la Croix-Rousse était un faux plan ? Elle passa à nouveau la main sur le haut de son crâne, prit une grande inspiration et expira lentement pour se calmer.
Ça va le faire ma grande, t’as la meilleure barbaque de la métropole, ils vont casquer sans piper mot.
[…]
La suite dans le recueil édité par Rue89Lyon.
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