« Dans le périurbain, après la piscine et la médiathèque, tous les maires veulent un espace de coworking.»
Ce serait une nouvelle tendance, à en croire Jean Pouly. Ce spécialiste du télétravail dirige un cabinet de conseil, Econum, qui accompagne la transition numérique de l’économie. Pionnier du coworking, il a participé à la création d’un lieu, Melchior Coworking, dans la petite commune de Charly au sud ouest de Lyon.
Le business du coworking à Lyon : à chaque coin de rue, son espace
« J’ai des collègues sans vraiment en avoir » : le coworking contre l’isolement
Un modèle économique encore plus incertain
Toute la difficulté est de trouver le modèle économique qui permet à un lieu de coworking en milieu rural de durer. Car, contrairement aux grandes villes, la zone de chalandise est fortement limitée.
La Cordée a dû fermer ses trois espaces ouverts à
Villefranche, Lamure-sur-Azergues et Morez (Jura).
Lamure-sur-Azergues est un cas d’école.
« J’ai des collègues sans vraiment en avoir » : le coworking contre l’isolement
La Cordée a dû fermer ses trois espaces ouverts à
A l’origine, la Communauté d’agglomération de l’Ouest Rhodanien cherchait à monter un lieu de coworking pensant répondre à un besoin. Pour le créer, La Cordée a été approchée et a accepté le deal de départ, raconte l’animatrice du lieu Guillemette Loyez. En juin 2016, la Communauté d’agglomération a mis à disposition gratuitement des locaux de 120 m2 avec l’eau et l’électricité. La Cordée prenait en charge le reste, notamment le poste de l’animatrice de l’espace à mi-temps. Cela a duré trois ans, la durée prévu du partenariat.
« Juste à l’équilibre », le projet n’a pas été poursuivi par La Cordée.
« Il n’y avait pas assez de monde et pas assez d’heures de présence », explique l’animatrice.
Lamure ne compte que 20 coworkers alors que la plus grosse Cordée en compte environ 300. Le taux horaire était également moins cher : 2 euros contre 3 euros HT/heure. Tout comme l’abonnement : 9 euros contre 29 euros HT/mois à Lyon.
« Le coworking n’est pas rentable. Ce sont les services annexes, comme la location de salles de réunion, qui rapportent. A Lamure, le panier moyen était de 20 euros alors qu’il est de 100 euros à Lyon. La location de salle n’a pas pris car à la campagne les mairies mettent facilement à disposition des salles ».
Moralité :
« La Cordée n’a pas perdu d’argent mais n’en a pas gagné non plus. Or une entreprise privée doit être rentable. A la campagne, le profil des potentiels coworkers implique un modèle mixte ou 100% public. »
Le lieu de coworking de Lamure-sur-Azergues a finalement été repris en totalité par la Communauté d’agglomération. Par conséquent, l’animatrice est désormais salariée de la Communauté d’agglomération de l’Ouest Rhodanien.
C’est ce modèle qui a été privilégié à Pélussin (Loire), dans le Pilat où l’espace de coworking fait partie de la maison des services publics ou à l’Arbresle où le coworking est également un service de la Communauté de commune des Pays de l’Arbresle.
Sans l’argent public, point de salut ?
Des tarifs bas et de potentiels coworkers qui préfèrent travailler dans leur maison : autant de causes qui expliquent, en partie, que les lieux de coworking à la campagne peinent à trouver leur équilibre, en l’absence d’aide des collectivités.
L’espace de coworking de Charly, au sud de Lyon, fait figure de pionnier.
L’espace de coworking de Charly, au sud de Lyon, fait figure de pionnier.
L’idée a été lancée en 2012, par l’équipe du Maire, Claude Vial et quelques bénévoles comme Jean Pouly.
La mairie a réhabilité la demeure bourgeoise sise dans le domaine « Melchior », au sommet de la colline surplombant la commune. Outre une école de musique, la municipalité a permis l’installation d’un espace de coworking, nommé également Melchior, géré par une association.
Melchior est ainsi devenu l’un des premiers espaces de coworking en zone périurbaine lyonnaise.
La Métropole a subventionné une partie des investissements et l’association parvient à l’équilibre grâce au loyer modéré permis par la mairie.
A Mornant, même topo. A 20 km au sud de Lyon, La Coworquie, lieu associatif de coworking, a ouvert en février 2016. D’abord hébergée dans un local mis à disposition gracieusement par la Ville de Mornant, la Coworquie a déménagé quatre mois plus tard dans le grand bâtiment qui héberge le centre culturel propriété de la Communauté de commune du pays mornantais qui facture un « loyer aménagé » et offre l’eau et l’électricité.
A Charly comme à Mornant, les apports des collectivités est nécessaire à l’équilibre économique des structures associatives.
Coworking à la campagne : « On en a fait un service public »
100% public ou associatifs, ces lieux de coworking se positionnent comme un « service public ».
Guillemette Loyez de Lamure-sur-Azergues estime que c’est une réussite qualitative :
« on a créé un éco-système entrepreunarial. Des gens se sont installés pour travailler et habiter car ils ont trouvé un réseau entrepreneurial rassurant ».
Elle donne un exemple :
« Un tiers-lieu tourné vers l’artisanat et le culturel s’est installé un an après le lieu de coworking ».
L’espace de coworking est devenu un lieu ressource pour la création d’entreprises. C’est également lié à l’activité de l’animatrice qui partage son temps entre l’animation proprement dite et un rôle de développement de l’activité économique dans le Beaujolais. Pour aider les « porteurs de projets » à s’installer.
Le public touché va au-delà du groupe de coworkers :
« Chaque vendredi matin, j’organise un café d’échanges gratuit et ouvert à tous. Entre 5 à 10 personnes se réunissent alors qu’on était 20 coworkers. Parce que ça attire au-delà du lieu ».
L’animatrice du lieu de coworking en tire cet enseignement :
« on en a fait un service public. »
Elle reste prudente :
« Ça ne doit pas être le modèle des coworkings en milieu rural. Il faut surtout que les coworkings s’adaptent aux réalités locales. Pour vivre et travailler sur place ».
Bien qu’associatif, le coworking de Charly, Melchior, s’inscrit dans cette démarche de « service public », selon son président Jean Pouly :
« Dans le périurbain, nous avons moins de ressources. C’est dans des lieux de coworking que nous pouvons les trouver. »
« Un public plus âgés en deuxième vie professionnelle »
Le dernier vendredi du mois, c’est repas en commun à la Coworquie de Mornant. En ce 27 septembre, chaque personne autour de la table, à une exception près, a une quarantaine d’années.
Fabienne Anselin, 53 ans, habite la commune de Chabanière. Elle coworke à Mornant à cinq minutes de chez elle en voiture :
« Ici ce n’est pas l’esprit startup comme au centre-ville de Lyon. On recherche une qualité de vie et travailler en fonction de nos valeurs ».
François Bourgain, l’animateur du lieu dresse le portrait robot du coworker de cette campagne lyonnaise :
« des gens plus âgés en deuxième vie professionnelle »
L’animatrice de Lamure-sur-Azergues trouve le même profil chez elle, dans le Beaujolais :
« En ville, ils sont plus jeunes. Là, on a plus le profil quarantenaire avec famille. Ils ont une vie de famille. Des enfants à aller chercher à l’école ».
Guillemette Loyez, poursuit :
« Ils viennent dans une limite de 20 minutes autour. Les gens recherchent la qualité de vie, avoir une voiture par foyer ».
Essentiellement des travailleurs indépendants
Selon différentes estimations, en milieu rural, les coworkers sont essentiellement des travailleurs indépendants alors qu’ils ne représentent que « deux tiers des coworkers » sur l’ensemble de la grande agglomération lyonnaise.
François Bourgain de la Coworquie à Mornant parle de ces questions qui « trottent dans la tête quand on est travailleur indépendant » :
« On a tous les mêmes interrogations. Est-ce normal trouver un client difficile ? Comment trouver un bon expert comptable ? Quel logiciel de comptabilité prendre ? Comment faire face à des impayés ? Tu te prends la tête avec quelqu’un et tu veux que quelqu’un entende pour extérioriser. »
Pour Guillemette Loyez, l’animatrice du lieu de coworking de Lamure-sur-Azergues, ce sont des travailleurs indépendants qui cherchent « une communauté d’entrepreneurs ».
« Contrairement au centre-ville d’une grande ville, il n’y a pas à la campagne des apéros ou des meetup de la CCI ou autres tous les jours. Et ici, l’information ne circule pas sur les réseaux sociaux ».
Elle ajoute :
« Les coworkers viennent chercher des collègues pour le café. Pour trouver également de l’info informelle nécessaire à la vie rurale. Par exemple, des plans pour la livraison de pelés (les granules pour le poêle, ndlr) ou pour prendre en charge les activités des enfants. Le genre d’infos qu’il est plus difficile à trouver sur Internet qu’en ville ».
Pour l’animateur ou l’animatrice d’un lieu de coworking, il s’agit donc de « faire communauté » avec tous ces indépendants. Et en ça, le job ne diffère pas fondamentalement de l’animation des lieux de centre-ville. François Bourgain de Mornant tient une formule : « formaliser l’informel ».
« Il faut que les gens se sentent bien, en confiance pour ensuite parler et s’entraider ».
Comment développer davantage ?
Les lieux de coworking peinent à trouver leur modèle économique, particulièrement ceux implantés à la campagne.
Pour trouver des solutions et accompagner ces lieux, un réseau a été créé début 2018. Nommé « Cogîte », il ambitionne de « promouvoir et rapprocher » ces espaces de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Sur le plan des politiques publiques, il y a encore tout à faire. Jean Pouly y voit une nécessité environnementale et sociale « afin de faire baisser la pollution et de revitaliser les bourgs et leurs commerces ».
Il évoque une piste :
« L’idéal serait que les entreprises et les collectivités deviennent des clients de ces lieux comme à Amsterdam ou dans dans d’autres agglomérations européennes ».
Un projet privé partage le même objectif. La plateforme nommée Extramuros propose depuis fin novembre un système de réservation en ligne pour l’ensemble des lieux autour de Lyon, et à un tarif unique de 30 euros HT/poste/jour.
Ce service est porté par un coworker de Work and Wall à Neyron, Boris Heim :
« En milieu rural et périrubain, les lieux de coworking galèrent. Il manque 20% de clientèle. Elle peut être apportée par des télétravailleurs. Au lieu du home office, il faut pouvoir leur proposer un système de réservation simple ».
Aujourd’hui, Extramuros peut proposer des places dans 20 lieux de coworking dans une très grande région lyonnaise. La start-up en a repéré 50 autres à intégrer (en gris sur leur carte).
« Notre projet va au-delà du business, affirme Boris Heim. On veut arrêter de polluer et relancer les centres-bourgs. Il faut faire vite. A Lyon, en matière de trajets pendulaires, on est en train de reproduire les mêmes bêtises qu’en Ile-de-France ».
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