Les trois intervenants s’accordent sur un point : la transformation de la classe politique française est exacerbée depuis l’élection présidentielle de 2017. Au second tour, pas de traditionnelle opposition entre la gauche et la droite mais des candidats de partis que l’on n’attendait pas : le Front National (devenu Rassemblement National) et La République en Marche (LREM).
Le clivage politique historique serait-il en train de s’effacer au profit de celui entre progressisme et conservatisme ?
Le progressisme comme seule alternative ?
Pour Agathe Cagé, docteure en sciences politiques, les macronistes et les extrêmes tentent de persuader que le clivage politique traditionnel est désuet. Dès l’élection présidentielle, LREM aurait avancé qu’elle était la seule alternative face à l’extrême droite en se revendiquant progressiste : « Qui, dans le fond, peut interroger la notion de progrès ? ».
La secrétaire générale de la campagne présidentielle de Benoit Hamon en 2017 alerte sur une vision qu’elle considère comme dangereuse :
« LREM tente de persuader qu’elle est la seule alternative, et si l’on n’adhère pas au progressisme, alors c’est qu’on est pour le Rassemblement National. »
Agathe Cagé juge Emmanuel Macron et son parti comme étant de droite, balayant la notion de progressisme. « Mais il s’en revendique car cela paraît plus sexy », estime-t-elle.
« Savoir si l’on est pour ou contre la globalisation »
Professeur émérite d’histoire à la Sorbonne, Pascal Ory définit le conservatisme comme le fait de conserver ce qui est bon. Il y aurait déjà des choses bonnes, aller de l’avant ne serait pas toujours nécessaire. Face à la majorité qui se revendique progressiste, le RN et une partie des Républicains incarneraient cette autre option.
L’historien ne considère pas que progressisme et conservatisme soient la nouvelle opposition politique.
« Le vrai moment progressiste, ça a été les Trente glorieuses. Depuis, on est passés à une ère libérale. »
Emmanuel Macron ne serait progressiste que sur le plan sociétal. Surtout, Pascal Ory rappelle qu’en Histoire la notion de progressisme est difficilement applicable à LREM :
« Le premier à s’être revendiqué progressiste, c’est le Parti Communiste. »
Le journaliste du Figaro Alexandre Devecchio préfère ne pas retenir de notions pour qualifier la période « de recomposition » actuelle. Le clivage entre la gauche et la droite est dépassé selon lui. Pourtant, il « demeure utile pour l’imaginaire de ceux qui l’on connue. »
Le journaliste remarque davantage que le clivage tourne autour du fait de « savoir si l’on est pour ou contre la globalisation. » On peut ainsi facilement remplacer progressiste et conservateur par mondialiste et nationaliste.
Un sentiment de dépossession
Ce qui importerait serait la division des citoyens autour du sentiment de dépossession. Un sentiment qui se retrouve chez les électeurs indépendamment de leurs préférences politiques.
Alexandre Devecchio cite la forte revendication du Référendum d’initiative citoyenne (RIC) émanant du mouvement des Gilets jaunes. Marqueur de notre époque, il fait remarquer que les Gilets jaunes ne sauraient être catalogués à gauche ou à droite, progressistes ou conservateurs : leur opposition s’axe sur le sentiment de dépossession lié à la mondialisation.
Surtout, le journaliste du Figaro rappelle que nous nous trouvons dans une période relativement floue. Chercher à définir et à poser des cadres rassure face à ce qui semble être la montée des extrêmes. Comme certains l’ont fait lors de la campagne présidentielle de 2017, il cite le philosophe Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »
L’écologie, catalyseur du nouveau clivage politique ?
Le score d’Europe Ecologie les Verts (EELV) aux précédentes élections européennes (13,5% des suffrages exprimés) a été qualifié de « surprise verte » par les médias. Une lecture « faussée » pour Agathe Cagé qui estime qu’avec l’augmentation de la conscience écologique, ce résultat n’est pas une franche réussite.
Pour elle, l’urgence climatique devrait gouverner les clivages. Certains partis s’en emparent moins que d’autres, RN et LREM en tête. La docteure en sciences politique y voit là une nouvelle manière de penser la politique : puisque LREM serait de droite et le RN d’extrême droite, l’intérêt pour l’écologie peut servir à identifier les partis de gauche.
A l’inverse, Pascal Ory met en garde : ce serait une erreur de croire que l’écologie est une nouvelle façon de faire de la politique de gauche. Cela peut tout à fait être compatible avec le capitalisme. Aussi, l’extrême droite a porté de l’intérêt à ces valeurs au XXe siècle.
Véritable préoccupation ou non, l’écologie fait presque consensus de l’extrême gauche à l’extrême droite. Difficile pour l’historien de considérer que cette notion peut définir la « nouvelle » opposition gauche/droite. Pour lui, l’urgence climatique force les partis politiques de tous bords à s’en saisir.
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