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En débat à Lyon : « Apprendre à reconnaître ses limites, un défi pour l’Humanité »

L’Ecole urbaine de Lyon propose une série de débats et de conférences intitulées « Les Mercredis de l’anthropocène », qui ont lieu aux Halles du Faubourg (Lyon 7è). Rue89Lyon en est partenaire et ouvre ses colonnes aux tribunes de certain.e.s des invité.e.s et intervenant.e.s.

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Graffiti anti pollution à Lyon réalisé par Greenpeace et Alternatiba/ANV situé vers confluence, sous l'autoroute A7, le 7 février 2019.©MG/Rue89Lyon

La prochaine conférence est ainsi intitulée : « Comprendre et éviter les menaces environnementales ». Une ambitieuse question, introduite ci-après par une tribune signée par Natacha Gondran, enseignante-chercheuse à l’institut Fayol de Mines Saint-Etienne et membre de « l’UMR 5600 Environnement, Ville, Société« , et par Bruno Charles Vice-Président de la Métropole de Lyon en charge du développement durable et de l’agriculture.
« Plus vite, plus haut, plus fort », l’Homme n’a de cesse de vouloir repousser ses limites, qu’elles soient physiques, technologiques, voire psychiques, si l’on en juge à l’épidémie de burn-out qui sévit actuellement. Mais pour ce faire, il utilise abondamment des ressources naturelles et rejette dans l’atmosphère, l’hydrosphère et les milieux terrestres différentes molécules qui viennent modifier les équilibres naturels.

Ainsi, depuis la révolution industrielle, l’homme modifie profondément les conditions qui permettaient au « système Terre » de se maintenir dans un état stable, depuis les 10 000 dernières années – période que les géologues appellent l’Holocène, et qui a notamment permis la naissance de l’agriculture.

Pour de nombreux scientifiques, les effets de l’activité humaine sur la nature sont devenus si importants que nous atteignons aujourd’hui des « limites planétaires ».

Photo par Nathan Jon Unsplash

Des limites planétaires à ne pas dépasser

Cette notion de « limites planétaires » vient de célébrer ses 10 ans. En effet, c’est en 2009 que le premier article alertant sur les risques provoqués par le dépassement de certains seuils écologiques planétaires, a été publié dans la prestigieuse revue Nature.

Johan Rockström et 28 de ses collègues ont ainsi proposé un cadre pour définir un « espace de fonctionnement sûr » (SOS- Safe Operating Space, en anglais) que l’Humanité devrait respecter sous peine de voir les conditions de vie sur Terre dériver vers de nouveaux états d’équilibre probablement bien moins accueillants pour la vie humaine (Rockstrom et al., 2009).

Ce cadre a depuis été complété et actualisé à l’occasion de plusieurs publications, dont celles de Will Steffen et ses collègues, en 2015, dans la revue Science (Steffen et al., 2015). Il fait aujourd’hui d’une énorme reconnaissance scientifique, avec plus de 3500 citations dans divers articles de recherche (Downing et al., 2019).

Ces auteurs mettent en avant la nécessité d’avoir une vision systémique du « Système Terre », les différents processus biophysiques étant interreliés les uns avec les autres. Par exemple, la dégradation de la qualité des sols et des masses d’eau peut rendre les systèmes plus sensibles aux changements climatiques.

On connait bien aujourd’hui les modifications des trois systèmes globaux : l’érosion de la couche d’ozone, le changement climatique, et l’acidification des océans. D’autres cycles, plus lents et moins visibles, régulent la production de la biomasse et de la biodiversité, contribuant ainsi à la résilience des systèmes écologiques : les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, le cycle de l’eau douce, les changements d’utilisation des sols et l’intégrité génétique et fonctionnelle de la biosphère.

Enfin, deux phénomènes présentent des limites qui ne sont à ce jour pas quantifiées par la communauté scientifique : la pollution atmosphérique par les aérosols et l’introduction d’entités nouvelles (chimiques ou biologiques, par exemple).

Ces sous-systèmes biophysiques réagissent de façon non-linéaire, parfois brutale, et sont particulièrement sensibles lorsque l’on s’approche de certains seuils. Les conséquences du dépassement de ces seuils risquent alors d’être irréversibles et pourraient, dans certains cas, conduire à des changements environnementaux démesurés.

Plusieurs limites planétaires déjà dépassées, d’autres sur le point de l’être

Selon Steffen et ses collègues (2015), les limites planétaires sont déjà dépassées pour le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore et le changement d’utilisation des sols. On s’approche également dangereusement des limites en ce qui concerne l’acidification des océans.

En ce qui concerne le cycle de l’eau douce, si W. Steffen et ses collègues considèrent que la limite n’est pas encore atteinte à l’échelle mondiale, le Ministère de la transition écologique et solidaire considère que le seuil est déjà franchi au niveau de la France (CGDD, 2019).

Ces dépassements ne pourront pas se prolonger indéfiniment sans éroder significativement la résilience des principaux composants qui garantissent le fonctionnement actuel et la stabilité du système terre.

Ces différents processus sont de surcroît intimement liés les uns aux autres. Par exemple, transgresser les limites d’acidification des océans ainsi que celles des cycles de l’azote et du phosphore limitera, à terme, la capacité des océans à absorber le carbone atmosphérique.

De même, l’artificialisation des terres et la déforestation diminuent la capacité des forêts à séquestrer le carbone, et donc à limiter le changement climatique, mais elles réduisent aussi la résilience des systèmes locaux face aux changements globaux…

Agir au plus vite pour éviter le risque de modifications profondes des conditions biophysiques

Les ressources biologiques dont nous dépendons subissent des transformations rapides et imprévisibles à l’horizon de quelques générations humaines, qui risquent de provoquer un effondrement des écosystèmes et populations biologiques (Barnosky et al., 2012).

Les principaux facteurs à l’origine de ces impacts planétaires sont la croissance de la population mondiale, et surtout celle de la consommation des ressources qui y est associée, la transformation et la fragmentation des habitats naturels des animaux, la production et la consommation d’énergie et le changement climatique.

Anticiper ces risques, à l’échelle planétaire et locale, est devenu crucial pour assurer l’avenir des écosystèmes et celui des sociétés humaines qui en dépendent. Cette anticipation nécessite non seulement des travaux scientifiques, mais aussi la volonté de la société de prendre en compte ces risques d’instabilité biologique afin d’établir des stratégies visant à conforter la pérennité du bien-être humain (Barnosky et al., 2012).

Pour cela, il faut limiter conjointement la croissance de la population mondiale et l’utilisation de ressources par personne. Anthony Barnosky et ses collègues le disent sans détour : « ces tâches sont énormes, mais elles sont vitales si le but de la science et de la société est d’amener la biosphère vers des conditions souhaitables plutôt que vers des conditions qui nous menacent à notre insu » (Barnosky et al., 2012).

La question se pose maintenant de rendre plus opérationnelle cette notion d’« espace de fonctionnement sûr » pour l’Humanité, en vue de son utilisation pour l’aide à la décision publique et privée (Boutaud, Gondran, 2019).

Il faudrait pour cela introduire dans les modèles et le cadre d’analyse, les dimensions socio-économiques (les modes de production et de consommations) et éthiques (les objectifs d’équité et de justice) en plus des interactions biogéophysiques déjà prises en compte (Häyhä et al., 2016).

Il s’avère en effet que les pays les plus riches sont majoritairement responsables des pressions écologiques qui sont à l’origine de l’atteinte des limites planétaires… Alors que ce sont aujourd’hui souvent les pays du Sud, plus pauvres, qui sont majoritairement victimes des conséquences de ces dégradations.

Le développement urbain au cœur des déséquilibres

Le dépassement des limites écologiques de la planète a pour corollaire un événement nouveau dans l’histoire de l’humanité : pour la première fois, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville. La proportion sera de 80 % à la fin du siècle. Les villes consomment 80 % de l’énergie et émettent 75 % des émissions de GES. Et les autres territoires peu à peu asservis par les besoins des urbains.

Conçues comme une victoire de l’esprit, de la culture sur la nature – un vieux proverbe allemand du Moyen Âge affirmait que « l’air de la ville rend libre » – les villes se sont déterritorialisées, ont perdu leurs ancrages, leurs liens avec leurs territoires adjacents. Elles sont peu à peu devenues des mégalopoles globalisées, uniformisées, insoutenables.

Par exemple, des travaux menés par la métropole de Lyon montrent qu’on pourrait produire la quasi-totalité de la nourriture des habitants de la métropole dans un cercle de 50 km autour de Lyon. En réalité, seuls 5 % de notre nourriture provient de ce périmètre et 95 % de la production agricole est exportée. Et nos déchets organiques sont brûlés dans des incinérateurs au lieu de réalimenter le sol en azote, phosphate ou carbone.

La situation est la même dans le domaine de la production énergétique où la production locale d’énergie est de 7 % alors que la consommation d’énergies fossiles, pétrole ou gaz représente les quatre cinquièmes de la consommation.

Une autre étude (Chabanel et Florentin, 2017) a modélisé tous les flux matériels et énergétiques qui traversent la métropole de Lyon. Elle démontre la fragilité et le manque de résilience de nos systèmes urbains face aux conséquences de la crise écologique qui est devant nous.

En s’émancipant des territoires, les penseurs du développement urbain ont ignoré les limites écologiques, portés par la croyance que la technique résoudrait tous les problèmes. Nous avons aujourd’hui acquis une connaissance exacte des causes de la crise écologique nous n’avons donc plus l’excuse de l’ignorance. Pour réinventer un avenir et apporter des solutions aux crises, nous devons relocaliser l’économie et la consommation des urbains.

Le diagnostic est posé, et aujourd’hui partagé : le « système Terre » atteint ses limites en termes de capacités d’absorption des émissions et dégradations générées par le développement humain et urbain. Ces limites-là ne pourront pas être ignorées sous peine d’une détérioration profonde des conditions de vie sur Terre. Cela suppose de réintroduire les limites écologiques locales dans la pensée urbaine.

Le défi qui est posé à l’humanité, et à ses aspirations à d’avantage de bien-être et de libertés individuelles, est de savoir comment respecter ces limites qui s’imposent à nous, sans remettre en cause les fondements éthiques de nos démocraties.

« Comprendre et éviter les menaces environnementales », une conférence à écouter le 20 novembre prochain aux Halles du Faubourg (de 18h30 à 20h).

Intervenants :
– Bruno Charles, Vice-président de la Métropole de Lyon – Développement durable, Biodiversité, Trame verte et Politique Agricole.
– Natacha Gondran, ingénieure, enseignante et chercheuse au sein du laboratoire Environnement Ville Société / composante Mines Saint-Etienne. Co-auteure, avec Aurélien Boutaud, du rapport « Limites planétaires : comprendre (et éviter) les menaces environnementales de l’anthropocène ».


#Biodiversité

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