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Clairette de Die : la bataille du bio

La clairette de Die est le vin effervescent français qui compte la plus grande production en bio. Les conversions continuent. Mais la cave coopérative ultra dominante freine, invoquant des ventes qui plafonnent. Elle baisse le prix d’achat du raisin bio et a récemment refusé une viticultrice en conversion. Comment alors continuer le développement du vignoble bio ?

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Vignes sur la commune de Vercheny. ©LB/Rue89Lyon

Attablé à la terrasse d’un bar, vous commanderez peut-être un spritz à base de prosecco. Pour marquer le coup, vous sortirez certainement une bouteille de champagne. La clairette de Die arrive loin derrière dans les habitudes de consommation de vin effervescent.

Là où les bulles de la Drôme se démarquent en revanche, c’est dans la production : environ 20% de ce petit vignoble (1700 ha) est en bio. Une proportion quasi unique toutes AOC confondues.

Une cave coopérative qui primait le bio

Coincées dans la vallée de la Drôme, entre le Vercors et la montagne de Saoû, les vignes s’étalent de Saillans aux communes situées à l’est de la petite ville de Die. Terre des pionniers de l’agriculture biologique, la vallée de la Drôme connaît depuis les années 80 une augmentation régulière de la production viticole AB.

Carte de l’AOC Clairette de Die. Capture d’écran ODG.

C’est au sein de l’ultra dominante cave coopérative, aujourd’hui appelée Jaillance, que le bio s’est le plus développé.

Aidés par des vignerons pionniers, comme le père de Thomas Achard (lire par ailleurs notre portait), les viticulteurs coopérateurs ont appris les rudiments.

Dans les années 2000, pour développer le bio, la cave versait une prime à la conversion. C’est à partir de cette date que la direction de la cave a mis en place un tarif majoré pour le raisin bio. Autrement dit, la cave coopérative a pris en compte le surcroît de travail engendré par l’absence d’utilisation des pesticides de synthèse.

La différence était d’environ 20 centimes par rapport raisin « conventionnel ». Ce qui fixait le kilo de raisin bio à environ 1,40 euro. Les hectares de vignes labellisée AB se sont multipliés.

Aujourd’hui, la cave Jaillance pèse 298 ha en bio, soit 25% des 1180 ha de vignes liées à la coopérative.

« Crise structurelle du bio »

En 2012, premier coup d’arrêt pour le bio. C’est l’année où les ventes globales de clairette de Die connaissent un premier stop.
Pour Sylvain Thévenet, viticulteur bio à Saillans et membre du conseil d’administration de Jaillance, il s’agit du début d’une « crise structurelle » résumée ainsi :

« Nous avons beaucoup de surfaces mais les marchés ne se développent pas autant. »

Les différents acteurs que nous avons interrogés pointent deux causes majeures  :

  • la concurrence du prosecco, le pétillant italien au moins 30% moins cher
  • la baisse globale des ventes de vin.

Dans la famille des vins effervescents, « le champagne éternue et la clairette s’enrhume », lance un viticulteur du Diois.
La clairette résiste pourtant un peu mieux que les autres vins effervescents et les ventes de bio continuent d’augmenter. Particulièrement dans la grande distribution où Jaillance réalise l’immense majorité de ses ventes. En 2018, le million de bouteilles bio vendues a été franchi. Ce qui représente 60% des ventes de vins effervescents AB.

Mais, à écouter, le directeur général de Jaillance, Jean-Louis Bergès, ce n’est pas suffisant pour absorber la production bio :

« Depuis 4/5 ans, la grande distribution verdit son offre et veut plus de bio. Nous sommes davantage référencés, ce qui fait mécaniquement progresser nos ventes. Mais à la caisse, les clients n’achètent pas plus de vin. »

Pour lui, les perspectives ne sont pas particulièrement bonnes :

« Les Français consomment aujourd’hui 5 bouteilles de vin effervescent par an, champagne inclus, contre 5,6 en 2010. Même si c’est beaucoup le champagne qui baisse, le marché du vin est en régression ».

Cette « crise structurelle » a fait naître des tensions entre viticulteurs bio et conventionnels.

Premier effet : la baisse des revenus des viticulteurs bio. En 2015, le conseil d’administration de la cave Jaillance a voté une baisse du prix d’achat du raison d’environ 10 centimes le kilo. Aujourd’hui le différentiel entre bio et chimie est de 12 centimes. Ce qui représente pour 55 hectolitres/hectare (le rendement maximum pour l’année 2019) à peine 891 euros par hectare.

Christophe Corbet, petit viticulteur bio à Saillans (3 ha), résume les tensions entre conventionnels et bio :

« Ils n’ont rien contre le bio mais ils veulent qu’on soit payé comme eux ! En vendant une bouteille de clairette AB 80 centimes plus cher que celle en conventionnel, la cave pourrait nous rémunérer davantage ».

Le caveau historique de la cave coopérative à l’entrée de Die. Jaillance vend essentiellement de la clairette en supermarché. L’autre partie, non négligeable, des ventes se fait au caveau auprès des touristes de la vallée de la Drôme. ©LB/Rue89Lyon

Du bio en dehors de la cave coopérative

Ces surplus de raisin bio et cette question de la rémunération des viticulteurs bio ont fait ressortir ce vieux clivage entre les viticulteurs conventionnels et les bio.

Le viticulteur bio membre du CA, Sylvain Thévenet, poursuit :

« Les tensions se sont cristallisées autour de la construction d’un nouveau bâtiment de la cave. D’un côté, certains voulaient faire de la cave un modèle d’agro-écologie en érigeant un bâtiment biosourcé. De l’autre, il y avait des viticulteurs plus frileux, le pied sur le frein ».

 

Le bâtiment « biosourcé » n’a pas vu le jour. Ce qui a notamment conduit au départ de deux viticulteurs piliers de la coopérative : Vincent Lefort et Cyrille Copier.

Ensemble, ils ont créé en 2015 un nouveau groupement de viticulteurs, Côté Cairn, qui représente aujourd’hui 33 hectares en biodynamie.

Vincent Lefort, viticulteur de Côté Cairn et ancien vice-président de la cave coopérative. ©LB/Rue89Lyon

Ne disposant ni du matériel, ni du savoir-faire, Côté Cairn fait appel à une autre cave, Monge-Granon, pour la vinification, qui s’est mis au bio avec eux.

Vincent Lefort :

« Dans le contexte de la Biovallée (lire par ailleurs), nous poursuivons le même objectif : la reconnaissance la plus large possible du bio. Alors que la direction de la cave dit « on fait ce qu’on peut pour le bio », nous, nous disons que toute l’agriculture doit être en bio ».

Parallèlement, deux autres acteurs parmi les plus importants de la clairette de Die se mettent à produire en bio.

La cave Carod appartient au Grand Chais de France depuis dix ans. Le directeur technique de Carod, Arnaud Van der Voorde, explique la démarche :

« Jaillance a été parmi les premiers à développer le bio. Ils sont aujourd’hui sur une vitesse de croisière. De notre côté, les indicateurs de marché nous disent que c’est le moment. La grande distribution en veut et, au-delà, l’impact sur l’environnement est de plus en plus questionné ».

Carod a lancé la conversion de 19 ha sur les 45 exploités directement. L’objectif étant de passer la totalité du vignoble en bio.

« Mais prudemment, sans couler la boîte ».

L’Union des jeunes viticulteurs de Vercheny (UJVR), à la tête de 60 ha en conventionnel, viennent de reprendre un domaine de 16 ha dont la conversion en bio a été lancée en 2017.

Commercialiser le bio en dehors des supermarchés

En suivant la voie de domaines comme Achard, ces nouveaux producteurs de clairette de Die bio misent sur des circuits de vente qui évitent la grande distribution.

Carod est catégorique :

« Aujourd’hui le marché du bio est à 20% de la production et c’est essentiellement Jaillance qui le fait. C’est pour ça qu’ils ne poussent pas à la conversion en bio. Pour nous, il faut travailler les marchés à l’export ».

Du côté de l’UJVR, on projette d’augmenter les ventes directes. Même s’il se tient prêt « pour le moment où la grande distribution basculera véritablement dans le bio », le président de l’UJVR, Bernard Pélissier, affirme :

« Puisque Jaillance s’est concentré sur la grande distribution, il y a un marché à développer en dehors.
La vente directe, par exemple lors de salons permet de valoriser davantage le produit. On peut expliquer pourquoi il y a un coût supplémentaire entre 10% et 20%.

Le viticulteur Bernard Pélissier, président de l’UJVR ©LB/Rue89Lyon

Mais la question du prix risque de poser problème comme le résume le vigneron Thomas Achard qui ne vend pas une bouteille en grande distribution :

« La clairette de Die n’est pas valorisée à son juste prix. Car l’image de marque est mauvaise. Ça reste du vin de supermarché à 7/8 euros.
Or vu le matériel et le travail nécessaire notamment dans des vignes en coteaux, ça vaut 15 euros. Il y a vingt ans, c’était vendu au même prix que le Croze Hermitage qui a augmenté alors que c’est tout plat à travailler ».

Adapter le bio aux ventes ou changer de paradigme ?

Retour à la cave coopérative où la commercialisation des bouteilles de clairette bio fait toujours débat.

Sylvain Thévenet, le viticulteur bio membre du conseil d’administration, se montre confiant :

« C’est l’éternel débat. Est-ce qu’on fait les efforts jusqu’au bout en terme de commercialisation ? Là encore, la clairette de Die tient encore une place prépondérante quand on la compare aux autres effervescents bio. »

En attendant, pour adapter l’offre à la demande, la direction de la cave coopérative veut, prochainement, proposer au conseil d’administration de voter la variation des prix de l’achat du raisin bio en fonction des ventes des bouteilles de clairette bio. Or, la direction de Jaillance estime à 20% le surplus de raisin bio. Ce raisin se retrouve actuellement déclassé. Les revenus des viticulteurs en bio vont donc nécessairement encore baisser.

« Dans une proportion raisonnable », croit savoir Sylvain Thévenet.

Le directeur de Jaillance, Jean-Louis Bergès, justifie :

« Compte tenu de l’accroissement du vignoble en bio et des perspectives de vente qui n’augmentent pas aussi vite, un partie du raisin bio sera payée au prix du conventionnel. On a une vision à trois ans. Sur cette période, on sait qu’il y aura une cinquantaine de nouveaux hectares en bio. Il faut anticiper et s’adapter pour maintenir le potentiel de production. Le bio deviendra la norme petit à petit.»

Cette année, une viticultrice qui venait d’acheter 4 ha de vignes à un viticulteur en conventionnel n’a pas été acceptée par Jaillance.

Motif ? Cette viticultrice de Saint-Roman voulait passer ses vignes en bio.

Jean-Louis Bergès, délégué général de Jaillance s’explique : « Le viticulteur à qui la viticultrice a racheté les vignes n’était pas adhérent à la cave de Die mais apporteur chez un confrère. Elle voulait les convertir en bio et adhérer à la cave, le conseil a examiné cette demande et compte tenu de nombre de conversions en bio dont je vous ai parlé, il a décidé de ne pas accepter l’adhésion d’un nouvel adhérent en bio ».


Face aux accusations de « blocage du bio », le directeur général de Jaillance défend son bilan :

« Les vignes bio ont augmenté de 180 ha entre 2010 et 2018. Le gens disent ce qu’ils veulent mais ce sont les chiffres ».

La principale voix critique est le viticulteur du village de Barnave, Vincent Lefort. Du temps où il était vice-président de la cave, il plaidait pour un « changement de paradigme » :

« A l’image de Michel Chapoutier dans les années 90 qui a pris le tournant de la biodynamie, la cave coopérative aurait pu avoir l’ambition de créer une marque Jaillance tout en bio ».

Et quand on lui répond qu’il n’y a, en face, pas les « marchés suffisants », selon la direction de coopérative, Vincent Lefort ne se démonte pas :

« Si la cave coopérative avait fait le choix du tout bio, on aurait pu faire bouger les lignes et sortir la clairette de cette image de vin effervescent bas de gamme. La plupart des autres secteurs agricoles sont en bio dans le Diois. En 2014, on était les premiers de France pour le bio. On est maintenant rattrapé par plein de régions. C’est un rendez-vous manqué avec l’Histoire ».


#Clairette de Die

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