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Depuis l’ENA jusqu’à la stratégie politique : la comédie du pouvoir à l’Odéon à Lyon

À votre droite, un énarque paresseux au physique aigu, au cynisme qui crisse comme une craie au tableau, réclamant les postes qu’il considère pour acquis. À votre gauche, un fils de prolo intelligent et besogneux, rond et pétri de convictions mais aussi d’ambition. La partition politique se joue dans « Le Prix de l’ascension » par deux figures radicalement opposées et, pour autant, pas si stéréotypées.

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Le prix de l’ascension, une pièce de avec Antoine Demor, Victor Rossi. DR

Antoine Demor et Victor Rossi, comédiens et auteurs de la pièce, observent vingt années de trajectoires entrecroisées, pour chroniquer une valse des sentiments. Ils ont voulu quasiment tout mettre de ce qu’ils ont à dire de l’exercice du pouvoir, tout balayer (la solitude de l’élu local ou encore l’impuissance du haut fonctionnaire à changer des situations administratives absurdes ; la place du sexe dans cet univers clos), jusqu’à parfois décontenancer.

Mais c’est bien dans la progression maîtrisée de cette relation, qui vous rappellera bien des épisodes d’actualité, que réside la force du spectacle. Antoine Demor et Victor Rossi ont répondu à nos questions sur la genèse de cette pièce (jouée à Lyon à partir de ce mardi 8 octobre à l’Odéon), et plus largement sur la politique telle qu’on a parfois envie de l’observer -derrière le trou de la serrure.

Le prix de l’ascension, une pièce de avec Antoine Demor, Victor Rossi. ©Robin Gervais

« Nous avons rencontré des énarques, des collaborateurs, des militants et élus pendant plusieurs mois pour écrire la trame »

Rue89Lyon : Entre le fils à papa qui estime que tout lui est dû, issu d’une lignée de hauts-fonctionnaires, et le brillant étudiant issu d’un milieu modeste et rural, vous dessinez deux opposés sans faire de leçon d’éthique. Si le second trouve peut-être grâce aux yeux du spectateur au début au moins, les deux personnages se fourvoient dans une politique politicienne et usent des méthodes les plus sales. Souhaitez-vous montrer à quel point la quête du pouvoir finit par pourrir quiconque souhaite la mener jusqu’au bout ?

Ancrer nos personnages dans deux sociologies très distinctes, c’est donner à chacun une motivation à leur ambition. Le personnage de Brice (joué par Victor Rossi) a quelque chose à se prouver du fait de son origine sociale. Cela lui confère aussi une forme de légitimité à vouloir réformer, s’attaquer aux dysfonctionnements du système lorsqu’il entre à la Cour des comptes.

Là où le personnage de Laurent, fils de haut fonctionnaire et petit-fils de Préfet, perpétue une tradition familiale et apparait déconnecté du quotidien des Français. Cela permet d’accentuer le fait que l’ivresse du pouvoir peut toucher n’importe qui, car cela agit comme un rouleau compresseur en déformant les personnalités. La politique n’est que le décorum, cette histoire pourrait tout autant être transposée au milieu de l’entreprise, associatif ou autre.

Le fil narratif de la pièce est déroulé à partir d’une observation fine de l’actualité politique. On retrouve du Nicolas Sarkozy par ici, du Laurent Wauquiez par là. Sans doute aussi un peu de François Hollande ou de Jean-François Copé… Quelles personnalités politiques ont inspiré vos personnages et quels sont les traits saillants qui vous semblent les plus théâtraux chez elles ?

Antoine Demor : Aussi étonnant que cela puisse paraitre, ce ne sont pas des personnalités de premier plan qui ont inspiré l’écriture de la pièce dans un premier temps. Nous avons rencontré des énarques, des collaborateurs, des militants et élus pendant plusieurs mois pour écrire la trame. Nous voulions justement nous séparer de l’actualité politico-judiciaire, mais aussi ne pas sombrer dans quelque chose de chansonnier.

Ce qui nous animait, c’était le souci du vraisemblable, que cela puisse paraitre réel. Cela a d’ailleurs été salué par des gens du milieu, je me rappelle de ce magistrat de la Cour des comptes qui était sorti hilare de la pièce en disant « c’est mon quotidien avec le président ! ».

Certains clins d’œil à des faits et personnages existants, ont été distillés par la suite pour renforcer l’aspect comique et satirique. On n’a juste pris soin d’aller chercher des pépites chez tout le monde, pour ne pas être dans la pièce partisane.

On y retrouve notamment la célèbre parka rouge de notre président de Région ; la mythique sortie de Mélenchon « je suis la République, je suis sacré », ou encore le fait que le personnage de Laurent soit aussi à l’aise à une fête de la pomme Creusoise qu’un Chirac au salon de l’agriculture.

« La place des médias et réseaux sociaux a totalement bouleversé la façon de faire de la politique, nous avons essayé de coller au plus près de cette réalité »

Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle important. Quelles sont les séquences de « scandale » politique qui vous ont le plus marqué (pour écrire la pièce notamment) ?

Victor Rossi : Nous avons écrit la pièce avant beaucoup de certains scandales récents (Pénélope Fillon, François De Rugy, etc.) et nous avons été fréquemment rattrapés par l’actualité. Chaque président a eu son lot de scandales qui font maintenant partie de l’imaginaire commun : Mitterrand avec Mazarine, Chirac et les caisses noires au Japon, Sarkozy et Bygmalion etc. Et c’est à partir de ce socle que nous avons imaginé les nôtres.

Il est vrai qu’aujourd’hui la place des médias et réseaux sociaux a totalement bouleversé la façon de faire de la politique, nous avons essayé de coller au plus près de cette réalité notamment dans la façon de lancer des accusations.

« La différence entre la parole médiatisée, policée, et la brutalité, la franchise d’un « off » est une des raisons qui nous ont poussés à écrire la pièce »

La relation de Laurent et Brice que l’on, observe sur plusieurs années prend des formes très variées à partir de leur rencontre sur les bancs de l’Ena ; jusqu’à ce qu’ils s’affrontent politiquement. On ne voudrait pas spoiler des passages importants de la pièce ; mais pouvez-vous toutefois expliquer vos choix (le fait d’évoquer la solitude de l’élu local ou encore l’impuissance du haut fonctionnaire à changer des situations administratives absurdes ; le fait de donner sa place au sexe dans l’univers du pouvoir).

Antoine Demor : Le leitmotiv de la pièce est de montrer l’humain derrière l’homme politique, désacralisé, avec sa part d’ombre, mais aussi ses doutes, ses faiblesses, ses calculs. Choisir de montrer 20 ans de carrière, c’est forcément aborder la question de l’intime et de sa place chez quelqu’un de médiatisé.

C’est aussi montrer des choses qu’un profane ne verrait pas, le visage qui grimace derrière le vernis médiatique. La différence entre la parole médiatisée, policée, et la brutalité, la franchise d’un « off » est une des raisons qui nous ont poussés à écrire la pièce.

Est-ce que vous avez envie malgré tout d’aller au-delà du « tous pourris » ou n’y a-t-il point de salut selon vous chez quiconque se destinerait à une carrière politique ?

Victor Rossi : Il y a bien entendu un salut pour quiconque se destine à cette carrière là. Nous ne jugeons personne a priori. Il faut aussi se rappeler que sur les 577 députés français, il y a une immense majorité qui essaie de faire le plus consciencieusement son travail, avec l’intérêt public chevillé au corps.

Nous sommes nettement plus critiques lorsque les convictions font place à la sur-présence médiatique, à la réélection, plutôt qu’au dossier et au bien commun.

Quand on vise la présidence de la République, un ministère, ou une place très importante, on se fait forcément beaucoup d’ennemis. Et pour obtenir cette place, il faut triompher. Les idées passent en deuxième rideau…

Nous sommes à la veille d’élections locales importantes. Est-ce que vous vous intéressez à la façon dont démarre la campagne à Lyon ?

Antoine Demor : Parce qu’il y a des élections bientôt ? Moi qui pensais qu’ils étaient tous devenus des écologistes convaincus !

Victor Rossi : Pour l’instant, nous ne nous sommes pas encore vraiment plongés dedans. Mais soyez sûrs que nous suivrons ça de près au fur et à mesure que les échéances approchent.

Est-ce que, par exemple, la figure d’un Gérard Collomb ou plus largement de ce qu’on appelle un « baron local » pourrait aussi vous inspirer ?

Victor Rossi : L’assise locale, et la création d’un mythe de la personne, même à échelle municipale sont un des fondements de la pièce. Chirac, entre autres, a commencé comme cela. Hollande, Sarkozy aussi. Nous ne savons pas si Gérard Collomb suivra ce chemin là, mais ce sont des figures qui nous interpellent, forcément.

Antoine Demor : C’est sûr qu’un élu d’une telle envergure qui choisit du jour au lendemain de quitter la politique pour ne pas faire le mandat de trop, c’est très inspirant.

Antoine Demor, Victor Rossi jouent les personnages de leur pièce « Le Prix de l’ascension ». ©Robin Gervais

À la Comédie Odéon (Lyon 2è), du 8 au 10 octobre ; puis du 15 au 19 octobre 2019. Et du 29 octobre au 02 novembre 2019. Le détail des horaires sur le site de la salle de spectacle.


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Photo : JBA/Rue89Lyon

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