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“Alice et le maire” : leçon de modestie à destination de Gérard Collomb et de quelques autres

Son constat de paralysie, résumé dans un laconique “je n’arrive plus à penser”, pourrait presque être entendu comme un “je n’arrive plus à bander”. Dans le film de Nicolas Pariser, le maire de Lyon composé par Fabrice Luchini expose sans fard son besoin d’être stimulé, intellectuellement. Il n’a plus d’idées, il est las, son cabinet désespéré. C’est pourquoi tout ce petit monde décide de faire appel à une jeune philosophe, jouée par Anaïs Demoustier.

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"Alice et le maire", un film de Nicolas Pariser © 2019 Bac Films Distribution All rights reserved

Toute ressemblance avec des personnes et situations existantes, ou ayant existé, est à envisager sérieusement, tant le film fait une critique drôle et intelligente de l’exercice du pouvoir. Si vous cherchez à tout prix ladite ressemblance, peut-être la trouverez-vous dans la diction mi-mâchée et la lassitude à peine dissimulée, filmées pendant le conseil municipal devenu un moment de gestion des affaires courantes et des dossiers faciles, sans aucune intervention de l’opposition.

Il y a quelque chose du maire de Lyon, Gérard Collomb, sans nul doute. De lui comme d’une flopée d’élus, aspirants aux mandats, aux baronnies pourquoi pas, aux ascensions bien menées et aux fauteuils rembourrés. Lyon compose un décor idéal pour le récit implacable de l’exercice du pouvoir à la française, engoncé dans la monotonie de sa réalité locale.

La ville, comme décor et prétexte, est d’autant plus intéressante que, dans la vraie vie, Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, avait demandé à ce que le film de Nicolas Pariser n’y soit pas tourné. Le pitch l’ayant sans doute fait tousser. La municipalité avait finalement refusé que le tournage se fasse sous les ors de l’Hôtel de Ville et l’équipe avait dû se rabattre sur l’Hôtel du Département, lui aussi situé à Lyon, et dont les élus ont su être plus accueillants (car moins directement concernés par le scénario sans doute).

En toute modestie

Il ne s’agit donc pas d’un biopic sur Gérard Collomb, pas d’affolement, pas de censure ultra locale en vue. L’assertion qui suit, prononcée par le personnage du maire Paul Théraneau -“Je peux dire qu’en toute modestie j’ai changé ma ville”- fera toutefois sourire plus d’un lyonnais.

Tout comme ce projet baptisé “Lyon 2500” qui doit permettre à Lyon de devenir la “première ville, la plus moderne et la plus en phase avec son temps”, au sein d’une “union internationale des mégalopoles pour le progrès”. Une fois encore, la rhétorique de la communication pour ne pas dire le verbiage ont de quoi faire sourire les observateurs de la vie politique locale.

La jeune Alice Heimann, brillante enseignante en philosophie politique, écoute sans sourire, sans complaisance ni courtisanerie, répond franchement ; puis prépare scolairement sa première note à destination du maire et choisit le thème de… la modestie.

L’édile est immédiatement séduit mais a du mal à abandonner l’ambition de réaliser le “grand récit démocratique de notre temps”. Rien de moins. Ce faisant, il faillit au difficile objectif qu’Alice lui a suggéré, celui de la réserve pour un exercice du pouvoir complètement débarrassé de toute emphase.

Elle-même n’échappant pas tout à fait au vertige de l’importance qu’elle prend au travers de sa mission. En effet, le lien qui se tisse entre Alice et le maire est à l’image du film : bien loin des clichés. Rien de licencieux ni même de grivois ne les unit. La philosophe constitue l’occasion pour le maire de bousculer et d’inquiéter son entourage. Leur relation va vite agacer quasi tout le cabinet. Il y a de la malice chez Théraneau à utiliser de l’intelligence non pas pour se régénérer directement mais pour faire valser les habitudes et les usages de sa petite cour.

« Plus je fais de la politique, plus j’ai l’impression de devenir bête »

Tout ce qui structure intellectuellement le maire lui permet d’adhérer à ce qu’Alice lui met sous les yeux et, pour autant, le personnage de l’élu va continuer d’aller vers davantage de politique politicienne :

« Moi, avec un raisonnement rigoureux, je ne peux pratiquement rien faire », constate-t-il.

Alors qu’elle convoque les auteurs Marc Bloch ou Jean-Jacques Rousseau, la philosophe finit malgré tout par se fourvoyer un peu plus chaque jour, au regard de ce qu’elle refusait de devenir (« plus je fais de la politique, plus j’ai l’impression de devenir bête », lâche-t-elle en pleurs dans les bras d’un ami).

Nicolas Pariser étrille au passage ce qu’est devenue la gauche au travers des élus qui se revendiquent d’elle. Un passage savoureux du film porte sur un discours musclé contre la finance qui rappelle immanquablement celui que François Hollande prononça en campagne.

Avec « Alice et le maire », le réalisateur poursuit sa passionnante exploration de l’univers politique. Il fait même écrire au très efficace duo formé par Luchini et Demoustier un discours de gauche, portant sur la décence, l’instruction pour tous…

Le film fait enfin la démonstration convaincante d’une mécanique qui éloigne l’élu de ce qu’il dit ou même de ce en quoi il croit, invariablement.

Rue89Lyon vous propose d’assister à l’avant-première d’ “Alice et le maire” le mardi 17 septembre au cinéma le Comœdia. La projection sera suivie d’un échange avec l’équipe du film, animé par un de nos journalistes.


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Photo : Eric Soudan

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