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Violences des surveillants pénitentiaires : « omerta, opacité, impunité » selon l’OIP

Dans son dernier rapport, l’Observatoire international des prisons (OIP) pointe les violences commises par les surveillants pénitentiaires envers les détenus. Une pratique qui semble répandue, sans mesures concrètes pour y mettre un terme.

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En prison. Crédit : Sébastien Erome/Signatures.

En décembre 2018, un surveillant pénitentiaire de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas était jugé pour avoir violenté un détenu souffrant de schizophrénie :

« Alors qu’il rentrait du service médico-psychologique régional (SMPR) où il avait reçu son traitement, le détenu attendait dans le sas qu’un surveillant vienne lui ouvrir la porte. Comme personne ne venait, il a sonné, trois fois. Subitement, un surveillant est arrivé, l’a repoussé, lui a cogné la tête contre une porte et l’a immobilisé au sol. »

Des témoignages comme celui-là, l’Observatoire international des prisons (OIP) en a reçu « près de 200 en deux ans ». Dans son dernier rapport, le focus est mis sur ces violences commises par les surveillants pénitentiaires envers les détenus, parfois même de manière totalement « gratuite » et bien souvent en toute impunité.

Des violences endémiques et invisibilisées

« Omerta, opacité, impunité » : ce titre n’a pas été choisi par hasard par l’OIP. Pour mener à bien son enquête, l’OIP a demandé au ministère de la Justice de lui fournir des chiffres : « le nombre de plaintes déposées à l’encontre de personnels pénitentiaires pour des faits de violence, de poursuites engagées, de condamnations ; le nombre d’inspections diligentées à la suite d’allégations de violences ou encore de rapports intégrant des faits de violence ». Des chiffres qui n’existent pas.

Pourtant, ces violences n’ont rien d’exceptionnel. C’est le constat de cet ancien directeur de prison, sous couvert d’anoymat :

« Je suis incapable de dire le nombre de circonstances où j’ai été confronté à des allégations de violences commises par des personnels pénitentiaires tellement il est conséquent. Je classerais ça en deux catégories : il y a les altercations qui tournent mal, c’est le contexte le plus fréquent. Ensuite, plus rare et plus grave, il y a les violences “gratuites” de la part d’un membre du personnel ou de plusieurs d’ailleurs, sur un ou des détenus. »

Des surveillants pénitentiaires aussi ont accepté de parler à l’OIP sur les agissements de leurs collègues :

« Quand il y a une alarme, tout le monde arrive parce qu’ils sont contents de maîtriser et de donner des coups, ou de protéger des collègues. »

« Lors des fouilles à nu, certains s’en donnent à cœur-joie. Il y a des agents à qui ça permet d’affirmer leur autorité. Ils prennent un malin plaisir à humilier les détenus. »

Un ancien détenu se souvient des fouilles en question, auxquelles il refusait systématiquement de se soumettre :

« Ils appelaient de l’aide, ils venaient à sept ou huit, c’étaient des violences physiques : ils t’attrapent, ils te tordent le bras, t’étranglent, te couchent par terre pour pouvoir te déshabiller de force. »

Un autre évoque les violences subies suite à son refus de remettre aux surveillants le shit qu’il cachait dans son caleçon :

« Je me déshabille. Je commence à enlever mon caleçon, sauf que mon morceau a glissé, donc j’essaie de le remettre. Un gradé me voit faire. Donc il me bloque les mains, dans le caleçon. Il tire l’alarme et un surveillant arrive et me met un grand balayage: j’étais nu, sans chaussettes, sans rien, il me dit “face contre terre”. Je l’écoute et je mets ma tête sur le côté. Là, il s’acharne sur ma tête, me donne des grands coups de pieds. Je ne résistais pas, j’étais par terre, à plat ventre, j’étais menotté, en caleçon. Il continue à me donner des coups, à s’acharner sur ma tête jusqu’à ce que le gradé dise : “Arrête, tu vas le tuer !”»

Quant à ce détenu, il raconte les représailles subies à la prison de Nancy suite à une remarque qu’il aurait faite à un surveillant qui sentait l’alcool. D’après la version officielle, il aurait bousculé le surveillant. Que ce soit en réaction à l’une ou l’autre de ces versions, ce dernier s’est vengé, le détenu a fini dehors, en plein hiver, en caleçon et T-shirt :

« Selon le témoignage du détenu, trois personnes seraient entrées dans sa cellule un peu plus tard, l’auraient fait sortir de force, emmené dans la cour de promenade et l’auraient frappé à plusieurs reprises, le responsable l’invectivant: « Quand je te dis quelque chose, tu le fais ! » Il y aurait ensuite été laissé de 10h à 19h, seul, en caleçon, en plein hiver, sans nourriture. »

Cinq ans après les faits, la plainte du détenu est toujours en cours d’instruction.

Des sanctions inutiles

En théorie, la loi est claire, comme le stipule l’article D220 du code de procédure pénale :

 « Il est interdit aux agents des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire et aux personnes ayant accès dans la détention de se livrer à des actes de violence sur les détenus. »

Le surveillant qui dérogerait à cette règle risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, selon les dommages infligés au détenu.

Dans la pratique, ces sanctions se révèlent bien souvent inutiles comme l’avoue un ancien directeur à l’OIP :

« À partir du moment où les agents ont compris qu’il n’était pas normal de frapper les détenus et qu’il pouvait y avoir une procédure disciplinaire, la préoccupation majeure est devenue que ça ne se sache pas. »

Alors, les violences sont justifiées par « un réflexe de défense », considérées comme « strictement nécessaires » pour faire obtempérer un détenu récalcitrant, utilisées « en prévention » d’une hypothétique altercation ou tout bonnement passées sous silence. Une avocate a également signalé à l’OIP une légitimation de la violence des surveillants pénitentiaires envers les détenus par l’institution pénitentiaire elle-même :

« Trois fois, la directrice a répété à mon client que les surveillants ont le droit d’avoir des actes de violence sur les détenus, mais pas l’inverse. »

Un cercle vicieux

En 1998, à Beauvais, la direction régionale de l’administration pénitentiaire avait déjà été interpellée par des proches de détenus violentés. Elle avait  alors diligenté une enquête interne sur le directeur de l’époque, reprise dans ce rapport par l’OIP pour tenter d’expliquer le comportement de certains surveillants pénitentiaires :

« Ce dernier organise tous les vendredis des «beuveries» au sein de la prison: l’occasion d’un défoulement collectif, donnant lieu notamment à des brimades et humiliations à l’encontre de membres du personnel: des surveillantes sont par exemple contraintes de se déshabiller, leurs seins marqués par des tampons encreurs. L’inspection pointe un mode de gestion «clanique» du personnel, fait de passe-droits et de mesures de rétorsions. »

Liancourt , Valenciennes, Saint-Quentin-Fallavier, Villefranche-sur-Saône ou encore Rémire-Montjoly… Beauvais n’est pas la seule prison à avoir fait parler de ses pratiques.

L’OIP attribue ces violences à plusieurs facteurs :

« Les violences des surveillants résultent de deux phénomènes concomitants : un effet de miroir vis-à-vis du détenu d’une part, et un effet de groupe entre personnels de l’autre »

Et de mobiliser les travaux des sociologues Antoinette Chauvenet, C. Rostaing et F. Orlic pour lesquels ces violences seraient :

 « la conséquence de cette situation de réciprocité socialement construite et initiée par des représentations où la violence répond à la peur, où chacun fait la loi de l’autre dans une circularité et un enchaînement de réactions en miroir sans fin ».

En d’autres termes, un cercle vicieux de la violence, favorisé par des conditions de détention plus que difficiles (surpopulation, oisiveté…) et des conditions de travail qui ne permettent pas d’améliorer la situation puisque de nombreux surveillants font état de harcèlement au travail et de burn-outs. Pour rappel, ces derniers avaient enchaîné plusieurs semaines de grève début 2018 pour dénoncer leurs conditions de travail.


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Photo : AB/Rue89Lyon

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