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Mes thrillers oubliés : Roger Moore affronte « Les loups de haute-mer » dans un rôle à contre-emploi

[Mes thrillers oubliés] L’accroche dit tout, sur l’affiche originale des Loups de Haute-Mer, au design inspiré des James Bond qui ont fait la gloire de Moore : « ffolkes, l’homme qui aime les chats et ignore les femmes, est sur le point de sauver le monde ». A l’opposé des héros aimables et séducteurs qu’il incarne depuis les années 60, le comédien s’amuse à casser son image dans ce thriller maritime au casting 3 étoiles.

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Un casting 5 étoiles.

Une affiche très inspirée de James Bond.

Misogyne et misanthrope

Lorsqu’il se présente à la première Londonienne de son cinquième James Bond, « Moonraker » (1979), Roger Moore arbore une barbe qu’on ne lui avait plus revu porter depuis son interprétation du roi Henri II dans « Diane de Poitier » en 1955. C’est qu’après avoir une fois encore incarné le sémillant 007, Moore s’apprête à partir en Irlande sur le tournage des « Loups de haute-mer », réalisé par Andrew V. MacLaglen, où il incarnera un personnage aussi éloigné que possible de l’agent secret anglais.

« Esther, Ruth and Jennifer », le titre original du roman de Jack Davies à l’origine du film, sont les noms de trois plates-formes de forage situées en mer du nord, prises en otage par une équipe de terroristes qui menacent de les faire sauter si une colossale rançon ne leur est pas payée.

Par chance, le pittoresque Rufus « Excalibur » ffolkes (avec deux petits « f ») a entrainé son commando de plongeurs dans l’éventualité d’une telle attaque, si bien que c’est à lui que les autorités vont faire appel, un peu à contre cœur vu le pedigree du personnage. Car ffolkes n’a rien du héros gentleman tel que Roger Moore les a toujours incarnés. D’Ivanohé à 007 en passant par Simon Templar (Le Saint) et Lord Brett Sinclair (Amicalement vôtre), le comédien décédé en 2017 à 89 ans les a toujours joués, ces héros aimables et séducteurs, de la même façon :

« Quoique je fasse, c’est toujours à moi que ça ressemble » disait Moore.

Très conscient de ses limites et le premier à s’en moquer, Moore n’a jamais véritablement cherché son équilibre d’acteur dans la diversité des rôles.

« Un régal de jouer un type aussi mal élevé »

Trois films, cependant, lui ont permis de quitter brièvement les sentiers battus de l’héroïsme flegmatique : « La seconde vie d’Harold Pelham » (Basil Dearden, 1970), « Machination » (Bryan Forbes, 1984) et ces « Loups de haute-mer » (sobrement intitulé « ffolkes » aux USA et « North Sea Hijack » en Angleterre).

« J’avais croisé Jack Davies dans le sud de la France, se souvient Moore dans ses mémoires (Amicalement vôtre, L’Archipel / 20018). Je lui avais alors confié avoir beaucoup aimé son livre et que je me verrais bien jouer le rôle principal. Il a d’abord pensé que ce serait une terrible erreur de casting mais, j’ai fini par lui faire changer d’avis. Je m’en réjouis encore car c’est un des rôles les plus jouissifs que j’ai interprété ! Misogyne absolu, misanthrope et amoureux de ses chats. Cela a été un régal de jouer un type aussi mal élevé. »

Et le fait est qu’on est loin de James Bond car, dans son château planté sur une côte écossaise, Rufus « Excalibur » ffolkes (il ne sera jamais expliqué l’origine de ce patronyme improbable) entraine son commando de plongeurs d’une main de fer en jurant comme un charretier, lorsqu’il ne s’adonne pas à la broderie entouré d’une colonie de chats, une bouteille de whisky à portée de main et le moins de femmes possible dans son entourage.

Festival du Moore

L’atout indéniable de ce film au demeurant un peu raté, c’est évidemment Roger Moore. Bien qu’il fut plutôt sceptique sur l’enrôlement du comédien dans le rôle principal, (« c’est une telle erreur de casting que ça pourrait marcher ! » avait-il déclaré) l’auteur Jack Davies adouba le comédien en déclarant à la sortie du film, « Roger Moore fait le film à lui tout seul » (dans « Roger Moore, a biography« , par Roy Moseley, New English Library – 1985).

Tout repose en effet sur ce savoureux décalage entre l’image élégante qu’il véhicule depuis le début de sa carrière, et ce personnage odieux et arrogant porté sur la bouteille. Pour un acteur qui, du Saint à James Bond, a collectionné les rôles de gentlemen séducteurs, incarner ce goujat misogyne à du s’apparenter à un délicieux tour de force. Au point que lorsque ffolkes / Moore se lance dans un monologue à l’acide pour expliquer les origines de sa haine des femmes, on regrette que les « Loups de haute-mer » ne soit pas une comédie plutôt que ce thriller un peu mou.

Autour de Moore, un casting de choix. A la tête du groupe de terroristes, Anthony Perkins (« Psychose ») joue à fond la carte du méchant inquiétant. On n’est pas loin de la caricature mais la crédibilité des personnages, on l’a compris, n’est pas une priorité. Plus subtil, James Mason (« 20 000 lieus sous les mers », « La mort aux trousses »…) met ses quarante années de carrière au service d’un rôle d’amiral un peu largué et déboussolé par les manières de ffolkes.

Perkins, Mason & Moore : un casting 3 étoiles.

Tout comme ce dernier, Mason était un grand amateur de chats et il fallut toute la ruse de la production pour lui cacher le fait que la plupart des matous embauchés pour tourner avec Moore furent légèrement drogués afin de ne pas griffer la star. Sans quoi, Mason menaçait de quitter le plateau. De vieux routiers du cinéma britannique, David Hedison, Jack Watson ou George Baker complètent la distribution autour de la comédienne Faith Brook qui propose une version de la Dame de Fer bien plus sympathique que l’originale.

WTF : What the ffolkes ?

Hélas, un scénario original et un joli casting ne font pas tout. Film d’action sans véritablement d’action, « Les loups de haute-mer » laisse un peu sur sa faim. Le film perd un temps infini à suivre les terroristes prenant possession des lieux, au risque de nous donner le mal de mer à force de déambuler sur des ponts de navires soumis au roulis, avant de nous imposer des tergiversations un peu longuettes entre les officiels britanniques et les bad guys. Lorsque ffolkes et ses hommes interviennent enfin, c’est au court d’une séquence un rien brouillonne tournée de nuit dans un décor peu convaincant (d’où le tournage de nuit).

En outre, on a du mal à s’intéresser à l’action du commando libérateur puisqu’on l’a déjà vu s’entrainer auparavant… C’est d’autant plus surprenant que le réalisateur Andrew V. MacLaglen est un vieux routier du genre avec, au compteur, quelques bons films avec John Wayne (« Les feux de l’enfer », « Les géants de l’ouest »…), et qu’il vient de réaliser (avec Moore) le très réussi et désormais culte « Les oies sauvages ».

On s’étonne aussi que l’action soit si molle avec une bande de cascadeurs capés issus des James Bond (Martin Grace, George Leech et autres Richard Graydon). Quant aux quelques secondes de confrontation entre Perkins et Moore, elles nous font amèrement regretter ce final expédié. La musique de Michael J. Lewis fait ce qu’elle peut pour réveiller tout ça en respectant scrupuleusement les canons du genre, efficace dans les moments de tension mais très caricaturale dans les scènes d’action.

Côté effets spéciaux cependant, de très belles maquettes des plates-formes de forage confirment le savoir-faire des studios britanniques (dans ce cas, les studios de Pinewood). Mais les décors naturels de l’Irlande (Galway et Kinvara) qui passent pour la Norvège, sont sous-exploités. Notons qu’en 1952 fut aussi tourné, au même endroit, un classique de John Ford, « L’homme tranquille » avec John Wayne et Victor MacLaglen, le père du réalisateur des « Loups de haute-mer », Andrew V. MacLaglen.

Quoi qu’il en soit, dans le registre prise d’otage sur un site inaccessible, on est loin de « Die Hard » tant « Les loups de haute-mer » ne doivent qu’à Sir Roger d’échapper de justesse au label « nanar ». Outre la distribution, parfaite, quelques bons moments sauvent toutefois l’entreprise : les savoureuses premières secondes du film que la musique de Lewis ne parvient pas à gâcher… ffolkes absorbé par ses travaux d’aiguilles pendant que se joue le sort des plates-formes de forage…

Le film fut un demi-flop probablement mérité. Moore n’eut pas le temps de s’en désoler et repris le cours de sa carrière de héros fréquentable, Bond notamment, après cette parenthèse récréative qui vient de sortir en bluray.

Les loups de haute-mer / ffolkes, de Andrew V. MacLaglen /1979 / 1h40

 


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Photo : MG/Rue89Lyon

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