Cette piscine est son lieu familier, fréquenté de ses 4 à 18 ans, un lieu d’habitudes et de copains, celui du corps mouvant et modifié ; de limites à trouver.
Dans cette piscine municipale à 80 centimes l’entrée -un tarif en francs établi par la mairie communiste- il y a malgré tout des castes. Celle des nageurs, les vrais, qui lèvent le menton devant les barboteurs divertis et baudruches moyennement flottantes. Irma Pelatan fait partie du clan noble des sportifs à qui est réservée une ligne d’eau. Ce qui n’empêche pas de raconter les corps dénudés, les premiers poils pubiens qui apparaissent, le plongeoir vécu comme une étape initiatique.
Une enfance dans le son silencieux de l’eau (« on nageait des kilomètres mais on restait sur place, dans notre petit bassin […] on travaillait l’art du virage »), dans la matière liquide limitée, dans l’effort érigé en valeur par la famille.
Le club de natation est un centre du monde, minuscule. Le personnel de la piscine, les copines. Un agresseur à l’extérieur. Cette piscine ronde, hors normes (conçue par André Wogensky sur le site que Le Corbusier a entièrement imaginé à Firminy, dans la Loire) est l’écrin d’une enfance mais aussi le poste d’observation de la fin d’une époque.
La narratrice raconte à quel point, tout à coup, alors qu’elle devient adolescente, la marque du paddle prend de l’importance (jusque là, le matériel municipal convenait à tout le monde) ; comment elle entend M.X., l’employé en charge de la maintenance et propriétaire d’un formidable accent stéphanois, parler pour la première fois de Le Pen.
Piscine sans tourisme
Irma Pelatan rappelle que Le Corbusier a créé pour ses constructions le Modulor, un système de mesure spécifique « né du corps, du corps idéal comme lieu de la proportion ». Il n’y a plus de mètre-étalon et, dans l’utopie de l’architecte, le corps se place au coeur de tout geste architectural.
« Tout dans la piscine est calculé comme ça : le banc du collectif à 43,3 centimètres du sol, c’est à dire la section du tibia idéal […]. Mais je me souviens de mes jambes trop courtes, qui battaient l’air au lieu de toucher le sol ; il fallait je crois, monter sur le banc pour accrocher ses affaires taille 5 ans.
Et mon corps, toujours, déborde. »
Dans ce récit court, resserré au maximum et percutant, Irma Pelatan parvient à déployer un propos à la fois politique, poétique et intimiste. Il file droit vers une révélation à elle-même, nécessaire.
Aujourd’hui, dans cette petite commune de la Loire, le site de « Le Corbu » est toujours visité par des touristes venus du monde entier. On sait que ce lieu d’enfance d’Irma Pelatan est « toujours utilisé comme piscine municipale », mais que « l’édifice ne fait pas partie du circuit de visite ».
Dans « L’Odeur du chlore », ce bâtiment ainsi raconté fait bien mieux que satisfaire notre curiosité pour les performances architecturales, il nous ouvre à une superbe auteure.
L’Odeur de chlore, d’Irma Pelata, aux éditions La Contre Allée (paru en mars 2019).
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