Vendredi matin, devant l’entrée du collège Clémenceau, c’est un parcours d’obstacles. A la sonnerie de 8 heures, on compte onze trottinettes de trois opérateurs différents stationnées devant cet établissement du 7e arrondissement de Lyon. Avant de les déposer, les collégiens sont arrivés en trombe voire en slalom. Dans les deux directions d’une rue à sens unique.
« Pour des ados qui cherchent leurs limites, c’est une provocation ! »
Une grappe de personnels discutent au portail. Le sujet de conversation ? Ces trottinettes.
« Depuis quelques mois, on est envahi, lâche une enseignante. Encore aujourd’hui, un de nos élèves s’est fait klaxonner parce qu’il a déboulé devant une voiture. On a peur d’un drame. Deux sont déjà revenus blessés. »
Elle reprend, excédée :
« On voit même que certains opérateurs posent leurs trottinettes autour du collège. Ces engins vont à 25 km/h. Pour des ados qui cherchent leurs limites, c’est une provocation ! On redoute l’accident grave. »
L’intendant arrive et constate cet attroupement de trottinettes. Fataliste, il annonce qu’il va les enlever :
« On va les mettre à la cave. Les opérateurs viendront peut-être les chercher. »
Fleurissement de trottinettes en hiver
Après Lime en octobre, d’autres marques de trottinettes électriques en free floating sont arrivées cet hiver dans les rues de Lyon.
Au total, outre ce pionnier, on trouve cinq marques : VOI, Flash, Wind et Tier.
Le principe est toujours le même : après avoir téléchargé une appli sur son smartphone, l’utilisateur peut flasher un QR code et déverrouiller la trottinette qui se trouve stationnée sur un bout de trottoir, sans être fixée à un quelconque arceau de vélo. A la fin de son utilisation, il suffit de la déposer là où on s’arrête.
On appelle cela du free floating. Et cela est apparu avec les vélos en libre service, Indigo Weel, qui squattent également l’espace public mais aussi, depuis peu, les arceaux.
C’est là l’un des deux principaux problèmes : avec la multiplication de ces nouveaux engins électriques, des trottoirs sont parfois difficilement praticables, notamment pour les personnes à mobilité réduites ou mal voyantes.
L’autre problème concerne leur utilisation en roulant. En fonçant à 25 km/h, ces trottinettes représentent un danger pour les conducteurs et les piétons ou vélos qu’ils croisent.
Taxes et quotas à Paris et Bordeaux
Dans toutes les grandes villes qui ont vu débarquer ces trottinettes en free floating, il y a consensus chez les responsables politiques : il faut encadrer rapidement cette pratique.
Les élus locaux comptaient sur la prochaine Loi d’orientation des mobilités, dite « LOM », pour définir ce nouvel engin à deux roues et fixer les règles du jeu. Mais la « LOM » prend du retard. Et les collectivités locales doivent se débrouiller pour pondre dans l’urgence une réglementation bancale.
S’agissant du nombre de trottinettes, la Ville de Paris vient d’annoncer qu’elle veut limiter leur nombre en les taxant. Une redevance annuelle qui concernera aussi les vélos et scooters en free floating. Le tarif envisagé serait de 50 euros par an pour une trottinette électrique.
A Bordeaux, autre stratégie. Quelques jours avant les Parisiens, les élus bordelais ont également annoncé la mise en place d’un système encadrant ces trottinettes. A double détente. Les opérateurs devront « obligatoirement » signer une charte pour pouvoir obtenir une autorisation d’occupation temporaire du domaine public.
Comme à Paris, cette procédure concerne l’ensemble des véhicules en free floating. Les entreprises seront ainsi limitées en termes d’appareils déployés. Les quotas avancés font état de 200 trottinettes électriques par opérateur.
Une redevance de 10 euros par trottinette et par an est également envisagée.
Par ailleurs, les vélos et les trottinettes devront être obligatoirement stationnés contre des arceaux-vélos publics et sur des stationnements spécifiques que la mairie va multiplier.
C’est notamment pour anticiper ce durcissement des réglementations locales que l’opérateur de vélos en free floating, Indigo Weel, veut obliger ces utilisateurs à attacher leurs deux roues sur des arceaux.
Bordeaux va fixer des quotas de vélos, trottinettes et scooters en free floating
A Paris comme à Bordeaux, des délibérations prévoyant toutes ces mesures seront présentées en avril aux conseils municipaux. Mais aucune ne concerne les utilisateurs de trottinettes (notamment sur la question de la limitation de la vitesse). Sur ce point, à Bordeaux, Paris ou Lyon, on attend la « LOM ».
Lyon, en attendant la Loi d’orientation sur les mobilités
Dans un entretien à La Tribune, Stéphanie Givernaud, conseillère municipale de Bordeaux dit s’appuyer sur le Code général de la propriété des personnes publiques et notamment l’article L2122-1 pour asseoir juridiquement cette tentative d’encadrer les opérateurs.
A Lyon, s’agissant du nombre et du stationnement des trottinettes, les services de la municipalité n’ont pas la même analyse juridique que les Bordelais.
L’adjoint à la sécurité et la tranquillité de la Ville de Lyon, Jean-Yves Sécheresse, en charge du dossier, explique :
« On a affaire à un des engins qui ne sont pas définis par la loi. On attendait la « LOM » pour en savoir plus sur ce qu’on fait. Actuellement, on ne peut mettre en place ni quotas, ni occupation temporaire de l’espace public car on ne sait pas ce que c’est, sur un plan juridique. »
L’élu reconnaît que la Ville de Lyon a « tardé à cause de la LOM qui n’est toujours pas votée ». La municipalité envisage également de faire payer une redevance sur la base de ce que versent les voitures en free floating de Lyon Parc Auto (LPA). Chaque Yea! est ainsi taxée 240 euros par an. Une délibération pourrait être votée en mai prochain.
En attendant, l’adjoint a donné consigne à la police municipale de ramasser toutes les trottinettes qui gênent.
« On les ramasse et on les garde comme des objets trouvés. Les Lyonnais se plaignent et ils ont raison. Mais il n’y a pas de base légale pour aller plus loin ».
Une « charte de bonne conduite pour les activités de location de trottinettes »
Malgré tout, pour tenter de réguler l’activité, les élus devraient voter lundi 25 mars une délibération adoptant une « Charte de bonne conduite pour les activités de location de trottinettes en libre-service sans station ». Ce texte que pourra signer chaque opérateur prévoit « des règles de régulation de son activité, et s’engage à les respecter et les faire respecter par ses utilisateurs ».
La charte lyonnaise précise noir sur blanc qu’il n’y pas de « réglementation spécifique à ce jour ». C’est donc à l’opérateur de s’engager à respecter ce code de bonne conduite, notamment en matière de stationnement :
« L’opérateur s’engage à retirer la totalité ou la majorité de ses trottinettes la nuit à (compléter par l’opérateur) X heure, et à les reposer sur le terrain le matin à X heure. Ces horaires pourront varier selon les saisons. Durant cette repose du matin, il s’engage à privilégier les espaces non gênants pour les piétons et les véhicules.
(…)
En l’absence de réglementation spécifique à ce jour, l’opérateur s’engage à ce que ses trottinettes soient stationnées sans entraîner de gêne aux piétons, véhicules. Dans le cas contraire, elles pourront être enlevées par les services de Police ».
Il n’y a donc pas de mise en place de potentielles zones de stationnement comme à Bordeaux.
« A minima une fois par an », la Ville de Lyon et l’opérateur « conviennent » de se rencontrer. Ce dernier « propose » de communiquer les éléments à la mairie comme le nombre de trottinettes en service, le pourcentage vandalisé et volé et autres « données utiles à la connaissance des flux ».
Nous reproduisons ci-dessous cette charte qu’un opérateur de trottinettes pourrait signer.
Jean-Yves Sécheresse, adjoint à la mairie de Lyon en charge de la sécurité, fixe les limites de cette démarche et prévient :
« Certes, il s’agit d’une charte. C’est du déclaratif et il n’y a rien de contraignant. Mais si les opérateurs ne jouent pas le jeu avec cette charte aujourd’hui, ils pourraient être très mal reçus le jour où la LOM sortira demain. »
Toujours en attendant la loi, la Ville de Lyon prévoit d’organiser cours et stages de sensibilisation avec les opérateurs « qui jouent le jeu ». Notamment pour inciter à porter un casque. Ce qui ne serait pas du luxe.
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