Condamné à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé des actes de pédophilie du père Bernard Preynat dans son diocèse, il a remis sa démission au pape François. Mardi 19 mars, il a fait savoir dans un communiqué que le pape avait refusé sa démission. Toutefois, le cardinal Barbarin a indiqué dans le même temps qu’il maintenait sa volonté de se mettre en retrait, « pour quelque temps ».
Retour sur une carrière fulgurante et parfois turbulente.
1) Un petit prodige à la carrière fulgurante
Philippe Barbarin est né au Maroc. Il naît au sein d’une grande famille catholique de onze enfants décrite comme traditionnelle. Il n’est pas le seul enfant de cette fratrie à rejoindre les rangs de l’Église. Deux de ses sœurs sont devenues religieuses et une troisième est membre de l’organisation catholique conservatrice, l’Opus Dei.
Quand il devient archevêque de Lyon en 2002, il n’a alors que 52 ans. Un âge plutôt jeune pour accéder au poste. Un an plus tard, le pape Jean-Paul II le fait cardinal. Preuve d’une carrière au sein de l’Église jusqu’ici fulgurante.
Ordonné prêtre en 1977, il officie dans différentes paroisses d’Île-de-France jusqu’en 1994. Il laisse le souvenir d’un prêtre plutôt charismatique et à la connaissance théologique solide. Il prend très à coeur son rôle d’aumônier dans différents lycée de la région, pour apporter formation religieuse et surtout tenter de la diffuser.
De 1994 à 1998, il part au séminaire de Fianarantsoa à Madagascar où il officie comme prêtre et professeur de théologie.
« Il y a découvert la pauvreté. C’est un temps qui l’a beaucoup marqué », raconte à FranceTVInfo Jacques Habert, aujourd’hui évêque de Séez, un ami de cette époque francilienne.
Sur place, témoins de l’époque et proches décrivent un prêtre qui entraîne tout le monde dans son sillage et sa foulée de marathonien. Il a gardé un attachement tout particulier a l’île. Une période qui dit-on l’a beaucoup marqué et qu’il n’a pas manqué de célébrer lorsqu’il devient évêque.
C’est l’archevêque de Fianarantsoa qui préside à son ordination suite à sa nomination en tant qu’évêque de Moulins dans l’Allier. Il est ainsi le benjamin des évêques de France. Quatre ans après, il accède donc à l’archevêché de Lyon, poste important et symbolique. Un an plus tard, il devient cardinal.
2) Le missionnaire du pape Jean-Paul II contre le « christianisme cool »
Son ascension fulgurante, il la doit notamment à une certaine proximité avec Jean-Paul II, alors pape en fonction. Mais aussi au soutien du cardinal Lustigier, archevêque de Paris, qui a soutenu sa nomination en tant qu’évêque. Le cardinal Barbarin partage et correspond à la vision de l’Église et son pape d’alors qui avait introduit l’idée de « nouvelle évangélisation » vingt ans auparavant.
Suite à son ordination en tant que prêtre, Philippe Barbarin avait ainsi écrit et envoyé son faire part à celui qui n’était pas encore pape. Un an plus tard, Karol Wojtyla devenait Jean-Paul II. Il partage avec lui cette conviction de réaffirmation et de propagation de la foi catholique dans les pays où elle n’est pas forcément majoritaire. Mais aussi en Europe où le recul de la foi et de la pratique religieuse menacent.
Pour Philippe Barbarin, il faut évangéliser. Si la volonté de porter la parole des évangiles et sa période à Madagascar ont pu lui conférer une dimension de missionnaire, il entend surtout réaffirmer la foi chez les chrétiens. C’est d’ailleurs ce qu’il rappelle en arrivant à Lyon en 2002 :
« S’il n’y a plus beaucoup de chrétiens en France, ce n’est pas mon problème. Mon problème, c’est que nous, chrétiens, ne sommes pas assez chrétiens. Je sais que cela choque mais je le répéterai : le christianisme cool n’a pas d’avenir. »
A son arrivée à Lyon, il fait notamment parler de lui en mettant en place une distribution d’exemplaires gratuits de la Bible le 8 décembre. Une date symbolique à Lyon, qui marque les célébrations en l’honneur de la Vierge Marie et autour de laquelle s’est construit la Fête des Lumières. 500 000 auraient été écoulés, avec l’aide des paroissiens.
Les soirs de la fête de la musique, il a convié des groupes de rock catholiques sur le parvis de Saint-Jean. À l’intérieur, avec l’opération Christ’appel il essayait avec des petites mains de faire naître des vocations.
Le cardinal Barbarin ne veut pas de « catholicisme à la cool » mais tente de soigner ses coups de com. C’est le « monseigneur 100 000 volts ». Une manière d’assumer ouvertement avec des codes plus modernes une doctrine et des fondements qui demeurent classiques. Il envoie alors de la punchline en mode droite catho décomplexée :
« Eteignez la télé et allumez l’Evangile ».
Ou encore :
«Défendez-vous contre ceux qui vous attaquent! Nous ne sommes pas des rats, nous n’avons pas à nous cacher dans les égouts».
3) Un visage social d’ « évêque des pauvres »…
Ses coups de com’, notamment ses distributions de Bible, ne plaisent pas forcément à tout le monde.
« Au lieu de soigner votre look, vous feriez mieux de vous occuper des pauvres », lui rétorquent certains alors à Lyon.
Les pauvres, il s’en occupe aussi. Du moins, il leur montre une certaine considération. Vraie dimension et fibre sociales issues de ses voyages et de son séjour à Madagascar pour certains, coups de com’ pour d’autres.
En 2002, le cardinal Barbarin ouvre ainsi les portes de la cathédrale Saint-Jean à des sans-papiers. En 2013, une salle paroissiale est mise à disposition à Lyon pour héberger des Roms expulsés d’un campement à Villeurbanne. Il leur rend visite, devant les caméras. Rebelote en 2014. Même chose en 2015, lorsqu’un grand squat abritant près de 200 personnes d’origine albanaise sont expulsées dans le quartier de Gerland encore. Les catholiques sont à l’oeuvre pour les aider. Barbarin vient les rencontrer. En 2012 déjà, des Roms avaient été hébergés par le prêtre du quartier de Gerland.
S’il partage une doctrine religieuse forte avec les deux précédents papes, il présente aussi cette fibre plus proche du « pape des pauvres » qu’est censé représenter le pape François. Plus récemment, il s’est ainsi rendu à de nombreuses reprises au chevet des chrétiens d’Orient.
En 2014, il se déplace deux fois à Erbil en Irak auprès de populations chrétiennes réfugiées ayant fui Mossoul tombée aux mains de Daesh. Un jumelage est opéré entre les diocèses de Lyon et celui de la deuxième ville irakienne. Son deuxième voyage, en décembre 2014, est symbolique en pleine fête des Lumières à Lyon. Il transporte alors la célébration locale auprès des chrétiens d’Irak. Sans oublier de faire caisse de résonance avec une opération de com via les réseaux sociaux.
4) … mais à la manoeuvre de la « Manif pour tous »
Tous les portraitistes ou témoins interrogés par les médias ces dernières années décrivent Philippe Barbarin comme « atypique », « à part », « inclassable » ou « complexe ». Ses galons gagnés à un jeune âge dans la maison catholique et ses positions « sociales » savamment relayées en guise de velours ne sauraient cacher une main de fer. Jean-Dominique Durand, figure catholique lyonnaise, universitaire et président de la fondation Fourvière, le décrit ainsi :
« Sa position conservatrice sur le plan des mœurs ne l’empêche pas d’être progressiste et même audacieux sur les questions sociales, le dialogue interreligieux, la solidarité… »
Concernant les questions de mœurs, le cardinal Barbarin reste donc très « tradi ». S’ils ouvrent les portes aux plus démunis, pas question de transiger sur les questions de société. Avortement, préservatif et mariage pour tous : il y est farouchement opposé. Sur, notamment au sujet de l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe, ce sont ses arguments qui sont très durs. À la limite de la provocation dont il n’a peut-être même pas eu conscience.
En 2012, alors que la loi Taubira portant notamment le mariage pour tous est en préparation, il fait cette désormais célèbre saillie craignant qu’il ne débouche sur la polygamie :
« Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera ».
Pour lui, l’instauration du droit au mariage aux personnes de même sexe est un quasi changement de civilisation. L’Église est pour lui porteur des fondements moraux et des valeurs de la société. Comme il rend des comptes à Dieu, il n’y a que les valeurs de l’Église qui peuvent s’appliquer.
Il se retrouve alors au premier rang de la Manif pour tous, son quasi porte-parole, et à la manoeuvre. Il bat alors le pavé aux côtés de Frigide Barjot. Il est ici loin des plus démunis et incarne un catholicisme très droitier au moment où émerge le mouvement Sens Commun. Une organisation qui portera ces convictions sociétales fortes au sein de Les Républicains. Notamment autour de la Lyonnaise Anne Lorne, déléguée nationale du mouvement et pilier de la Manif pour tous que finira par récupérer Laurent Wauquiez sur ses listes pour les régionales en 2015.
On se rappelle aussi que fin 2017, il récompense Romain Guérin à l’occasion d’un concours de poèmes dédiés à la Vierge Marie. L’auteur, actif dans la fachosphère et la mouvance nationaliste, et ses écrits sont pourtant connus du diocèse. Ce dernier assure ne pas l’avoir discriminé ni récompensé en raison de ses positions. À l’occasion de l’élection présidentielle de 2017 il avait voulu étouffer toute suspicion d’accointance avec les idées d’extrême droite. Il avait signé avec d’autres une tribune dans le journal La Croix pour dénoncer le danger du discours nationaliste.
Reprenons. Le Mariage pour tous, c’est non. Le préservatif ? Pas question non plus.
« Je sais que, pour être un prêtre moderne, il faudrait que je dise que je suis pour. Mais je ne peux pas… Puisque je suis opposé à ce que l’on donne son corps à n’importe qui. »
L’avortement est pour le Cardinal Barbarin « le plus grand drame que vit la France ». On est alors en 2013, sur Europe 1, et on débat alors d’une loi sur l’euthanasie. Une disposition à laquelle il est aussi opposée.
« Ni la République ni le corps médical n’est propriétaire de la vie humaine », poursuit-il.
À Lyon, il est aussi des manifs anti-avortement.
En 2015, il fait diffuser un texte cosigné avec des évêques de Rhône-Alpes dans lequel il apporte son soutien à la famille de Vincent Lambert. Ses parents s’opposent depuis de très longues années à l’arrêt des soins qui le maintiennent en vie. Les médecins ont pourtant à plusieurs reprises déclaré son état incurable et se sont même parfois opposés à poursuivre son traitement. Il cherche à peser sur le débat au sein de son institution.
À ce moment-là, l’Église catholique travaille sur le sujet et à travers son représentant sur les questions de bioéthique semble être plus ouverte que lui. Un cas qui illustre sa volonté d’influencer et de peser, parfois contrariée.
5) Un véritable homme d’influence ?
L’épisode de la lettre de soutien aux parents de Vincent Lambert n’a pas fait l’unanimité chez les évêques de France. Ses prises de position et son exposition médiatique, en farouche opposant à la loi Taubira portant sur le mariage pour tous, la GPA et la PMA, n’ont pas fait l’unanimité non plus. Chez ses pairs, certains fidèles ou dans d’autres réseaux d’influence.
Certains médias ont ainsi relevé que malgré la renommée acquise au fil des ans et une carrière fulgurante, il n’a jamais eu de fonction particulière au sein de la conférence des évêques de France. Pour un ami ecclésiastique interrogé par FranceTVInfo, il n’a même « jamais rien fait pour se rendre très populaire auprès de ses frères évêques ».
Pas étonnant alors de ne pas voir le diocèse et ses pairs faire bloc pour l’aider dans la tempête de l’affaire Preynat. Certains, comme le père Vignon en août 2018, vont jusqu’à demander publiquement sa démission.
Le journal La Croix, relève que ses choix « politiques » au moment des deux derniers conclaves réunis pour élire un nouveau pape n’ont pas été gagnants et l’ont même largement desservi.
Largement en accord avec le pape Jean-Paul II, qui l’a fait cardinal, et ses deux successeurs, Philippe Barbarin ne pèse pas pour autant au Vatican. Il n’aurait pas de rôle important au sein de la curie romaine. Avant sa condamnation par le tribunal correctionnel de Lyon, et alors que la pression s’abat sur lui et que certains le pressent de démissionner, il avait reçu le soutien du pape François. Il lui avait maintenu sa confiance dans l’attente d’un éventuel jugement.
Pour le journaliste Gianluigi Nuzzi, spécialiste du Vatican, cela ne fait du cardinal un proche du souverain pontife.
Localement, il a tissé de solides réseaux. Son amitié avec Gérard Collomb, maire de Lyon depuis son arrivée à Fourvière, est souvent évoquée comme solide. Chaque année, le maire de Lyon assiste aux voeux des échevins, cette tradition si particulière et locale. Il a d’ailleurs appelé à ses cotés, Jean-Dominique Durand (voir plus haut), figure catholique lyonnaise, devenu un de ses adjoints.
Mais le cardinal Barbarin est également proche de Nicolas Sarkozy, venu assister en tant que ministre des cultes, à sa prise de fonction à Lyon en 2002.
On le dit également très introduit dans les réseaux francs-maçons locaux. Il a également noué de solides liens avec les représentants locaux des autres principaux cultes, musulman et juif. Il a ainsi ouvertement soutenu le projet de construction de la grande mosquée de Lyon aux côtés du recteur Kamel Kabtane. Ce dernier en 2013 le verrait bien pape.
Son caractère est décrit comme pouvant être parfois hautain ou méprisant en privé malgré un relationnel plutôt facile en public. Il est décrit par certains comme peu à l’aise avec la prise de décision collective, préférant décider lui-même. Pour Henri Tincq, qui l’a rencontré plusieurs fois, il s’est surtout souvent « mal entouré ».
6) Affaire Preynat : le sentiment de « payer pour le péché d’un autre »
L’affaire Preynat, prêtre de la région lyonnaise ayant reconnu des actes de pédophilie sur des jeunes scouts, a donc sonné le glas du cardinal Barbarin. Jusqu’à faire de l’ombre presque aux agissements de ce prêtre. Sa prise de conscience tardive de la gravité des faits, sa gestion de l’affaire en interne et sa communication catastrophique en public ont entraîné sa chute.
Que reproche-t-on au cardinal Barbarin dans cette affaire ? Tout d’abord, de n’avoir pas relevé de ses fonctions le père Preynat. Averti à son arrivée à Lyon de ses agissements graves et anciens puis par des victimes en 2011 et 2014, il ne fera rien.
Pire, le prêtre sera même promu pendant ce temps et toujours en charge d’une paroisse au contact d’enfants. Il sera relevé de sa charge en 2015 seulement. Mais des victimes ont déposé des plaintes et certaines constitué une association, « La parole libérée ».
Comme il le reconnaît lui-même aujourd’hui, il a tardé à prendre conscience de la gravité des faits et de leurs conséquences sur les victimes venues le solliciter.
« Quand j’entendais parler de ces trucs-là, il y a 15- 20 ans, je me disais c’est affreux, c’est indigne, c’est une trahison de ces prêtres d’avoir fait une chose comme ça. Je ne pensais pas directement aux gamins. Maintenant, non, je les écoute. (…) Je me suis aperçu que c’est une destruction profonde de ces personnes… », déclare-t-il à Radio Notre-Dame.
Durant cette affaire, sa communication a été particulièrement chaotique et parfois désastreuse. En plus de ces agissements, il a alors incarné par ses mots malheureux une Église catholique soucieuse d’éviter tout scandale public. Il est devenu malgré lui un des symboles du silence de l’Église et de son incapacité à gérer publiquement et sereinement les cas de pédophilie et d’autres agressions sexuelles dans ses rangs.
Chargement des commentaires…