Cette ambition est portée par un personnage, « le déradicaliseur » qui, face à un prisonnier cherche à dénouer les fils qui l’ont mené en cellule. Rencontre avec le scénariste lyonnais Marc Chinal.
Premier dialogue des deux principaux protagonistes qui se font face dans le parloir d’une prison :
– Vous êtes qui ?
– Une sorte de perceur de coffre.
– Vous voulez voler quoi comme trésor ?
– Je ne suis pas là pour prendre. Mais pour apprendre.
– Je ne dirai rien.
– Pas grave, peut-être que mes paroles vous apprendront quelque chose.
Rien n’est dit des deux personnages, ni fonction, ni passé, tout est suggéré laissant le lecteur libre à toutes les interprétations.
L’histoire évite les écueils de la naïveté et de la caricature qui se dressaient face aux auteurs, tout en conservant un discours qui tendrait presque au pamphlet.
Pleines de convictions, les idées sont justement dosées et permettent la réflexion -sans s’imposer. Comme le dessin, tout en crayonné, qui arrondit les angles et noircit le trait quand le ton l’exige. Les cadrages et les angles de vue nous guident au fil de la narration, en s’affranchissant souvent des codes bédéistes et des cases.
« Comprendre le radicalisme, ce n’est pas l’accepter ni le valider »
Cette bande dessinée s’inscrit dans la fable parfois onirique et la dramaturgie.
Ce n’est pas un documentaire, mais une réflexion autour de thèmes importants, pour le scénariste Marc Chinal :
« Je trouve que ce discours, sur la radicalisation, n’est pas assez présent dans les débats. Ça me fruste énormément ! Il y a beaucoup d’hypocrisie autour de la radicalité. Quelqu’un qui aime Trump, c’est un radical autant que n’importe quel autre. C’est conjoint à beaucoup de religions et même de groupes politiques. Il n’y a pas besoin de rentrer dans l’interprétation des textes religieux pour parler de ces thèmes-là. C’est justement ce qu’il manque au débat, on ne va pas aux racines de cette problématique qui sont la peur et les émotions. »
Marc Chinal a des idéaux que l’on connaît particulièrement à Lyon. L’auteur s’est présenté à de précédentes élections locales sur une liste « décroissante ».
Pour le scénario, il a été inspiré, entre autres, par un documentaire sur « des mecs qui sortent des gens contre leur gré de sectes, aux USA, pour les déprogrammer ». Mais là, son approche est différente.
« Je résume « Le Déradicaliseur » en disant que c’est l’histoire d’un mec qui remplace les points d’exclamation par des points d’interrogation. Le but est de créer le doute.
Les gens qui en viennent à la radicalité, c’est parce qu’ils ont quelque chose qui ne vas pas. Ils se recentrent sur un truc bien maitrisable, où il n’y a plus de doutes. Quand il n’y a plus de doute, ton esprit est mort. J’ai cherché à comprendre ces mécanismes. Mais attention, comprendre le radicalisme ce n’est pas accepter ni valider. »
« Le dessin est la réalité augmentée du texte »
Le travail sur le scénario a permis au projet de se construire rapidement grâce à « un exploit du dessinateur », Mathieu Bertrand :
« Pour cette BD, le dessin s’est fait en 2 mois, c’est un exploit. La précédente, « Le Début d’un nouveau monde », nous avais demandé trois ans de travail en tout. Là, Mathieu a attaqué directement le dessin au fusain et au crayon, pour garder la force du trait. Il sortait quatre planches par jour. Le scénario était prêt mais on l’a retravaillé ensemble. »
Marc Chinal poursuit :
« Le dessin est la réalité augmentée du texte. Comme on traitait d’un sujet glissant, c’est lui qui a eu l’idée du « dieu banane ». Et cette métaphore nous permet d’aller jusqu’au bout du raisonnement en mettant de la distance, sans dénigrer. »
Maintenant que son livre est sorti, l’auteur aimerait qu’il ouvre au débat :
« On commence à contacter les centres de documentation et d’information, j’aimerais que ça serve de base à des débats dans les écoles. Le support BD, c’est l’interface idéale pour rencontrer un public qui ne voudrait pas ‘se prendre la tête avec des bouquins’. C’est celui qu’il faut aller chercher.
Ce sujet fout un peu la trouille, c’est délicat de l’amener dans les écoles, alors que c’est essentiel. On attend de voir ce qui va pouvoir se faire. »
Ce petit livre nous donne de quoi nous interroger sur les radicalités qui peuvent poindre -en chacun de nous. Il permet, sans donner pour autant de solutions miracles de se prendre à rêver qu’elles existent.
« Le Déradicalisateur » scénario de Marc Chinal et dessins Mathieu Bertrand – éditions RJTP (Réfléchir n’a Jamais Tué Personne) – 12,5€
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