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Lyon, au carrefour de la mobilisation des « gilets jaunes »

Depuis le 17 novembre, le centre-ville de Lyon est devenu progressivement le rendez-vous de « gilets jaunes » qui manifestent chaque samedi, en provenance de toute la région. De Bourgoin-Jallieu, Montélimar, des Coteaux du Lyonnais et même de Haute-Savoie. Portraits de ceux qui revêtent des gilets jaunes pour manifester à Lyon.

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Photo souvenir place Bellecour pour Myriam et Jean-Luc, avant le départ de la manifestation. ©MG/Rue89Lyon

« Il vaut mieux être 10 000 à Lyon que 50 à Chambéry »

Mégaphone à la main, elle harangue les « gilets jaunes ». « Suivez-nous, on bloque l’autoroute ! ». Il est 16h ce samedi 19 janvier et le cortège disloqué des manifestants se cherche un itinéraire sur l’A7, à Perrache, après avoir fait le tour de la Presqu’île de Lyon.

A ce moment de l’après-midi, cette quarantenaire accompagnée d’une poignée d’autres « gilets jaunes » de Bourgoin-Jallieu mène une marche qui a compté environ 2000 personnes. Entre deux harangues et des « Macron démission », elle nous explique qu’elle et ses camarades viennent à Lyon pour se « faire voir » :

« A quoi cela sert-il de faire coucou sur un rond-point ? Lyon, c’est là où il faut être si on veut faire parler de nous. Parce que c’est la deuxième métropole de France ».

Selon cette meneuse berjalienne, la majorité des « gilets jaunes » du secteur du Nord-Isère sont « montés » à Lyon.

« Après l’évacuation et la destruction de notre cabane, nous sommes revenus sur notre rond-point. On continue à y faire des réunions, on est une dizaine, en semaine. Mais le samedi, on est à Lyon. Il vaut mieux être 10 000 à Lyon que 50 à Chambéry. »

A l’image de ce groupe de Bourgoin-Jallieu, nous croisons depuis la fin décembre de plus en plus de « gilets jaunes » qui ont délaissé les péages et ronds-points, évacués pour la plupart, pour se concentrer, le samedi, sur une manifestation régionale. Cette sur-représentation de la très grande périphérie lyonnaise s’est également constatée devant la justice, en comparutions immédiates.

Et le lancement le 15 janvier du « grand débat national » n’a pas démobilisé.

Lyon est devenue la capitale du nord de la région pour les « gilets jaunes ». Pour le sud, ce samedi 19 janvier, Valence a vu converger autant de manifestants qu’à Lyon, pour la deuxième semaine consécutive.

« On est aussi là pour changer le regard sur nous, les gitans »

Ce samedi 19 janvier, ce n’est que la deuxième manifestation qu’il fait à Lyon. Au milieu de la foule, Don-Niglo, 30 ans, se distingue avec son drapeau Rom. D’autres « gilets jaunes » l’apostrophent : « vous manifestez pour une roue ? [l’un des symboles du drapeau, ndlr] ».

Il doit alors expliquer qu’il s’agit du « drapeau des gens du voyage ». D’autres nomades, comme ces forains de Bourgoin-Jallieu, viennent le retrouver et manifestent sous ce drapeau.

Don-Niglo dans le centre de Lyon, le drapeau Rom à la main, avec écharpe et lunettes de piscine pour se protéger des gaz lacrymogènes. ©LB/Rue89Lyon

Don-Niglo a voyagé avec une dizaine d’autres « gilets » de Haute-Savoie. « Des gitans et des sédentaires ». Depuis l’évacuation de leur rond-point, ils occupent un terrain privé sur la route nationale entre Thonon et Annemasse. Sur ce bout de terre, « gitans et sédentaires » sont mélangés :

« On est aussi là pour changer le regard sur nous, les gitans. Au départ, sur le rond-point, ils se méfiaient de nous et pensaient qu’on allait voler des choses. Aujourd’hui, leur vision a changé et on manifeste ensemble. C’est le mouvement des « gilets jaunes » qui a fait ça ».

Don-Niglo se tire l’équivalent d’un Smic en vendant des bijoux de fantaisie sur les marchés. Après avoir payé ses cotisations et « 300 euros d’eau et d’électricité pour la caravane », il ne lui reste que « 40 euros par semaine pour payer la nourriture, l’essence et les cigarettes » :

« On en a marre. On ne peut plus rien faire sans payer. On ne s’en sort pas. Le grand débat ne changera rien du tout. Le jour où ils s’occuperont du porte-monnaie, on arrêtera de manifester. »

Et ne parlez pas des élus et politiques à Don-Niglo qui n’a voté que deux fois -blanc :

« Je ne comprends rien et ne veux rien comprendre. Ils ne créent des lois que pour leurs intérêts ».

« Tout augmente mais jamais rien ne baisse »

« Il faut montrer qu’on est toujours là. C’est pour ça qu’on se rassemble dans les grandes villes. »

Michaël fait partie de ses nombreux « gilets jaunes » du Nord-Isère que nous avons croisés les samedis depuis le début du mois de janvier. Depuis trois semaines, il manifeste à Lyon en compagnie d’amis du groupe formé autour du péage de Saint-Quentin-Fallavier.

« Dans la semaine, on fait quelques actions de blocage dans la Plaine de l’Ain notamment. Et le samedi, on vient à Lyon ».

Pour Michaël, ce mouvement est une première.

« Je n’avais jamais manifesté avant cela. Mais là, ça a été la goutte d’eau. Tout augmente mais jamais rien ne baisse. On a tous ça en commun : on en a marre de payer pour les gros ».

Michaël et une amie « gilet jaune », sur l’autoroute A7 le 5 janvier. ©LB/Rue89Lyon

Ancien chef d’équipe dans la logistique, à 40 ans, il s’est reconverti dans la restauration à Crémieu.

« J’ai monté ma propre affaire. Mais depuis un an, je n’ai toujours pas de revenus. Et ce n’est pas faute de se lever le matin ».

Il veut « valoriser le travail » en « supprimant des taxes » et en arrêtant « le gaspillage dans certains services publics ». Issu d’une famille ouvrière « de gauche », il a voté Nicolas Sarkozy en 2007 pour le slogan « travailler plus pour gagner plus » ; puis blanc en 2012. Aux dernières présidentielles, il a voté Dupont-Aignan puis Marine Le Pen au second tour.

Féru de politique, il analyse la « séquence » sur le grand débat national :

« Le débat national est une bonne chose. Il faut discuter mais ça ne va rien changer car il est porté par Macron qui est reparti en campagne. Et on n’a plus confiance dans Macron. »

« J’essaye de me faire oublier en venant à Lyon »

Bruno est venu en voisin, de Messimy, dans les Coteaux du Lyonnais. Il a fait les dix « actes », soit les dix manifestations.

« Vers chez moi, il n’y a que des riches. Il ne se passe rien. J’étais à Villefranche-sur-Saône mais je me suis fait arrêter par la gendarmerie sur un rond-point. Donc j’essaie de me faire oublier en venant à Lyon ».

Comme de nombreux autres « gilets jaunes », c’est le « pouvoir d’achat qui l’a amené sur un rond-point puis en manifestation :

« Quand j’arrive à payer les factures et les charges en fin de mois, je m’estime heureux ».

Cet artisan plombier de 56 ans, aujourd’hui en arrêt maladie, regrette son statut précédent :

« Si c’était à refaire, je resterais salarié. C’est dur d’être artisan à cause des charges mais aussi des assurances de plus en plus élevées. »

Bruno, place Bellecour, toujours un drapeau français et un gilet jaune. ©LB/Rue89Lyon

Tous les samedis, il met son gilet jaune et empoigne son drapeau français. « Par fierté » et non pas comme le signe d’une quelconque appartenance politique :

« Je vote, mais ça ne va jamais. J’ai tout essayé. En 2012, j’ai voté Hollande et en 2017, j’ai voté blanc ».

Il n’allait « certainement pas » voter pour Emmanuel Macron, le « banquier » :

« A cause de mauvais payeurs, je paye 7000 euros d’agios par an ! »

Un selfie place Bellecour

Place Bellecour (Lyon 2e), des « gilets jaunes » prennent des photos en souvenir. Parmi eux, Myriam et Jean-Luc. Des manifestants bien organisés. Elle est d’Ambérieu-en-Bugey (Ain) et lui de Valence (Drôme).

« On fait une semaine dans la Drôme à Valence et une semaine dans l’Ain à Bourg-en-Bresse ou dans le Rhône. Ce samedi, c’est Lyon ! »

Photo souvenir place Bellecour pour Myriam et Jean-Luc, avant le départ de la manifestation. ©MG/Rue89Lyon

Ils ont d’abord commencé tous les samedis sur un rond-point d’Ambérieu, évacué désormais :

« Nous avons de bons emplois, et des salaires corrects. D’autres sont plus à plaindre. Nous sommes là pour une société plus juste, qui partage ses richesses », explique Jean-Luc.

Qui ajoute :

« Ce pays est corrompu, et ça date d’avant Macron. Sarko et les autres, ils n’iront jamais en prison. »

Myriam complète :

« Nous, on fait une manif et, hop, on se fait arrêter et on se retrouve en prison. C’est honteux ! »

« De meilleurs salaires, plus d’égalité et de solidarité », résument-ils. Le « grand débat national », ils vont le suivre « par curiosité » mais n’y croient pas.

Leur ambition est de participer pour « faire nombre », à l’occasion de leur première manifestation lyonnaise.

« A Clermont, les gens discutent avec les CRS, ici il y a trop de tension »

Professeur de Français remplaçante, Alice, trentenaire, venue d’un petit village proche de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), manifeste pour la première fois à Lyon.

« En mission proche de Lyon, j’en ai profité pour venir voir, d’habitude je manifeste à Clermont. »

Alice, de Clermont-Ferrand, accompagnée de sa belle-sœur Lucille, pour sa première manifestation à Lyon. ©MG/Rue89Lyon

Elle est « séduite par les possibles qu’ouvre ce mouvement », évoquant les discussions spontanées entre « gilets jaunes » qui, « sans ça, ne se seraient jamais parlé ». Curieuse, elle a aussi fait le tour de quelques ronds-points.

« Dans la vie, il faut tout essayer. C’est intéressant de comparer. »

Alors ?

  « A Clermont, c’est plus familial et plus encadré, on discute même avec les CRS. Ici, il y a de la tension. Je voulais déjà faire le déplacement mais les gens ont peur de venir à Lyon. »

Elle manifeste d’habitude en compagnie de membres de sa famille ou d’amis, dont les noms sont inscrits sur son gilet.

Mais ce samedi 19 janvier, seule sa belle-sœur Lucille, de Champagne-au-Mont d’Or, l’a accompagnée. Une première pour elle, même si elle soutient les contestataires depuis décembre.

Manifester et soigner pour joindre « l’utile à l’utile »

Ce groupe de quatre personnes se distingue par la présence de croix rouges dessinées sur leurs gilets jaunes. Patricia, Jonathan, Éric et Emmanuelle, venus en covoiturage de l’Isle-d’Abeau (Isère) ont ramené avec eux des trousses de soins.

Tous formés au secourisme, ils se sont organisés.

« J’estime qu’il y a trop de violences gratuites de la part de la police contre les « gilets jaunes », donc on porte secours », explique Jonathan.

« Mais pas aux casseurs. Qu’ils assument », complète Emmanuelle.

Issus du péage de Saint-Quentin-Fallavier où ils se sont fait « bloquer, gazer, matraquer », ils vont désormais manifester à Grenoble ou à Lyon.

Éric, Patricia, Emmanuelle et Jonathan sont venus manifester mais aussi secourir les « gilets jaunes ». ©MG/Rue89Lyon

Chacun sa motivation :

– Emmanuelle, 33 ans : « Je suis là pour mes enfants, pour leur avenir. »

– Jonathan, 25 ans : « J’en ai assez de travailler pour payer les factures et ne pas pouvoir me faire plaisir. »

– Patricia, 47 ans, auxiliaire de vie : « Pour moi, il n’y a plus de loisirs, pas de sortie, pas de vacances. Les fins de mois sont difficiles à boucler. »

Chacun souhaite que son quotidien s’améliore, mais ils ne comptent pas sur les cahiers de doléances qui, pour eux, « ne servent à rien ».

« La fraternité, on la crée entre ‘gilets jaunes’, dans la rue »

Venu de Montélimar (Drôme) avec sa sœur, Noé arpente la place Bellecour avant le départ du cortège. Habitué des petits boulots, il s’est impliqué dès le 17 novembre sur un rond-point :

« J’ai ramené tout ce que j’avais dans mes placards et j’ai assuré les gardes de nuit jusqu’à Noël. »

Noé est venu de Montélimar pour « fraterniser » avec les autres « gilets jaunes ». ©MG/Rue89Lyon

Il a aussi manifesté à Paris et regrette qu’on n’entende pas parler davantage de Lyon.

« Il faut que ça bouge. On nous dit liberté, égalité et fraternité, mais on n’est pas libres ni égaux et la fraternité, on la crée ici. »

Noé « flippe » des tirs de flash-ball, mais il se mobilise pour voir évoluer les « valeurs de la société ». Pour lui, les « gilets jaunes, c’est comme lorsque la neige tombe » :

« D’habitude, tu ne parles avec personne et, d’un coup, tu parles avec tous tes voisins. On n’est plus seul. »


#Gilets jaunes

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Photo : MG/Rue89Lyon

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