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Mes thrillers oubliés : « Deux hommes en fuite », une cavale signée Joseph Losey

[BLOG] En 1970, Joseph Losey vient d’essuyer deux fameux revers avec ses deux derniers films, Boom ! avec la paire Elizabeth Taylor/Richard Burton, et Cérémonie secrète avec la même Madame Taylor et Robert Mitchum. Des bides coûteux qui le font accepter, un peu à contre cœur, de mettre en scène Deux hommes en fuite, film de …

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Joseph Losey. DR

[BLOG] En 1970, Joseph Losey vient d’essuyer deux fameux revers avec ses deux derniers films, Boom ! avec la paire Elizabeth Taylor/Richard Burton, et Cérémonie secrète avec la même Madame Taylor et Robert Mitchum.

Des bides coûteux qui le font accepter, un peu à contre cœur, de mettre en scène Deux hommes en fuite, film de commande adapté d’un roman de Barry England. Ça part mal, le seul aspect de cette histoire que Losey ne déteste pas, c’est son titre, Figures in a landscape.

Robert Shaw au secours du scénario

Ce roman qui raconte la fuite de deux hommes évadés d’un camp de concentration en Corée, Jospeh Losey le trouve extrêmement violent et c’est à contre cœur qu’il accepte de remplacer le réalisateur Peter Medak qui vient de se retirer du projet.

Plusieurs scénaristes se sont déjà attelés sans succès à la tâche et c’est finalement le comédien Robert Shaw, également romancier et metteur en scène de théâtre, qui accepte de tout réécrire avant que le tournage ne commence.

En fait, Shaw ne livrera jamais une version finie du scénario et continuera de travailler dessus chaque jour sur le tournage du film, tout en incarnant l’un des deux hommes en fuite (après que Peter O’Toole fut envisagé). 

Devenu célèbre grâce au rôle de Grant, le tueur blond qui affronte 007 dans Bons baisers de Russie (Terence Young, 1963) Shaw est une figure bien connue du cinéma britannique alors que Malcolm McDowell, qui jouera le second fuyard, n’apparaîtra que l’année suivante dans Orange Mécanique de Stanley Kubrick, son rôle le plus fameux. 

Tourné en Espagne vers Malaga et dans la Sierra Nevada, le film s’éloigne très vite du roman. A l’instigation de Shaw et avec la bénédiction de Losey, il devient une étonnante chasse à l’homme, volontairement mystérieuse.

On ne sait rien de ces deux hommes qui courent à corps perdu dans ces décors arides. On ne sait pas d’où ils viennent, pourquoi ils sont menottés les mains dans le dos, ni qui est à bord de cet hélicoptère qui surgit régulièrement de derrière une colline pour les prendre en chasse, jouer avec eux comme un chat avec deux souris, avant de disparaitre derrière une autre colline.

Dans quel pays sommes-nous ? On ne le sait pas non plus. Qu’on fait ces hommes ? Pas un mot, mais leurs échanges révéleront quelques détails de leurs vies, de leur parcours et personnalité. 

On pense un peu à La Chaîne (Stanley Kramer, 1958) où Tony Curtis et Sidney Poitier sont deux forçats qui s’enfuient enchainés l’un à l’autre. Ici, Robert Shaw est Mac, un homme dur et violent, volontiers grossier. Un fonceur. Pas très fin, il le dit lui-même. 

Malcolm McDowell est Ansell, jeune homme d’apparence plus fragile. Plus influençable et réservé, peut-être un peu mieux éduqué et probablement issu d’un milieu plus bourgeois que Mac le prolétaire. Mais les deux hommes sont dangereux, ils peuvent tuer.

« On a pas besoin d’aimer ces personnages, expliquait Losey à la sortie du film. On peut sympathiser avec eux, les comprendre ou partager leur colère mais je n’ai pas voulu faire en sorte qu’on les aime.Je voulais éviter tout sentimentalisme. J’ai horreur de ça. C’est un piège et j’ai cherché à l’éviter à tout prix ».

Joseph Losey. DR

« On pue comme des boucs. Dégueulasses ! »

Du roman d’England, Losey n’appréciait que le titre original, Figures in a landscape (silhouettes dans un paysage) et il ne s’en est jamais éloigné car c’est bien de cela qu’il s’agit, de deux types cavalant à travers une multitude de décors, prés, forêts, collines, montagnes et falaises, jusqu’aux vastes étendues de neige fondue qu’ils cherchent à atteindre sans trop savoir si la pureté des cimes espérées sera synonyme, pour eux, de liberté. La nature qui leur était hostile, ils finissent par s’y fondre, et pour le jeune Ansell, la découverte n’est pas joyeuse :

« On pue comme des boucs. Dégueulasses ! Dieu de dieu de dieu, c’est pas possible qu’on en soit arrivés là, c’est pas possible. On est morts ! C’était de la folie d’essayer ! On se traîne, on égorge avec des rasoirs ! On se mouche dans nos doigts, on déchire avec nos doigts, on se torche le cul avec nos doigts… Mon Dieu, on est pire que des bêtes ! »

Mais en devenant des bêtes, les deux hommes se découvrent et s’amadouent. Leurs différences s’estompent sous la crasse et dans la trouille. 

Ainsi, Robert Shaw est brillant autant qu’hypnotisant lorsqu’il livre un long monologue sur sa femme, plus à destination du spectateur semble t-il, que pour Ansell éreinté qui pionce en boule derrière lui.

Un monologue qui, dans la forme plus que dans le fond, n’est pas sans rappeler celui que Shaw livrera cinq ans plus tard dans cette scène mythique et glaçante des Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) où Quint, le chasseur de requins qu’il incarne, raconte à ses camarades le naufrage de l’USS Indianapolis dont il fut rescapé et où les trois-quarts de l’équipage furent dévorés par les requins. On retrouve d’ailleurs dans le personnage de Mac quelques relents du jusqueboutisme un peu dingue du Quint des Dents de la mer, et le fait que leurs deux monologues aient été écrits par Robert Shaw n’est certainement pas un hasard.

Un western abstrait

Quelle que soit la lecture que l’on peut faire de l’atmosphère du film, Losey est parvenu à la rendre oppressante, une sorte de cauchemar éveillé.

Sans que ce ne soit jamais spécifié, on imagine l’action se déroulant dans un pays totalitaire avec ces militaires omniprésents (et leurs supérieurs à larges casquettes et lunettes noires) qui n’hésitent pas à incendier les terres des paysans pour en faire sortir les deux fuyards qui s’y étaient dissimulés, et bien sûr cet hélicoptère inquiétant dont on ne verra jamais le pilote (à l’instar du chauffeur de camion dans le Duel de Steven Spielberg), accentuant le côté menaçant.

« C’est une situation qui se retrouve dans beaucoup d’endroits dans le monde, explique Losey en 1970, où les gens doivent lutter contre l’oppression et l’impérialisme, et ce n’était pas crucial de préciser si cela se déroule au Vietnam, au Nigeria ou en Angola. »

La musique de Richard Rodney Bennett, très éloignée des musiques de film d’action conventionnelles, n’est jamais dans la description fidèle des scènes, mais plutôt abstraite et décalée comme ces violons stridents qui accompagnent le ballet de l’hélicoptère à la recherche des deux évadés. Visuellement, le film est superbe, agrémenté de longs plans aériens tandis que les décors s’enchainent au fil de la cavale, tous aussi spectaculaires les uns que les autres.

Deux hommes en fuite fera un bide au box office. Trop obscur, trop ambigu (on en vient à soutenir deux types pas très fréquentables) et trop mystérieux peut-être.

« On peut prendre ce film comme une sorte de western, déclara Losey, ou de film d’aventure. Mais j’ai souhaité que ce soit autre chose. C’est une fable, une sorte d’allégorie. Les deux hommes ne progressent pas beaucoup dans leur fuite, mais ils progressent dans leurs rapports l’un avec l’autre ».

A sa sortie, rendant Losey plus amer encore à son égard, le film fut quelque peu « charcuté » et son montage initial modifié. Il demeura introuvable pendant de nombreuses années, et finalement oublié. Il est ressorti récemment dans une belle édition bluray, avec en prime, une interview de Joseph Losey datant de 1970  traduite par Bertrand Tavernier.  

Deux hommes en fuite (Figures in a landscape), de Joseph Losey, 1970, 109 mn.


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