Le titre original de Commando pour homme seul est, comme souvent, très éloigné de sa traduction : When eight bells toll est une expression maritime signifiant la fin, plus précisément la fin de la période de veille pour un marin et, dans une oraison funèbre, la fin de sa vie.
On comprend qu’il va être question de bateaux et de mort dans ce film d’espionnage au scénario conçu par Alistair MacLean (1966) d’après son propre roman éponyme écrit en 1966 (titre français : 48 heures de grâce). MacLean est loin d’être un novice pour avoir déjà transformé en carton cinématographique l’un de ses plus fameux bouquins, Quand les aigles attaquent. Bref, nous voilà entre de bonnes mains.
De quoi est-il question dans ce Commando pour un homme seul ? Après la disparition de plusieurs bateaux au large des côtes écossaises, les services secrets anglais envoient sur les lieux un agent spécialiste des questions maritimes, Philip Calvert (Hopkins).
Situation classique, le type est arrogant et ne supporte pas la hiérarchie.
« Comme tous les hommes travaillant dans des domaines spécialisés, vous avez une attitude douteuse envers l’autorité » lui lâche Robert Morley, vieux routier des comédies anglaises qui joue ici à fond la carte de l’officiel autoritaire qui ne supporte pas l’indiscipline.
Sur place, dans un décor aussi écossais que possible, Calvert est fraichement accueilli et les embruns n’y sont pour rien.
Mais que vient faire Tintin ici ?
Car l’un des atouts de ce film, c’est sa distribution. Dans un rôle initialement proposé à Orson Welles, Jack Hawkins (Le pont de la Rivière Kwaï, Ben Hur, Lawrence d’Arabie) affiche toujours cette attitude d’épicurien débonnaire même si son cancer de la gorge le prive désormais de la parole (il sera doublé par le comédien Charles Gray jusqu’à sa mort en 1973).
Enigmatique et silencieuse, Nathalie Delon vient semer le doute dans l’esprit de Calvert-Hopkins tandis que Ferdy Mayne, spécialiste des rôles d’ordures élégantes pourvu d’une vaste palette (du gangster italien à l’officier nazi) achève ce triptyque haut en couleurs, épaulés par un aréopage de seconds couteaux sélectionnés dans les pages de l’annuaire des « tronches de méchants ».
Lâchez ce petit monde dans le cadre inhospitalier des côtes écossaises près de l’île de Mull, ces petits ports déserts battus par les vents, ces cimetières aux pierres tombales affaissées, ces rochers escarpés et tranchants où sommeillent de sinistres épaves, ces criques interdites… et vous obtenez, à défaut de toujours bien comprendre ce qui motive les allées et venues de Calvert, une ambiance qui n’est pas sans rappeler l’album de Tintin, L’île noire.
Moins huit kilos pour Anthony Hopkins
Etienne Périer, cinéaste belge (Un meurtre est un meurtre, Un si joli village…) a cependant su saupoudrer son film de quelques touches d’humour qui ne viennent pas, comme on pourrait le craindre lorsqu’il commence à cabotiner, du personnage de Robert Morley, mais bien de celui d’Anthony Hopkins, l’agent Philip Calvert, dont la froideur et la détermination diffusent une ironie glaçante, notamment lorsqu’il se justifie auprès de Nathalie Delon d’avoir exécuté manu militari un trio d’assassins venus attaquer son bateau.
Davantage que son intrigue, sans révéler le pot aux roses, une bête histoire de vol d’or, Périer aime ses décors qu’il filme avec gourmandise (la scène du vol en hélicoptère au-dessus des falaises et des châteaux en ruines est somptueuse).
Mais il aime surtout son acteur, Hopkins, qu’on ne verra plus beaucoup s’agiter de la sorte dans un film, excepté peut-être dans Un Pont trop loin (Richard Attenborough, 1977).
Pas vraiment taillé pour l’aventure, le comédien suivra un régime drastique pour le film, supervisé rien moins que par le légendaire Bob Simmons*, cascadeur historique des James Bond. Ce dernier raconte (dans son autobiographie Nobody does it better) :
« Lorsqu’il a signé son contrat pour le film, Hopkins était un peu en surpoids, si bien qu’avant que ne débute le tournage, il est venu s’installer chez moi où, sous ma supervision et celle de ma sœur qui s’est occupée de son régime, il a perdu dans les huit kilos, ce qui a été un grand bonheur pour lui ».
Epoque bien révolue où la star d’un film venait squatter chez un cascadeur pour perdre du bide.
Et pendant ce temps-là, James Bond…
Quoiqu’il en soit, sans la présence du futur Hannibal Lecter au générique, ce petit film d’aventure très bien filmé ne serait… qu’un petit film d’aventures très bien filmé.
L’interprétation froidement imperturbable de Hopkins, ce soupçon d’arrogance amusée, le placent un cran au-dessus des films du genre et de l’époque, notamment ces ersatz poussifs de Bond qui embouteillèrent les écrans.
Conscient de ses atouts, l’agent Philip Calvert tenta même sa chance lorsque la destinée de 007 connut quelques turbulences. Ainsi, lorsqu’en 1970 fut lancée la production de Commando pour un homme seul, la série des James Bond traversait une période délicate de sa longue histoire.
Sean Connery avait quitté le rôle en pleine gloire et son remplaçant le temps d’un film, George Lazenby dans Au service secret de Sa Majesté (1969), n’avait pas emballé les foules.
Se croyant débarrassés de cet envahissant concurrent, les producteurs de Commando pour un homme seul, Elliott Kastner et Jerry Gershwin virent dans cette situation une chance de lancer leur propre série en faisant revenir l’agent Calvert dans de futures aventures, toujours écrites par Alistair MacLean.
A condition que ce premier film remporte suffisamment de succès pour assurer une suite, ce qui ne fut pas le cas, condamnant le projet. Comme on le sait, Connery signa pour un ultime James Bond** et la série repartit de plus belle avec Roger Moore.
Commando pour un homme seul / When Eight Bells Toll / Etienne Périer, 1971, 94 mn.
Commando pour un homme seul vient de sortir en dvd et bluray chez Rimini Editions.
*Dans le film, Simmons joue le rôle du garde endormi que Calvert réveille en lui versant de l’alcool sur le visage.
**Quelques effluves bondiennes émanent cependant de ce Commando pour un homme seul, dans le traitement de l’action et des rebondissements ainsi que dans son final explosif (tourné aux Studios de Pinewood, fief des James Bond). Tout comme dans sa musique et son thème aux cuivres triomphants, composé par Walter Scott, qui devint Angela Morley en 1972 et fut la première artiste ouvertement transgenre à être nommée aux Oscars pour la B.O. du Petit Prince (Stanley Donen, 1974).
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