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Voter avec son estomac : « Le consommateur doit assumer ses choix dans les rayons »

Les récents scandales alimentaires, les débats sur l’utilisation de pesticides ou les conditions d’abattage et d’élevage se succèdent dans les articles d’actu. Comment parvenir à traduire en acte ses attentes éthiques ou alimentaires ? Le thème a été abordé au Musée des Confluences dans le cadre du festival La Chose Publique. Agriculteur, consommateur et chercheur ont tenté de proposer des pistes pour, dans un premier temps, tenter de se comprendre.

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débat "voter avec son estomac" à Lyon au festival La chose Publique

Deux mondes qui ne se connaissent pas ? Producteurs et consommateurs seraient en décalage. Les premiers ne percevraient pas clairement les attentes des seconds -qui se voient reprocher de renvoyer un message contradictoire.

La question du bien manger ou du manger sainement est incontournable, prégnante. Les scandales alimentaires, encore récents comme celui de Lactalis, le débat sur les pesticides comme le glyphosate ou les vidéos choc de L214 tournées dans des abattoirs agissent comme des moteurs de la sensibilisation à ces questions.

Table-ronde sur le thème « Voter avec son estomac : vers le militantisme alimentaire » dans le cadre de La Chose Publique 2018. Photo BE/Rue89Lyon

Si la prise de conscience semble s’avérer au fil du temps, il reste encore du chemin à faire pour passer à l’étape suivante : accorder ses principes à son mode de consommation. Ce qui nécessite, au vu des débats, d’ « avancer en commun ».

« On racle la peau, la merde… Bon appétit ! »

Cette nécessité exposée a transpiré des propos de Mauricio Garcia Pereira. Il travaillait dans l’abattoir de Limoges et l’a quitté après avoir dénoncé certaines pratiques qu’il relate dans un livre.

Il a décrit une nouvelle fois le rythme des chaînes d’abattage, les conditions difficiles de travail pour les employés et celles de traitement des animaux. À chaque fois ou presque ses propos ont déclenché les applaudissements de la salle.

« La chaîne qui ne s’arrête jamais, c’est celle des vaches. Le rythme c’est 35 à l’heure, on tue une vache toutes les minutes et demi. On ne pas s’arrêter. Si tu veux continuer à travailler tu dois te taire et ne pas parler de maltraitance animale. Alors au départ j’ai tenu, à tous les postes.

J’ai vu des tonnes, des tonnes, des tonnes de merde, les corbeaux qui mangent les yeux des carcasses… (…) J’ai vu des carcasses tomber, on les ramasse, on les vide, on racle la peau, la merde et le vétérinaire vient mettre le tampon « apte à la consommation humaine ». Bon appétit ! »

Pour lui, il faut que les contrôles dans ces lieux soient plus efficaces.

« Les contrôles vétérinaires sont prévus à l’avance. Alors, on s’en tape. Le jour J tout va bien, on baisse les cadences, tout est propre. Dès qu’ils sont partis, le rythme reprend comme avant. »

Mauricio Garcia Pereira, lanceur d’alerte ancien employé de l’abattoir de Limoges, au festival des idées « La Chose Publique » le 22 novembre 2018 au Musée des Confluences à Lyon. © Bertrand Gaudillère / Item

Il faudrait aussi une prise en compte éthique. Et pour ne pas imposer des cadences infernales dans les abattoirs au détriment des salariés comme des animaux, rien de mieux que de « consommer moins ».

« Tuer des vaches gestantes, c’est une faute collective. Eleveur, abattoirs, consommateurs, tous. On consomme trop, on croit qu’il y en a assez mais ce n’est jamais assez. À un moment donné il faut dire stop et évoluer. On ne peut pas tout dénoncer mais certaines règles d’éthique, morales il faut les respecter. Il faut faire évoluer certaines pratiques légales. »

Le consommateur, cette notion abstraite

Pour tracer le chemin de nouveaux modes de consommation et de production, il faut d’abord se comprendre collectivement. Ce qui ne semble pas être le cas encore aujourd’hui à entendre les participants au débat. La montée en puissance indéniable du bio du côté de la demande (les consommateurs), ne serait pas perçue comme durable du côté de l’offre (les agriculteurs).

Pour Philippe Dumas, éleveur éleveur de charolaises dans la Loire et président du groupement coopératif Sicarev-Sicavyl par ailleurs président de l’Interprofession Bétail et Viande (Interveb) Auvergne-Rhône-Alpes, Cette montée des préoccupations des consommateurs ne se voient pas dans les rayons des supermarchés.

« On nous dit qu’on veut mieux manger mais on a jamais eu autant d’aliments transformés vendus. Les agriculteurs sont prêts à entendre plein de choses mais il faut que ça se transforme en acte. Il faut que les gens fassent ce qu’ils disent vouloir faire pour leur consommation. »

Philippe Dumas, éleveur et président de l’Interprofession Bétail Viande Auvergne-Rhône-Alpes au festival « La chose publique » le 22 novembre 2018 à Lyon. © Bertrand Gaudillère / Item

Gatien Elie, géographe, a mené une étude auprès des exploitants agricoles de la Beauce. Une zone de polyculture, essentiellement céréalière, où les exploitations sont en moyenne très grandes et le travail particulièrement motorisé.

Selon lui, pour ces agriculteurs le consommateur reste une notion abstraite. Ils ne regarderaient que peu ou pas les études de consommation.

« Ils ont une idée assez vague de ce qu’est un consommateur. Ils ne lisent pas les études qui donnent un état du monde de la consommation. Le bio, pour eux c’est une niche. C’est intéressant, économiquement. Mais eux ils disent nourrir le monde ».

Quand l’opinion semble de plus en plus inquiète de l’utilisation de pesticides dans l’agriculture et des conséquences sur la santé, il pointe là encore un décalage avec le ressenti des agriculteurs.

« Les agriculteurs que j’ai enquêtés me disent ‘soigner les plantes avec les médicaments des plantes’ mais ils ne parlent pas de pesticides. On protège les plantes dans un cas, on s’attaque au vivant dans l’autre. Ils disent travailler correctement car ils respectent les règlementations et les contrôleurs passent régulièrement. On ne peut pas entrer sur une parcelle sur laquelle l’agriculteur vient d’épandre et il est tenu de veiller à ce que personne n’entre. Ils doivent mettre les équipements de sécurité. Et ils disent crouler sous les normes. Quand l’Etat débat sur le glyphosate, ils ne comprennent pas ».

La montée en puissance du bio « pas un truc de bobo »

Pour Philippe Dumas, le bio n’est pas le futur modèle de l’agriculture. « Je ne pense pas qu’on aille vers le tout bio ni que ce soit souhaitable ». Il met en avant alors les normes très contraignantes et la difficulté à les appliquer face à certains aléas climatiques, sanitaires ou économiques.

De l’autre côté, les consommateurs eux seraient en attente. C’est le sentiment de Sylvie Metzelard, rédactrice en chef du magazine 60 millions de consommateurs.

« Quand on voit le succès des appli comme Yuka ou OpenFoodsFacts (des applications permettant de scanner le code barres des produits afin d’évaluer leur qualité et la présence ou non de produits néfastes, ndlr) on ne peut pas dire que la préoccupation alimentaire reste un truc de bobo parisien. On voit aussi que les rappels de produits sont énormes et que les consommateurs s’interrogent ».

Des consommateurs qui ont déjà commencé à adapter leurs comportements dans les rayons selon elle. Des consommateurs qui auraient donc déjà commencé à voter avec leur estomac, notamment en matière de viande.

« Il y a une vraie prise de conscience. Selon la dernière étude de Kantar, 32% des foyers se disent flexitariens, c’est-à-dire qu’ils mangent moins de viande. Ils étaient 26 % en 2016. 6 points en deux ans c’est énorme ».

« Les producteurs que je vois me disent : ‘ils veulent quoi les consommateurs ?’ « 

Alors comment faire pour améliorer les choses ? Les réponses sont multiples et à plusieurs niveaux. Même si elle n’a été que très peu évoquée, l’une d’elles passerait par une sorte de contractualisation entre les consommateurs et les producteurs.

Ces derniers seraient prêts, à écouter Philippe Dumas, à modifier leurs façons de produire.

Mais ils ont besoin pour cela de garanties et de filières pour assurer la vente de leurs productions. Un manque de débouchés ? Pourtant, des études pointent à l’inverse un problème d’offre en matière de produits bio.

Gatien Elie, géographe, au festival des idées « La Chose Publique » le 22 novembre à Lyon. © Bertrand Gaudillère / Item

Gatien Elie a évoqué la situation pour les exploitants de la Beauce. Ils ont contractualisé avec de grandes conserveries comme Daucy qui leur assurent une visibilité en s’engageant à leur acheter une partie de leur production chaque année.

Dans des filières plus qualitatives, comme le bio, un tel système s’opère à travers les AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) dans lesquelles les consommateurs s’engagent à acheter à des agriculteurs une partie de leur production. À l’heure où les crédits et subventions, des collectivités comme en Auvergne-Rhône-Alpes ou étatiques, sont parfois coupées ou retardées, la question aurait méritée d’être approfondie.

Du coup, pour Philippe Dumas, faute d’alternative les agriculteurs sont maintenus presque malgré eux dans le modèle de l’agriculture intensive.

« Aux agriculteurs, on leur a dit ‘produisez plus, on va baisser un peu les prix mais ça sera mieux pour le consommateur qui consommera plus, donc il y aura plus de quantité écoulée pour vous’. Les producteurs que je vois me disent : ‘ils veulent quoi les consommateurs ? S’il n’y a pas de contrat, pas de garanties, ben reviens quand tu auras mieux à me proposer’. Il faut que le consommateur assume ses choix dans les rayons ».

Exiger de l’État qu’il accompagne un changement de modèle

L’État reste un acteur majeur dans cette transformation du modèle agricole que certains espèrent. Tous se sont accordés sur ce point. Pour que les agriculteurs produisent autrement, il faut que les alternatives aux modèles ou aux produits phytosanitaires utilisés aujourd’hui existent et soient développés. La présence de l’État et donc du politique donnerait ainsi prise aux citoyens.

« Voter avec son estomac c’est exiger qu’on fasse des actions sur plus de contrôles sur les industriels et qu’on développe les alternatives. On ne peut pas exiger aux grands exploitants de la beauce de plus balancer leurs cochonneries sur leurs champs si on ne leur donne pas des alternatives saines », estime Sylvie Metzelard.

Pour Gatien Elie, le marché et le jeu de l’offre et la demande ne pourra pas changer les choses. Les attentes pour plus de produits sains de la part des consommateurs ne pourra transformer automatiquement les modèles agricoles.

L’État doit également intervenir sur des champs très concrets. Comme le foncier par exemple. Reprenant son terrain d’étude de la Beauce, il pointe la quasi impossibilité pour un nouvel agriculteur de s’installer sur ce territoire où les exploitations « valent plusieurs milliers voire millions d’euros ».

Plus généralement, il pointe le manque de main d’oeuvre dans cette filière et de nouveaux entrants. Alors, comment changer de modèle et se passer de chimie quand on n’a pas assez de personnel pour travailler sur son exploitation ?

« Dire aux agriculteurs de changer leurs pratiques, tout faire reposer sur les épaules des quelques travailleurs agricoles qu’il reste, c’est vache. Ça ne se fera pas sans l’état. Dans les grands bassins de production il n’y a plus personne pour faire le travail, pas d’installation possible hors cadre familial. La concentration foncière opère.

Comment changer de modèle agricole, se passer de la chimie avec un travailleur pour 400 ha ? Je ne vois pas comment le marché va changer ce problème qui passe par le cadastre, par la loi ».

« Achetez le moins de produits transformés possible »

Philippe Dumas l’a assuré, les agriculteurs sont prêts à changer de modèle de production. Dès lors qu’ils y verront leur intérêt. On peut rappeler sur ce point que ceux travaillant en bio connaissent des revenus en moyenne plus élevés que ceux de l’agriculture conventionnelle. Il s’est montré alors optimiste.

« Les agriculteurs vont le prendre ce virage comme ils ont pris celui de la chimie après la guerre. Les agriculteurs qui ne voudront pas changer de cap seront marginalisés. Mais il leur faut de la lisibilité et j’attends les consommateurs dans l’acte d’achat. Mieux manger ok mais n’achetez pas des produits faits dans de mauvaises conditions très loin de chez soi ».

Un premier pas dans le vote avec son estomac : choisir ses produits et accepter de changer ses habitudes en consacrant plus de temps à la préparation de sa nourriture chez soi.

« Bien manger c’est un investissement mais c’est des choix. Dire qu’on n’a pas le temps, c’est un faux débat. Commencez par acheter des aliments les moins transformés possible », a conclu Sylvie Metzelard.

Réécouter l’intégralité du débat


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Photo : Loïc Gautier pour Rue89Lyon

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