En septembre 2018, le Comité d’éthique (CCNE) rendait un avis favorable concernant l’extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. En revanche, il réaffirmait l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA) en France.
Au cours du débat proposé par le festival La Chose Publique, la vision d’une GPA légale de Daniel Borrillo, juriste et sociologue du droit spécialisé en bioéthique, est venue se confronter au refus catégorique de la procédure de Marianne Durano, philosophe, rédactrice de la revue Limite et membre des Veilleurs de la Manif pour Tous. Jean-François Guérin, universitaire, praticien hospitalier et président du comité d’éthique du CHU de Lyon a tenté de porter une expertise sans prendre partie. Enfin, en qualité de « grand témoin », intervenait Sarah Levine.
Sarah Levine, mère de trois enfants nés de trois mères porteuses différentes
Sarah Levine est d’origine américaine et vit en France depuis de longues années. Elle est mère de trois enfants nés de trois mères porteuses différentes. Témoignant devant un public de tous les âges, elle raconte comment elle a pensé à la GPA après avoir perdu son utérus du fait d’un cancer de l’endomètre. Elle a évoqué les réticences initiales de son mari français et leur long cheminement :
« C’était éthiquement possible de le faire aux Etats-Unis, explique-t-elle. Mais la décision a été longue à prendre, on se posait beaucoup de questions : est-ce qu’une femme peut faire le choix éclairé d’être mère porteuse ? Est-ce que c’est un choix douloureux ? »
Sarah entre alors en correspondance avec Aimee, une sage-femme du Colorado déjà mère de deux enfants, qui se propose pour être mère porteuse. Sarah accepte, argumentant qu’Aimee « ne faisait pas ça pour l’argent et qu’elle savait déjà ce qu’était une grossesse. »
De ce contrat de GPA naît Oscar, qui a aujourd’hui sept ans. Sarah Levine a recours à cette procédure à deux nouvelles reprises. Son deuxième enfant, une petite fille appelée Viviane, est porté par sa sœur Jessica. Son troisième enfant naît en 2015, alors que Sarah a 43 ans. Depuis, elle n’a jamais perdu contact avec les trois femmes qui ont porté ses enfants.
« Les liens tissés avec ces femmes sont très importants, a-t-elle insisté. J’ai le sentiment d’avoir élargi mon cercles de sœurs. Je les revoie chaque été quand je retourne aux Etats-Unis et mes enfants jouent avec les leurs. »
Une GPA « remboursée par la Sécurité sociale » ?
Le témoignage de Sarah Levine rappelle que la GPA est une réalité, malgré son illégalité en France. Le professeur Jean-François Guérin résume les pratiques françaises :
« Les couples ayant beaucoup d’argent peuvent recourir à la GPA aux Etats-Unis. Ceux avec moins de ressources le font en Ukraine. Et ceux avec très peu de moyens le font en Asie ».
Le juriste Daniel Borrillo poursuit en déclarant que « la vraie question est celle du coût de la procédure », défendant l’idée d’une GPA remboursée par la Sécurité sociale. Un projet qui semble réalisable sur le plan économique et médical selon Jean-François Guérin :
« La procédure n’est pas complexe d’un point de vue médical, même si certains praticiens refuseront de la réaliser pour des raisons personnelles. De plus, les professionnels de la finance expliquent que rembourser la GPA représenterait moins d’1% du budget de la Sécurité sociale. »
Bien que des couples français aient recours à la GPA dans d’autres pays, l’idée de légaliser la procédure en France est combattue par la philosophe Marianne Durano :
« J’interroge le juriste que vous êtes, commence Marianne Durano en interpellant Daniel Borrillo. La loi doit donc s’adapter aux pratiques légales d’autres pays ? Cela représente un problème de souveraineté nationale et remet en question notre Etat de droit. »
« Nos enfants ne sont pas nos enfants dans le droit français ! »
Pourtant, légaliser la GPA permettrait aux personnes dans la même situation que Sarah Levine de se voir reconnaître la filiation de leur enfant. Aujourd’hui, la Cour de cassation reconnait le lien de parenté de l’enfant avec son père mais pas avec sa mère biologique, celle-ci ne l’ayant pas porté durant la grossesse.
« Le vrai problème est le droit de la filiation des enfants nés de GPA, s’insurge Sarah Levine. Nos enfants ne sont pas nos enfants dans le droit français ! »
Un argument défendu également par Daniel Borrillo qui invoque la loi européenne pour expliquer l’éclatement du modèle monopolistique de la famille et le passage dans « un système casuistique où l’intérêt de l’enfant prime » :
« Le modèle parental n’est plus papa-maman, mais englobe aujourd’hui les personnes qui se sont comportées en tant que parents. »
« La maternité est un concept charnel, pas juridique ! »
Un autre sujet faisant débat est la question du consentement de la mère porteuse. Comment être sûr qu’une personne n’accepte pas la procédure par appât du gain, ou en raison de violences ou de menaces ? Daniel Borrillo a une position claire sur cette question :
« Moins on régule, plus on laisse place aux dérives. »
Marianne Durano s’engouffre dans la brèche. Elle cite le témoignage d’une mère porteuse thaïlandaise dans la revue Limite (à laquelle elle collabore) qui raconte comment un couple australien ayant conclu une GPA avec elle avait finalement refusé de récupérer l’enfant car celui-ci était trisomique. Daniel Borillo balaye l’argument d’un expéditif :
« Oui, il y a des faits divers. »
Paradoxalement, Marianne Durano pense qu’il n’y a pas beaucoup d’exemples semblables :
« Il n’y a pas beaucoup d’abandons dans le cas des enfants trisomiques car on les élimine avant. Comme toute PMA ou GPA suppose une sélection embryonnaire, il n’y a pas de cas de figure semblable. C’est beaucoup plus contrôlé en effet ! »
L’argument suscite la vive réaction de la salle, ainsi que de Jean-François Guérin :
« Je me porte en faux ! En aucune manière la PMA ou la GPA ne permettent d’éliminer un enfant trisomique sur le plan génétique. On peut faire un diagnostic préimplantatoire mais c’est interdit pour la trisomie, ne dites pas n’importe quoi ! »
Après cet échange houleux, Daniel Borrillo propose un système de contrat de GPA devant être homologué par un juge et fondé sur deux grands principes, présent dans la plupart des pays autorisant la GPA : autoriser la mère porteuse à pratiquer une IVG durant la grossesse et lui permettre de se raviser et de garder l’enfant à la naissance si elle en est la mère biologique, un cas se présentant généralement quand un couple d’homme a recours à la GPA.
Marianne Durano rappelle que ce débat ne se résout pas qu’avec des arguments rationnels :
« Il faut prendre la mesure de ce que représente pour une femme d’être contrainte par contrat à remettre l’enfant qu’elle a porté à la naissance. La maternité est un concept charnel, pas juridique : on devient mère au cours d’une grossesse, pas à l’accouchement. Est-ce que je souhaite personnellement que la France légalise ce genre de contrat ? Non, non et non ! »
Une étudiante dans le public réagit à cette affirmation :
« Vous n’avez pas été confronté au problème de ne pas pouvoir avoir d’enfant, comment pouvez-vous soutenir une position aussi radicale ? »
La question déclenche les applaudissements du public.
« Je suis la seule des quatre intervenants à avoir porté un enfant et à avoir accouché, répond Marianne Durano sans perdre son sang-froid. J’ai apporté mon expérience à ce débat au même titre que Sarah Levine. C’est ce qu’on appelle la démocratie. »
Une nouvelle salve d’applaudissements conclut le débat, pour l’instant.
>Pour lire un extrait de l’échange entre le juriste Paul Borrillo et la Philosophe Marianne Durano sur l’extension de la PMA, c’est ici.
>Pour (ré)écouter le débat, c’est par là :
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