En France métropolitaine, 69 des 95 départements sont, encore à cette période de l’année, touchés par la sécheresse. Gabriel Chantrel, prévisionniste à Météo France à la direction interrégionale Centre-Est, a étudié le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes et alerte sur ce phénomène causé par le changement climatique :
« En France, depuis la fin du 20ème siècle/début du 21ème siècle, on connaît des épisodes de sécheresse importante de plus en plus fréquents. Et on s’attend à ce que ça continue dans les années à venir. »
Certains territoires sont plus touchés que d’autres, comme la région Centre-Val de Loire où les six départements qui la constituent sont en « crise », selon les termes du gouvernement. C’est le degré le plus haut (en rouge sur la carte de Propluvia, qui dépend du ministère de la Transition écologique) sur les restrictions d’eau.
Particulièrement peu arrosée cette année, la région Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas échappé au phénomène de sécheresse. Sur ses 12 départements, un seul est épargné (l’Ardèche), cinq sont en « crise » et six en « alerte renforcée », selon Propluvia.
1. « Des records de sécheresse dans les sols superficiels »
À Météo France Centre-Est, on n’hésite pas à reconnaître « le caractère tout à fait exceptionnel de la sécheresse de cette année », selon les termes du prévisionniste Gabriel Chantrel.
« On a déjà eu des exemples similaires en 2003, en 2011, et même l’année dernière. […] Mais cette année, on a atteint des niveaux records de sécheresse dans les sols superficiels. On a des niveaux d’eau très bas dans les cours d’eau et aussi dans les nappes phréatiques. »
En cause, le beau temps. Du moins le manque de pluie. « Depuis le 1er septembre, on a sur certains endroits de la région des retards de 80% en termes de précipitations », note le prévisionniste. La hausse des températures, facteur d’évaporation et donc d’assèchement est également en cause.
Résultats : les nappes phréatiques de la vallée du Rhône, en amont et en aval de Lyon, « présentent des niveaux le plus généralement orientés à la baisse. Les niveaux sont bas voire très bas, à cause d’un cumul de pluies faible sur l’ensemble de l’année », lit-on sur le bulletin du BRGM, bureau de recherches géologiques et minières, daté du 1er octobre (voir carte ci-dessous).
2. Le lac d’Annecy asséché
Dans la région, d’importants phénomènes témoignant de cette sécheresse exceptionnelle ont été observés ces derniers mois, notamment au niveau des lacs. Dernièrement, c’est celui d’Annecy qui a subi un fort assèchement de sa réserve en eau. Le 15 octobre 2018, le niveau de l’eau était à 67 cm en-deçà de son niveau normal, lit-on sur le site de la préfecture de Haute-Savoie :
« La cote du lac est lue sur une échelle située au pied du pont de la Halle, à Annecy. Celle-ci est graduée en mètre : 0,70 m ; 0,80 m ; 0,90 m… La cote de référence est de 0,80 m. Elle est de 0,13 le 15 octobre 2018. »
Un record inviolé depuis 1947, complète la préfecture. Cette année-là, la cote du lac était à 0,11 m.
Après un début de polémique autour d’un éventuel assèchement volontaire du lac, la préfecture a répondu au Monde, niant toute action au niveau des vannes qui contrôlent habituellement le niveau du lac d’Annecy.
La Haute-Savoie fait d’ailleurs partie des six départements de la région à être en « alerte renforcée » et est donc particulièrement touchée par la sécheresse de ces derniers mois.
Le lac d’Annecy n’a plus que la peau sur les eaux…#annecy pic.twitter.com/pF9QlYx0nK
— Pascal CHAFFARD (@PascalC74) 20 octobre 2018
3. Dans l’Isère, des vestiges archéologiques ressurgissent de l’eau
Un peu plus au sud, en Isère, le lac de Paladru connaît lui aussi quelques soucis de santé. Son cas a été particulièrement médiatisé ces deniers jour car il abrite un site archéologique englouti qui, à cause de l’assèchement du lac, se retrouve aujourd’hui à l’air libre.
« Depuis cet été, le niveau du lac de Paladru baisse de 5 centimètres par semaine : la cote de crise vient d’être atteinte et au total selon les gardes du lac, le niveau a déjà baissé de 1,7 m et devrait atteindre les 2 mètres. », lit-on sur Le Dauphiné Libéré.
À en croire les responsables du musée archéologique interrogés par le journal, les vestiges datant du néolithique sont en quelque sorte mis en danger par l’assèchement du lac.
« Le niveau anormalement bas du lac met déjà en péril la faune et la flore. Et maintenant, les gens viennent piétiner le site, les roselières sont dans un triste état’ », déplore un responsable. »
(actualisé) Dans l’ #Isère, la #sécheresse et la baisse du lac de #Paladru font réapparaître les vestiges d’un village Néolithique habituellement sous l’eau. #instantanés ? @Phdesmazes #AFP @AFPphoto pic.twitter.com/pwYGTjuztM
— AFP Lyon (@AFPLyon) 23 octobre 2018
4. Les cours d’eau du Rhône en « alerte renforcée »
Le 4 octobre 2018, le préfet du Rhône a placé « l’ensemble des cours d’eau du département du Rhône et de la Métropole de Lyon, à l’exception du Rhône et de la Saône en alerte renforcée ». Particulièrement touchées par le déficit de précipitations et les hautes températures, les nappes phréatiques sont aussi à protéger, estime la préfecture.
« La situation des nappes ne s’est pas améliorée […]. Les nappes du Pliocène et du Garon sont maintenues en situation d’alerte et la nappe de Meyzieu en situation d’alerte renforcée. »
L’échelon « alerte renforcée » implique des restrictions importantes de l’usage de l’eau : « réduction des prélèvements à des fins agricoles supérieure ou égale à 50% (ou interdiction supérieure ou égale à 3,5 jours par semaine), limitation plus forte des prélèvements pour l’arrosage des jardins, espaces verts, golfs, lavage des voitures,… jusqu’à l’interdiction de certains prélèvements », lit-on sur Propluvia.
Cet échelon alerte est le troisième niveau sur 4 (voir la légende ci-dessous).
5. Un plan de calamité agricole annoncé
Ces phénomènes de sécheresse s’accompagnent évidemment de conséquences importantes à la fois sur la gestion de l’eau potable, sur l’agriculture et sur les activités touristiques.
S’agissant de l’eau potable, la région n’a pas connu de situation extrême, à l’image cette trentaine de communes du Haut-Doubs autour de Morteau ravitaillées par camion-citerne.
Ce sont les agriculteurs qui subissent directement les effets de la sécheresse. Laurent Pinatel, agriculteur et porte-parole de la Confédération paysanne, était interrogé le 23 octobre sur RMC :
« Début août, déjà, on était obligé d’affourager parce qu’à partir du 15 juin, il n’y a plus eu de pousse d’herbe et à partir du 15 juillet, il n’y a plus eu d’eau. […] Il y a un vrai risque économique qui pèse sur les exploitations agricoles aujourd’hui. »
Le nouveau ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a indiqué le 23 octobre qu’un plan de calamité agricole serait mis en place pour les départements atteints par la sécheresse « fin novembre, début décembre ».
Autre conséquence, les bateaux à vocation touristique ne peuvent parfois plus circuler à cause de l’abaissement du niveau de l’eau à certains endroits. Sur le lac d’Annecy, les bateaux croisières ne circulent presque plus. Cédric Passet, directeur commercial de la Compagnie des Bateaux d’Annecy, explique que la saison touristique, censée s’achever le 11 novembre, est actuellement parasitée par l’assèchement du lac.
« Notre bateau-restaurant est toujours immobilisé au port d’Annecy, donc on ne propose plus que des forfaits repas. Aucun des autres bateaux de croisière ne part de ce port d’ailleurs. Désormais, on part du port de Sevrier et au lieu de faire cinq départs quotidiens, on n’en fait plus qu’un. »
6. « Il faudrait un hiver plus pluvieux que la normale »
L’hiver qui arrive suffira-t-il pour éviter trop de dégâts ? Selon les prévisions de Météo France, il faudrait un hiver particulièrement pluvieux pour ressourcer les sols. Météo France n’a « pas encore de prévision nette pour la région », explique Gabriel Chantrel.
« On part de loin. Il faudrait un hiver plus pluvieux que la normale, avec de la neige en montagne pour établir des stocks d’eau utilisés plus tard dans l’année. Surtout, il faut que les précipitations soient étalées sur la saison et non pas que tout tombe d’un coup. »
Mais il est important de ne pas compter uniquement sur la pluie pour stopper les sécheresses, d’autant qu’elles seront de plus en plus fréquentes dans le futur, selon Gabriel Chantrel.
« Il faudra mener une politique d’adaptation aux changements climatiques », avance le prévisionniste.
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