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« Lyon, capitale du rock » : comment est-on passé de « la musique de sauvages » à la création de salles de concert

[PATRIMOINE] Au milieu des années 1970, Lyon est qualifiée dans la presse nationale de « capitale du rock ». Ses groupes sont nombreux ; talentueux et reconnus pour certains. Mais à Lyon, dans leur propre ville, ils ont eu le plus grand mal à se faire accepter par les autorités qui n’ont eu de cesse de faire barrage à leur diffusion, en interdisant notamment des concerts.

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Deuxième album du groupe Starshooter, "Get-baque" édité par Pathé/EMI et sorti en 1978.

Le temps a été relativement long pour qu’émergent des salles et lieux autorisés et soutenus. Petit retour en arrière, alors que la Ville de Lyon réunit un programme d’évènements sous l’unique bannière des « 40 ans de musiques actuelles à Lyon ».

En 1986, Jean-Michel Jarre, autre enfant du pays, réunissait les foules en plein air dans sa ville. Dans le même temps, d’autres commençaient à peine à sortir de la confidentialité et de l’interdiction systématique. Depuis dix ans au moins, la scène rock lyonnaise, notamment punk, bouillonnait. Elle débordait même un peu trop pour les autorités locales qui ont longtemps refusé l’émergence de lieux d’expression ou de représentation.

« Plus de musique de sauvages dans ma ville ! »

Quand le punk débaroule à la fin des années 1970, le contexte est déjà hostile pour ses représentants locaux. Place des Terreaux, à la mairie de Lyon, on n’est pas vraiment très rock. En fait, on ne le tolère pas. La mairie de Lyon a simplement interdit à partir de 1974 les concerts de rock. Rien que de la musique classique et de l’opéra autorisés dans les salles de Lyon.

Le maire de l’époque, Louis Pradel, est catégorique :

« Plus de musique de sauvages dans ma ville ! »

Le « maire bâtisseur » de Lyon ne s’est pas vraiment remis du passage de Led Zeppelin le 26 mars 1973 au Palais des sports à Gerland. Le concert avait été marqué par des incidents. Des spectateurs sans place avaient notamment brisé des portes et des baies vitrées afin de pouvoir assister au concert.

L’attitude des autorités locales est d’autant moins comprise que la scène locale est dense à cette époque. Elle est déjà reconnue bien au-delà de sa ville peu encline à la laisser s’exprimer. La presse nationale la qualifie de « capitale du rock ».

Starshooter, Marie et les garçons, Ganafoul, Electric Callas commencent à se faire connaître depuis le milieu des années 1970. Si les ambassadeurs ne manquent pas (près de 200 groupes à Lyon et dans les environs selon l’Influx, le très chouette magazine de la Bibliothèque municipale), les ambassades, elles, sont rares pour trouver refuge. Ou pas vraiment adaptées aux musiques « de sauvages ».

En 1975, « Loulou » Pradel cède un peu de terrain et rouvre au rock et à la pop la Bourse du Travail (Lyon 3e). Cet assouplissement dure peu de temps. La police doit intervenir lors d’un concert de Patti Smith en mars 1978. L’année d’après, quelques sièges sont malmenés durant le passage de Serge Gainsbourg. Francisque Collomb a succédé à Louis Pradel mais le résultat est le même : rideau sur le rock place Guichard.

Le « Rock’n’roll Mops », salle mythique qui n’aura vécu que deux mois

Les relations entre la scène rock locale et la Ville de Lyon ne sont pas vraiment en rythme. La première fait alors sans la seconde. Concerts en plein air ou lieux ouverts sans autorisation. Au printemps 1978 c’est ainsi que voit le jour le Rock’n’roll Mops.

La salle est aujourd’hui une légende parmi la jeunesse lyonnaise de l’époque aux tempes désormais grisonnantes. Salle mythique qui n’aura pourtant fonctionné que deux mois ! Les encyclopédies locales sont pourtant formelles : ce furent deux mois de grande intensité. Par la fréquence des concerts et la frénésie envahissant corps et esprits.

Ne respectant pas certaines normes de sécurité, la salle est fermée un mois après son ouverture. Elle gagne un mois de sursis puis ferme définitivement fin juin 1978.

Lyon est donc une ville qui compte pour le rock. Les artistes internationaux s’y arrêtent dans les grandes salles existantes. Et sa scène locale se développe malgré la rareté de petites salles pour l’accueillir, à l’exception de salles préexistantes comme le Palais d’hiver.

Le « concert à Fourvière », ou la date mythique de 1978 : un élan de soutien

Pour parler d’un anniversaire, de « 40 ans du rock et des musiques actuelles », il faut une date de naissance. Forcément un peu arbitraire, elle est fixée aux années 1978-1979. Elle fait directement référence aux deux soirs de concerts rock au festival Les Nuits de Fourvière.

Le premier, en juillet 1978, pour un concert intitulé « New wave french connection » -près de douze heures durant. Le second, un an plus tard, pour une autre nuit du rock dans le théâtre antique.

Le concert de juillet 1978 réunissait du beau monde. Starshooter, Marie et les garçons ou Electric Callas. Trois groupes lyonnais phares, reconnus en France et au-delà. Mais il y a aussi des pointures nationales qui viennent pousser la chansonnette : Téléphone, Bijou ou Little Bob Story. Et des artistes internationaux.

Il est resté culte dans la mémoire locale. Ce qu’elle a peut-être oublié au fil du temps, c’est son point de départ. Autorisé par la Ville de Lyon, le concert s’est tenu en soutien à la fermeture du « Rock’n’roll Mops » un mois plus tôt. Il n’est pas vraiment une reconnaissance de la scène locale mais la volonté pour cette dernière de continuer à s’affirmer.

« Les Beatles, c’est des cons »

Mais ces deux soirs sont devenus cultes dans la mythologie locale. Notamment pour l’ambiance, les cannettes qui volent sur scène et atterrissent parfois sur les artistes (1978) ou pour les blessés dans le public (1979).

En juillet 1978, Kent le chanteur de Starshooter, en a fait les frais. Il reprochait aux groupes étrangers et notamment anglais de jouer les divas et de se croire les têtes d’affiche devant les petits français. Il a alors demandé au public de leur faire savoir mais celui-ci semble plus occupé à balancer des cannettes sur scène. Ce qu’il dénonce aussi avant de s’en prendre une :

Bien des années après, certains s’excusent encore pour les bouteilles balancées. C’est ce qui est arrivé à Erik Fitoussi, membre du groupe Marie et les garçons. Aujourd’hui à la tête de la fameuse librairie lyonnaise Passages (Lyon 2e), il a vu un jour un client (psychologue de son état) débarquer.

 « Vous ne jouiez pas dans le groupe Marie et les Garçons ? » Je lui réponds « si, si ». Et il me dit : ‘je crois bien que je vous ai jeté des canettes en 1978 à Fourvière.’»

10 ans d’attente pour voir des salles soutenues par les pouvoirs publics

Après cette heure de gloire de la scène lyonnaise à la fin des années 1970, les choses ont-elles rapidement évolué ? Oui et non. À Lyon, les choses bougent très lentement malgré quelques élus enclins à donner enfin une place au rock et aux musiques actuelles comme Joannès Ambre. Il reste bien la salle Molière et plus loin le Palais d’Hiver à Villeurbanne (pour peu de temps) ou l’ENTPE à Vaulx-en-Velin.

Le seul dossier qui bouge en ce début des années 1980 reste l’espace Tony Garnier, l’actuelle Halle Tony Garnier. Mais, là aussi, le fonctionnement reste difficile. Inauguré avec un concert de Stevie Wonder en 1984, l’espace est fermé temporairement dès l’année suivante. Là aussi la commission de sécurité est de passage et la Ville impose des horaires baroques : extinction des feux à 22h.

L’absence de salle(s) prêtes à accueillir des musiques rock ou actuelles dans des conditions apaisées devient même un enjeu électoral. Qui s’affiche sur les 4×3 du candidat Francisque Collomb notamment. Lyon semble alors se résigner à cette relation toujours contrariée.

Mais l’idée fait malgré tout son chemin. Ainsi, le projet d’une grande salle de spectacle dans un hall du palais de la foire en bordure du parc de la Tête d’Or fait son chemin. Victor Bosch, batteur de Pulsar, groupe lyonnais reconnu de rock psyché, est chargé de ficeler le projet. Les planètes semblent enfin s’aligner. Pourtant, lors du conseil municipal devant valider le projet, Francisque Collomb fait volte-face. Pas de ça à Lyon. Surtout dans des bâtiments voués à une destruction prochaine en vue du déménagement de la foire de Lyon à Eurexpo (lesquels bâtiments deviendront l’actuelle Cité Internationale).

Les projets avancent alors davantage à l’échelle de l’agglomération. Victor Bosch mènera à bien le projet à quelques pas de là, côté Villeurbanne, dans d’anciennes usines de traitement des eaux. En janvier 1989, le premier concert peut se tenir au Transbordeur.

La salle du Transbordeur à Villeurbanne. Photo CC via Wikipedia

Quelques mois plus tôt, en novembre 1988, André Gerin, maire de Vénissieux, n’était pas peu fier de lancer le Truck. Avec Johnny Thunders pour l’inauguration. La salle ne vivra malheureusement que deux ans. Elle a d’ailleurs ressuscité en 2016 en devenant Bizarre !. La salle dédiée aux hip-hop et  « musiques urbaines ».

Un projet de zénith à Chassieu, en complément d’Eurexpo, est aussi dans les cartons. Michel Noir, enterrera finalement le dossier. Qui débouchera sur la reprise des concerts à l’actuelle Halle Tony Garnier.

Des relations pas toujours apaisées aujourd’hui avec les salles

Il aura donc fallu une petite dizaine d’années, entre les fameux « concerts de Fourvière » et un soutien politique à l’émergence de salles dédiées au rock et aux musiques actuelles.

Lyon, ville de musique reconnue et d’évènements musicaux parfois de grande ampleur. Aujourd’hui, cela ne fait plus vraiment débat. La ville est renommée pour sa scène électro passée ou récente et a largement contribué à l’envol d’un festival comme Nuits Sonores notamment. Certains de ces évènements sont même devenus des étendards.

Un concert qui se passe bien, au Sonic, à Lyon.

Mais tout n’est pas toujours rose aujourd’hui pour autant. Les relations ne sont toujours pas idylliques avec certains lieux « rebelles ». Des salles de taille modeste mais qui proposent une offre et des programmations indispensables.

La péniche du Sonic a connu plusieurs fermetures administratives ces dernières années. Récemment il avait perdu son autorisation de fermeture tardive déclenchant une vague de soutien.

Malgré un soutien financier, le collectif Grrrnd Zero et sa salle de concerts et création artistique jadis à Lyon aujourd’hui à Vaulx-en-Velin, a connu des relations souvent froides avec la mairie de Lyon ou la Métropole.

On se souvient aussi de la mobilisation autour des cafés-concerts, comme le Bistroy, sur les pentes de la Croix-Rousse, qui a fini par fermer ses portes. La cohabitation du « rock », ou de la musique amplifiée, avec les Lyonnais reste une histoire qui s’écrit, avec moult rebondissements.


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