Comment vivre dignement du travail de la vigne ? Dans le Beaujolais, toujours en crise, c’est la question que se posent un grand nombre de vignerons et, parmi eux, Frédéric Berne.
« Au début des années 2000, le vin ne se vendait plus. J’ai vu mon père vendre ses vignes et reprendre un travail de maçon. Ça a été très dur. »
Alors que ses parents l’en dissuadaient, il a voulu reprendre ce métier de vigneron. Faute de vignes familiales, il s’est fait embaucher chez un patron avant de reprendre des vignes du « Château du verger », à Lantignié, une petite commune limitrophe de Beaujeu, à 50 minutes de la place Bellecour.
En 2013, quand il s’est mis à son compte, il avait une conviction chevillée au pied de vigne :
« Je ne voulais pas passer huit heures par jour à sulfater des produits chimiques. Je voulais être fier de mon travail. »
Aujourd’hui, à 33 ans, il est exploite 8,5 hectares de vignes anciennement en conventionnel, aujourd’hui en bio.
Son vin se vend bien. Il ne se plaint pas. Mais il n’a pas voulu en rester là. Début 2016, il a commencé le porte-à-porte, à la rencontre des autres vignerons de la commune.
« Les clients me disaient : « vous faites du bio, mais le voisin est en conventionnel ». Mon combat a été de dire à ces voisins, concernés, que l’on peut monter en gamme en passant de conventionnel à bio. »
Ce sont les jeunes vignerons qui ont accroché les premiers. Souvent des enfants de vignerons qui ne voulaient pas nécessairement reprendre l’exploitation familiale, comme Fabien Forest :
« Il y a quelques années, je ne voyais pas d’issue pour la vigne dans le Beaujolais. Je pensais que tout le vignoble allait finir en friche. Après un Bac Pro viticulture, j’ai travaillé pour quelqu’un d’autre, dans une autre commune. Puis j’ai rencontré Frédo (Frédéric Berne, donc, ndlr) ».
Fabien Forest a finalement repris les vignes que son père cultivait en conventionnel pour les convertir progressivement en bio.
« A court terme, nos vins ne doivent pas se retrouver dans les grandes surfaces »
Corentin Desprez, chargé de mission de l’Organisme de défense et de gestion (ODG) Beaujolais-Beaujolais village pose la problématique :
« Il se fait déjà des bons vins à Lantignié, mais comment confirmer cet état de fait ? Comment vendre à un prix qui le mérite ? »
Frédéric Berne a bien conscience de la question financière :
« L’idée est de trouver des solutions pour que tout le monde vive de son métier. Pas que l’on s’affronte entre nous. »
Tout le travail de Frédéric Berne et du futur noyau dur de l’association « Vignerons et Terroirs de Lantignié » a été de convaincre que, pour vendre mieux, il fallait passer par ce qu’attendrait aujourd’hui le consommateur, à savoir le bio. Et par le fait de délaisser le côté « fun » attaché au Beaujolais qui découle du Beaujolais nouveau.
La démarche pour convaincre est maligne : le défi présenté ne réside pas que sur l’aspect environnemental, mais bien davantage sur l’aspect économique.
« Pour s’en sortir, il faut vendre plus cher ses bouteilles. J’ai déjà expérimenté sur mon domaine ce passage du conventionnel au bio. J’ai vu que ça fonctionnait. »
Cette « montée en gamme » passe donc non seulement par une augmentation du prix de vente « pour pouvoir vivre », mais aussi par un changement du mode de distribution. La vente à la bouteille chez un caviste est ainsi privilégiée plutôt que la vente en vrac à des négociants qui peuvent acheter du vin à des prix qui étranglent n’importe quel viticulteur.
Frédéric Berne défend cette idée :
« Le bio, c’est au moins 30% d’augmentation des coûts. Car cela veut dire plus d’heures de travail et moins de rendement. Donc cela doit se répercuter dans le prix. Il faut expliquer son travail au consommateur. A court terme, nos vins ne doivent pas se retrouver dans les grandes surfaces. »
Cette démarche semble réalisable car nombreux sont encore les vignerons de la commune à vendre une grande partie de leur production à la bouteille.
Supprimer les produits phytosanitaires à Lantignié d’ici 2022
Le vigneron Cédric Lecareux explique :
« La plupart des vins de qualité sont issus d’une agriculture raisonnée. Beaucoup de viticulteurs ne sont pas loin du bio mais ils hésitent à franchir le pas. Ils ont peur ».
Pour faire cette synthèse entre l’économique et l’environnemental, la défense du terroir a été mise en avant. Ce qui permet de ne pas retomber dans la guerre des « bios » contre les « conventionnels ».
L’argumentaire a porté ses fruits : 30 vignerons sur les 35 que compte Lantignié ont rejoint l’association « Vignerons et Terroirs de Lantignié », qui a été officiellement créée en mai 2017, avec pour président Frédéric Berne.
La première tâche de l’association a été d’édicter un règlement intérieur qui fixe un cap : la suppression de l’usage de tous les produits phytosanitaires en 2023.
Il donne également une méthode : le passage progressif en bio, en trois étapes que le noyau dur a évidemment déjà franchies.
- Suppression des engrais chimiques au 31 mars de cette année 2018.
- Bannissement des produits phytosanitaires de synthèse (hors désherbants – fongicides et insecticides) au 1er janvier 2020.
- Fin des désherbants chimiques au 1er janvier 2023.
Un premier point d’étape sera réalisé cet automne quand le raisin fermentera. De l’engagement associatif aux actes agricoles, combien de vignerons auront respecté cette démarche volontariste ?
Corentin Desprez de l’ODG donne une première piste de réponse :
« Beaucoup sont dans l’expectative et attendent des solutions sur les manière de faire. »
Raphael Chopin comprend ces craintes. Lui-même revendique ce passage au bio en douceur.
« Il y a neuf ans, à 22 ans, j’ai repris les vignes de mon oncle. Financièrement, je n’avais pas les moyens de tout passer en bio. C’est une grosse prise de risque. J’y vais à mon rythme et je peux expérimenter. Depuis le début, j’ai arrêté les engrais chimiques et depuis trois ans, j’ai arrêté les traitements systémiques. C’est le désherbage où je pêche. Pour certaines parcelles, j’ai une pente énorme, il faudrait que je trouve des solutions, comme l’installation d’un treuil ».
A la tête d’un domaine de 7 hectares de vigne principalement sur la commune de Régnié, il expérimente, parcelle par parcelle. Ce que permet la démarche associative.
Entraide et expérimentation
Dépourvue de moyens, l’association des vignerons de Lantignié s’est tournée vers l’ODG (Organisme de défense et de gestion) pour repérer les besoins et organiser des groupes de travail, notamment sur la question du travail des sols « de manière durable » ou la « gestion des maladies ».
Plusieurs groupes d’entraide ont ainsi été créés. Et en matière de travail de la vigne, chacun a des solutions en fonction des parcelles. Le travail du sol est devenu une obsession. Et quand on se balade avec cette bande de vignerons, ils ne parlent que de ça.
Fabien Forest laisse une partie de son domaine en herbe « pour nourrir la vigne et réguler les précipitation » et laboure une autre avec un cheval prêté par Christian Ducroux, pionnier de la biodynamie à Lantignié.
Après un tour du côté du Languedoc, Cédric Lecareux a repris le Domaine Les Capréoles il y a quatre ans. Lui a expérimenté la culture du seigle pour apporter davantage d’azote à la vigne.
« Le seigle fournit la matière organique et a aussi une action décompactante sur le sol granitique, ce qui permet aux racines de la vigne de plonger plus profondément. »
Quant à Sebastien Congretel (Domaine L’épicurieux), arrivé de son Sud-Ouest, il s’est installé dans le Beaujolais en 2016. Il est en troisième année de conversion bio sur ses Régnié et Morgon et en première sur la commune Lantignié. Il utilise notamment une autre technique : une kress, sorte d’étoile avec des doigts en caoutchouc qui permettent d’arracher les mauvaises herbes entre les ceps sans trop perturber le sol.
Sur son plateau de pierres bleues qui domine le bourg de Lantignié, il rêve d’un « jardin d’Eden » :
« Je voudrais remettre de la biodiversité en plantant autour de mes vignes des haies composées notamment d’arbres fruitiers. Sans parler de l’aspect esthétique, on ferait de l’agroforesterie. Le raisin profiterait des interactions entre la vigne et les arbres ».
Lantignié, terre d’accueil pour les jeunes vignerons
Moteur du projet, l’entraide est une valeur cardinale de l’association, selon Fabien Forest qui voudrait que Lantignié devienne une « terre d’accueil pour les jeunes » :
« Ailleurs, quand quelqu’un pioche sa vigne, on se fout de sa gueule. Ici, on trouve des solutions pour l’aider ».
Frédéric Berne a conscience que beaucoup d’anciens sont fatigués :
« Beaucoup nous disent qu’ils ne veulent pas se retrouver avec la pioche dans la vigne. On sait que ça prendra du temps. Il faut trouver des solutions ».
Raphael Chopin ajoute une autre dimension qui n’aide pas au changement chez les plus anciens :
« Pour les plus vieux, ils pensent que l’abandon les produits phytosanitaires va nous ramener au temps de leurs parents qui se tuaient à la tâche. Et ils pensent également que de l’herbe dans les rangs, ça fait vignes mal tenues ».
Selon l’ODG, Lantignié est une commune qui comporte une proportion plus importante de jeunes que dans le reste du Beaujolais. On compte 17 vignerons de moins 45 ans sur 35 personnes.
Deux jeunes vont s’installer prochainement, notamment une viticultrice Cosima Bassouls qui travaille actuellement avec Frédéric Berne au Château des vergers.
Déjà la Safer (organisme en charge du foncier agricole) note que les prix ont tendance à augmenter sur la commune, signe que la démarche de Lantignié porte ses fruits.
Un premier cru 100% bio ?
L’objectif est de créer le premier cru 100% bio. Plusieurs crus commencent à intégrer cette dimension environnementale mais avec Lantignié ce serait le premier cru dont le coeur du cahier des charges est la démarche bio.
L’interprofession qui suit de près ce projet se montre prudente, à l’image du président Dominique Piron :
« C’est très long pour créer un cru. Cela prend dix ans et l’Inao (l’Institut national de l’origine et de la qualité, ndlr) constate un état de fait. Attention également à ne pas créer encore une sorte de royaume alors que que c’est l’ensemble du Beaujolais qui doit être valorisé. »
En attendant le cru, une marque va être déposée auprès de l’INPI, avec un cahier des charges qui sera une déclinaison de l’actuel règlement intérieur de l’association.
Sébastien Congretel défend cette démarche :
« Il nous faut une bannière. Le cru, nous savons que ce sera dans dix ans. Ce sera le pallier d’après. Là, il nous faut plus de vignerons possible. »
Après la création de cette marque, il faudra donc un gros travail de communication pour faire connaître la démarche.
Dans les années 80, une même expérience visant à mettre en avant les vins de Lantignié a conduit à un échec. Le père de Quentin Perroud (Château du Basty) s’en était occupait. Aujourd’hui le fils analyse :
« Quand le vin se vend, les gens ne se remettent pas en question et ne changent pas. Là, je crois en cette démarche associative car le vignoble est en crise. On n’a pas le choix de changer. »
Lui-même est en train de convertir progressivement les 18 hectares de son père en bio. Une question de génération, sans doute.
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