Ce mois-ci, Lyon offrira à ses habitant·es queers et LGBT une double occasion de choper des ampoules aux pieds : vendredi 15 juin, à la veille de la 23e édition de la Marche des Fiertés (qui avait réuni 15 000 personnes l’an dernier), une Pride de nuit, sans char et en non-mixité (seules les personnes queers et/ou travailleuses du sexe y seront les bienvenues) défilera dans les rues de Lyon.
L’événement, d’inspiration libertaire, se veut “anti-raciste, anti-colonialiste, anti-capitaliste, anti-national, anti-patronal, contre l’homo-nationalisme, le pinkwashing, la récupération de nos luttes et la normalisation gay”.
Des profils très variés
À l’origine de cette initiative, on retrouve une trentaine de personnes qui se sont réunies à intervalles réguliers depuis fin avril à La Luttine, atelier de sérigraphie autogéré dans le 7ème arrondissement de Lyon.
Même si certaines ne s’expriment qu’en leur nom propre, beaucoup appartiennent à une pluralité d’organisations queers, féministes et/ou anarchistes lyonnaise : Les Méduses (collectif queer radical qui a vu le jour en début d’année), le Collectif Des Raciné·e·s (qui rassemble des personnes queers racisées), Les Salopettes et ArcENSiel (respectivement association féministe et LGBT+/queer de l’ENS), Médic’Action (collectif médical qui officie dans les manifestations et auprès des populations précaires), l’association trans Chrysalide, l’émission “transpédégouine et féministe” de Radio Canut, On n’est pas des cadeaux, l’association d’aide aux migrants Migrations, minorités sexuelles et de genre (2MSG), la Coordination des Groupes Anarchistes (CGA), l’Association LGBT de Lyon 2, le collectif féministe et intersectionnel de l’Université Lyon 3 ALyon-nous…
La plupart des participant·es étaient déjà à l’origine d’une première Pride de nuit lyonnaise, déjà en non-mixité, samedi 10 mars dernier. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que leurs profils contrastent singulièrement avec ceux que l’on retrouve dans la plupart des associations LGBT, dominées par des hommes gays blancs et cisgenres.
Ces derniers sont ici minoritaires face aux femmes, aux personnes trans, racisées ou non-binaires. En dépit de cette diversité, toutes et tous partagent un profond désamour à l’égard des Marches des Fiertés LGBT traditionnelles, qui les a poussé à créer leur propre Pride.
Marseillaise et policier·es
“J’ai l’impression que la Marche des Fiertés, c’est la Journée DU pédé, comme certains voudraient faire du 8 mars la Journée de LA femme”, explique ainsi Elsa, l’une des personnes présentes aux réunions préparatoires de la Pride de nuit.
“C’est quelque chose de très normatif et assimilationniste. Le but de beaucoup trop d’associations qui défilent ce jour-là, c’est simplement de faire une petite place pas trop inconfortable pour les personnes LGBT dans un monde qui resterait globalement oppressif. Au moins, à la Pride de nuit, on sait que tout le monde porte des revendications politiques fortes”.
Nem reconnaît :
“La Marche des Fiertés, j’y vais un peu par défaut, et c’est pour ça que je suis content qu’un autre événement qui me correspond plus voit le jour. À ma première Marche, à Paris en 2015, peu de temps après l’attentat contre Charlie Hebdo, j’ai entendu La Marseillaise… J’étais dégoûté. J’ai vu aussi des représentants de Flag! (l’association des policier·es et gendarmes LGBT, NdlR) arroser les participants avec des pistolets à eau.
Personne ne semblait réaliser la violence symbolique de ce geste, alors que tous les ans des gens meurent assassinés par la police. C’est comme si on avait oublié que les Marches des Fiertés commémorent les émeutes de Stonewall, c’est-à-dire une révolte contre la répression policière”.
« Ce n’est pas un espace safe »
“Parmi nous, on trouve des gens qui n’y vont plus depuis quelques années” explique également Isabelle. “J’ai participé à beaucoup de Marches, mais ça ne me suffisait plus” déclare ainsi Léandre. *
Eleanor abonde dans son sens :
“La Marche, c’est cool, mais c’est juste une fête. Je n’y trouve pas la rage que j’ai envie d’exprimer”.
Marie raconte “la première fois que j’ai participé à une Marche, je me suis demandée ce que je faisais là. Je ne suis pas sentie en sécurité, j’y ai même vu des mecs connus pour être des agresseurs sexuels. Pour moi, ce n’est pas un espace safe”. Une impression partagée par Léo :
“à la Marche, il m’est déjà arrivé d’entendre des gens demander à voix haute sur mon passage “tu crois que c’est un garçon ou fille ?”. J’ai l’impression que ce milieu n’est pas plus tolérant que les autres”.
“Les chars les plus gros sont toujours ceux des radios ou des boîtes de nuit, jamais ceux des organisations revendicatives” déplore pour sa part Marnie.
« Nous réapproprier la rue, la nuit »
La forme retenue pour proposer une alternative à cet événement jugé trop normatif n’est pas anodine, explique Adrian. Pour lui :
“La Pride de nuit permet aussi d’interroger la façon dont nous luttons et dont nous sommes visibles. Il ne s’agit pas seulement, comme pour la Marche des Fiertés, d’un jour institutionnalisé, d’un défilé pour les hétéros.
L’un des objectifs, c’est de sortir des cadres qui nous sont alloués afin de nous imposer dans la rue la nuit, de nous réapproprier cet espace-temps où on est particulièrement vulnérables et agressé·es et où ce sont véritablement nos vies qui sont en jeu”.
Toutes les personnes interrogées expriment également le besoin d’une plus grande radicalité politique dans les combats LGBT. “Être queer révolutionnaire, ça veut dire être contre le mouvement gay cisgenre, blanc et misogyne. C’est refuser d’être associé à une norme” précise ainsi Loïs.
Et Fanny de détailler :
“lorsqu’on dit qu’on est radicaux, cela signifie qu’on veut s’attaquer à la racine des oppressions. On lutte pour l’émancipation de toutes et tous, pas seulement pour la nôtre. Par exemple, on soutient Moussa (ce militant de AIDES bisexuel menacé d’expulsion vers la Guinée, NdlR) et les migrant·es LGBT, mais aussi toutes les autres personnes migrantes”.
Des combats communs
Malgré ces divergences profondes et réelles, certains des combats de la Pride de nuit, détaillés dans un communiqué signé par plusieurs collectifs, sont également ceux de la Lesbian & Gay Pride (LGP), l’association organisatrice de la Marche des Fiertés LGBT de Lyon.
C’est le cas par exemple de la solidarité avec Moussa, justement, mais aussi plus globalement de l’opposition au projet de loi Asile et immigration, à l’article 2 du projet de loi Schiappa contre les violences sexuelles (accusé de favoriser la correctionnalisation des viols sur mineur·es, avec à la clef des peines plus clémentes pour les agresseurs, voir page 5), ainsi qu’à la loi de 2016 pénalisant les clients de la prostitution.
Parmi les revendications partagées, on peut citer également l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, la légalisation de la GPA et la fin des mutilations sur les personnes intersexes. Autre point commun entre la Marche des Fiertés LGBT et la Pride de nuit : les difficultés rencontrées avec la préfecture du Rhône, qui leur refuse le passage dans le Vieux Lyon et entérine ainsi son statut de fief de l’extrême-droite locale.
Deux rendez-vous potentiellement complémentaires ?
Le communiqué appelant à la Pride de nuit prend d’ailleurs soin de préciser qu’il ne préconise pas un boycott de la Marche des Fiertés, “que nous appelons à rejoindre (…), puisqu’elle couvre un large champ de luttes non-hétérosexuelles et qu’elle reste un moment festif et politique nécessaire, surtout dans une ville rétrograde et bourgeoise comme Lyon”. Les participant·es à la Pride de nuit sont ainsi invité·es à former “un cortège radicalement flamboyant et mixte” lors de la Marche du lendemain.
À la fois profondément divergents et potentiellement complémentaires, ces deux rendez-vous offrent en tout cas une double occasion de marcher pour rappeler que les luttes des minorités sexuelles sont encore loin d’être achevées.
Pride de nuit, vendredi 15 juin à 21h (départ place des Terreaux-Lyon 1)
Marche des Fiertés LGBT, samedi 16 juin à 14h (départ place Bellecour-Lyon 2)
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