Les quartiers des Buers et de Croix-Luizet, longtemps laissés à l’abandon à la périphérie de Villeurbanne, connaissent depuis 2016 des changements radicaux. Destruction de bâtiments, aménagement de places publiques… Qu’en pensent les habitants de ces quartiers anciens et familiaux ?
Créés à la fin du 19ème siècle, les quartiers de Croix-Luizet et des Buers ont constitué une zone habitée par les premières vagues migratoires italiennes, espagnoles et maghrébines. Les premiers HLM sont construit en 1934, et la ville perd peu à peu sa dimension ouvrière à partir de 1975 avec la fin de l’ère industrielle.
Depuis 2016, la mairie de Villeurbanne lance un projet immobilier : l’aménagement du Terrain des Sœurs qui s’étend sur 3,5 hectares ; ou encore, la rénovation des Buers Nord, projet qui s’inscrit dans le projet national de renouvellement urbain.
Le but est « de rattacher les périphéries à la ville de Lyon, renforcer la diversité des populations, lutter contre les discriminations et mettre en priorité la jeunesse ». Tout ça, selon la commune. La Métropole explique sur son site qu’elle veut créer un nouveau « pôle économique », dans ce quartier longtemps délaissé.
« Là on s’intéresse à nous ? C’est louche »
« Des balcons multicolores, des murs en plâtres qui partent en lambeaux, un terrain de foot synthétique qui brûle les genoux… », voilà la description des Buers que nous soumettent Anis et Medhi, deux jeunes hommes du quartier, adossés contre le mur du commerçant du coin.
Ici, tout le monde se connaît. Les enfants jouent dans la cours, à vélo, à pieds, à quatre pattes. Les filles discutent sur des chaises sorties dehors, et les garçons se regroupent pour écouter de la musique et fumer quelques pétards. « Certains habitent ici depuis plus de quarante ans ! », certifie une jeune habitante.
« Mais derrière cette solidarité se cache un grand ennui, madame », précise Anis.
En effet, à part le stade où les enfants peuvent courir, et un toboggan désert, il n’y a pas grand-chose pour se divertir.
« Il n’y a même pas de supermarché d’appoint pour les vieilles personnes, renchérit Medhi, elles sont obligées de faire de long trajet ou alors de payer 10 euros leur pack de soda à l’épicerie. »
Selon eux, ces travaux ne sont pas faits dans l’intérêt de la population. « Diviser pour mieux régner » estiment-ils.
« Ma mère à toutes ses copines ici, et elles vont être séparées, ça la rend triste. En cinq ans ici ils n’ont refait que la peinture et là on s’intéresse à nous ? C’est louche… », reprend Anis.
« Ne pas créer pour, mais avec »
Le samedi 14 avril, le Centre social des Buers organisait un après-midi citoyen pour « construire ensemble » ce futur nouveau quartier.
Sur place sont présentes différentes associations : #FicA3, qui regroupent la Myne, le Centre social des Buers et le CCO de Villeurbanne ; Légum’au logis, un collectif actif qui milite pour une alimentation saine et locale ; le conseil de quartier, créé en 2015 par les habitants du coin suite aux attentats de novembre ; et les Kap’s Solidaires de l’AFEV, association étudiante qui organise des colocations solidaires.
Plusieurs ateliers sont créés : Cartographie ton quartier, qui grâce au pôle numérique du CCO, sur openstreetmap.fr, créé une map interactive où les habitants peuvent ajouter des idées ou des demandes concernant un endroit précis. En amont, l’atelier Dessine ton quartier regroupe la carte des ressentis, la carte des initiatives et la carte des possibles. Dessus se profilent de futurs composts, donneries ou boîtes à partage.
Dans la case des j’aime/j’aime pas, on peut voir le rond-point place Croix-Luizet, très critiquée pour ses nombreuses voitures et sa circulation rapide.
Sur place se trouvent de jeunes étudiants en architecture en stage avec le bailleur des Buers, Est Métropole Habitat Lyon. Selon Sophie, Félix et Aymeric, « le bailleur social a pour volonté d’inclure les habitants ».
« Nous, on veut aussi restaurer l’horizontalité du savoir en créant une coopération sociale. On ne veut pas que répondre à des questions, on veut aussi en poser », précise l’un d’eux.
« Une révolution urbaine qui inquiète »
« Le quartier est immense, personne ne se connaît et la révolution urbaine inquiète. Nous, on capitalise tout en numérique pour travailler avec les habitants, pour accompagner leurs demandes et leurs idées jusqu’à la mairie. » explique Laurine, membre du CCO de Villeurbanne.
Pourtant, Annie habite depuis 1973 aux Buers, et elle est « très satisfaite » des travaux en cours.
« Beaucoup de choses comme l’électricité ou l’isolation n’étaient pas dans les normes. Avant on nous disait que les travaux n’étaient pas obligatoires du coup nos bailleurs ne faisaient rien. Maintenant les choses changent. »
Malgré les réunions de quartier, beaucoup d’habitants ne connaissent pas encore ce procédé citoyen.
« Il y a des espaces de paroles, les jeunes doivent venir. Mais c’est dur pour eux, ils sont timides et n’ont pas l’habitude de s’exprimer », explique Nadine, directrice du Centre social des Buers.
Ces jeunes gens sont effectivement discrètes. Alicia, 14 ans me confie timidement qu’elle est confiante concernant l’évolution de leurs projets. Membre du Secteurs Jeunes, elle participe aux journées solidaires, ou aux sorties bowling.
« Je me sens utile, j’aide des personnes qui ont besoin d’être aidées et ça change de ce qu’on fait à la maison ».
Des jeunes comme Medhi aimerait « faire du bénévolat, mais à la retraite ». Pourquoi ?
« Je dois d’abord continuer de bosser comme un petit chinois pour payer le loyer et après on verra ».
Lui qui était inquiet pour les jeunes de son quartier, peut être rassuré. Selon Wilel et Nohandre, deux garçons de 12 ans, ces réunions sont importantes.
« On aime notre quartier, nos copains, le stade et le centre social. Si en plus on peut comprendre comment il fonctionne c’est bénef’ ! ».
Les habitants se regroupent tous les premiers lundis du mois, au Centre Social des Buers depuis 2015, et vous êtes les bienvenus. Selon Nadine, c’est se donner le « pouvoir d’agir ». Leurs projets sont visibles sur leur site internet.
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