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De « Marie et les Garçons » à la librairie Passages à Lyon, voici Erik Fitoussi

Erik Fitoussi est depuis 18 ans à la tête de Passages, l’une des principales librairies indépendantes lyonnaises. L’indépendance, un mantra qui accompagne le libraire depuis sa première vie au sein de Marie et les Garçons, totem de la mouvance punk locale, qui en deux ans d’existence à peine se bâtit un destin culte et tutoya la légende.

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Erik Fitoussi © Anne Bouillot

« Lyon, capitale du rock »

Difficile quand on voit Erik Fitoussi se confronter à l’érudition d’un Emmanuel Todd ou d’un Éric Vuillard à la Librairie Passages où il anime parfois des rencontres et dont il est le propriétaire, d’imaginer qu’il y a presque quarante ans, ce libraire bien connu des Lyonnais se faisait jeter des canettes (pleines) par le public du festival rock de Fourvière, futur Nuits de Fourvière.

De ce concert, Libération tira à l’époque son fameux « Lyon, capitale du rock » dont on se gargarise encore aujourd’hui et Erik Fitoussi un souvenir impérissable.

Le jeune homme tient alors la guitare de Marie et les Garçons, groupe culte à la trajectoire de météore formé sur les bancs du lycée Saint-Exupéry à la Croix Rousse.

Erik, « pied-noir suédois » (pied-noir par son père, médecin, et suédois par sa mère, laborantine, il est né en Suède et a passé les premières années de sa vie en Algérie), y a atterri après un passage par Vaise en débarquant d’Algérie après l’indépendance. Lui qui a déjà tâté du piano classique enfant y découvre le rock via un groupe d’amis qui compte déjà les futurs membres de Marie et les Garçons et de Starshooter – l’une des figures de proue du punk français.

« On trouvait ça original d’avoir une fille à la batterie »

La petite bande développe un goût particulier pour des groupes que personne n’écoute mais qui ne tarderont pas à faire parler d’eux : le Velvet Underground, Roxy Music, David Bowie :

« Le frère de Marie, explique-t-il, avait un plan pour avoir des disques, ce qui était très compliqué à l’époque. C’était vraiment très différent de ce qu’écoutaient les autres. »

L’étape suivante et logique c’est le groupe, au mitan des 70’s :

« On faisait des reprises de nos trois groupes préférés et de quelques groupes obscurs des années 60 : on voulait faire ce que personne ne faisait. »

Une idée qui, germant de plus en plus, va devenir le leitmotiv d’une vie pour Erik Fitoussi et celui d’un groupe qui prend forme et de l’assurance :

« Au début, Marie chantait, comme Nico [du Velvet Underground, NDLR], et puis elle est devenue batteuse comme Maureen Tucker [idem], quand son frère a quitté le groupe. On trouvait ça original d’avoir une fille à la batterie. On s’est mis aussi à composer. Au départ, ce n’était pas terrible, et puis ça a commencé par devenir intéressant. »

Naît alors un style fait de raideur velvetienne et détachement à la Talking Heads qui se distingue aussi par le look : « avant les punks on s’habillait déjà avec des épingles à nourrice et des imperméables transparents découpés en chemises et on se faisait traiter d’intellectuels par les babs » explique celui, qui, quand tout le monde se coupe les cheveux pour faire comme le Clash, ressort la chemise Lacoste de son père.

«J’ai commencé à m’habiller très strict. Ç’a donné le look du groupe. Ça correspondait à un trait profond chez Marie et les Garçons : pourquoi choquer les parents ou les bourgeois quand on peut choquer les copains. C’était beaucoup plus intéressant et ça marchait. La preuve, on se faisait souvent jeter. »

Ou presque.

Sting, John, Patti

C’est le producteur Alain Zermati qui rebaptise ces Garçons Sauvages en Marie et les Garçons – « parce qu’il ne nous trouvait pas très sauvages » – et les convie à jouer à la deuxième édition de son festival punk de Mont-de-Marsan en 1977 – Erik Fitoussi en revient marqué par la rencontre d’un jeune instituteur charmant et pas très punk nommé… Sting.

C’est ensuite Michel Esteban qui produit leur premier 45t, Rien à dire et qui, gravitant dans la gargotte rock new-yorkaise, dégotte une séance d’enregistrement à Big Apple en mars 1978. Le groupe finance son vol par un concert à l’INSA et livre deux morceaux, Attitudes et Re-bop, aux mains expertes de l’idole John Cale, ex-tête pensante du Velvet, « mutique » mais enthousiaste :

« Il voulait faire un album mais on ne restait pas assez longtemps à New-York… »

Le temps quand même de jouer au CBGB, temple de la scène punk new-yorkaise, devant le secrétaire d’Andy Warhol, venu « baguette sous le bras et béret basque sur la tête », avant, de retour à Paris, de se faire enrôler au saut de l’avion pour une première partie de Patti Smith au Pavillon de Pantin devant 15 000 personnes.

Erik Fitoussi © Anne Bouillot

« La reprise d’Amanda Lear ou de Macho Man, ça choquait les gens »

S’ensuit une autre première partie, celle des Talking Heads et donc Fourvière qui achève ce mini-tourbillon par un jet de canettes – comme un ancêtre du lancer de coussins verts – à la cause bien connue : Marie et les Garçons a entamé un étonnant virage disco. Par souci de provocation toujours et par goût des musiques noires :

« Les influences noires ont toujours été là, même si elles étaient un peu masquées. Mais la reprise d’Amanda Lear ou de Macho Man, ça ne passait pas très bien. Ça choquait vachement les gens, mais on jouait avec ça de manière très assumée. »

Il n’en reste pas moins que la prestation de Marie et les Garçons que viennent secourir en un joyeux bordel les autres groupes programmés ce soir là, si elle contribue à inscrire l’événement dans l’Histoire marque aussi le début de la fin pour Marie & co : au lendemain du concert, alors que le groupe doit s’envoler à nouveau pour New York graver sur disque le fameux virage, Erik et deux de ses camarades sont envoyés de force sous les drapeaux, n’en revenant qu’à la fin de l’année 78 après un passage en HP.

Divorce

C’est donc partie remise pour New York, sauf qu’au temps des retrouvailles, l’alchimie s’est envolée :

« Après ces quelques mois, le groupe n’existait plus. On ne s’était pas rendu compte de la distance que le temps avait créé. On n’a pas suffisamment discuté et on est reparti sur les mêmes bases alors que tout avait changé ».

Pire, le principal compositeur et arrangeur voit les rênes musicales lui échapper. Marie quant à elle s’en va, peu encline à mettre sa batterie au service d’un beat cette fois beaucoup trop disco.

Lui choisit le groupe mais l’album s’appellera Divorce, comme un symbole.

Entre tentatives de poursuivre sans Marie, tournées ratées sous le nom de Garçons ou Les Garçons, nouvelles aventures sous d’autres alias et reformations ponctuelles, le guitariste finit par se tourner vers des études de musicologie, en musique contemporaine surtout, intègre un groupe vocal où chanter du Pierre Boulez lui donne ses « plus grandes émotions musicales », devient prof de musique, compose, arrange pour des chanteurs dont il préfère taire le nom, avant de tout arrêter lorsqu’un ami producteur dont l’avis était requis en ultime ressort appose le mot « ringard » sur ses compositions.

« Je crois bien que je vous ai jeté des canettes en 1978 à Fourvière »

Nous sommes en 1992. L’idée germe alors avec sa compagne Françoise, première manageuse de Marie et les Garçons et libraire à Paris où le couple vit alors, de monter une librairie, à Lyon cette fois. Car le musicien est aussi un grand lecteur attaché à la musicalité des mots, qui se forme, apprend. Et tire quelques leçons de l’inaboutissement de Marie et les Garçons tout en en conservant l’esprit :

« L’idée c’était de faire quelque chose de différent avec la volonté assumée d’ouvrir une librairie d’au moins 150 m2 pour tout de suite compter ».

La Librairie Passages, dont le nom évoque l’idée de transmission et de prescription, en fait désormais 300, compte quatorze salariés et a bâti sa philosophie sur la découverte et le décalage. Une philosophie facilitée par le poids qu’a pris la librairie auprès des éditeurs, mais que son propriétaire relie à son ancienne vie.

« Je crois, dit le libraire,  que l’idée d’indépendance relative, d’autonomie, relie ces deux vies. »

Ça et, de temps à autre, un client-lecteur faisant mousser le passé :

« Il n’y a pas très longtemps, à la librairie, confie Erik Fitoussi, un monsieur très chic, un psychologue, me demande : « vous ne jouiez pas dans le groupe Marie et les Garçons ? » Je lui réponds « si, si ». Et il me dit : « je crois bien que je vous ai jeté des canettes en 1978 à Fourvière. » »

Sur petit-bulletin.fr


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