La Barbe, «groupe d’action féministe qui dénonce le monopole du pouvoir, du prestige et de l’argent par quelques milliers d’hommes blancs» ; l’équipe de foot féminin Les Dégommeuses ; l’Association des journalistes LGBT (AJL), qui «œuvre pour un meilleur traitement des questions LGBT dans les médias». Le collectif Oui Oui Oui («oui au mariage, oui à la filiation, oui à la PMA»), très actif sous le précédent quinquennat ; la communication autour de l’European Lesbian Conference à Vienne, du 6 au 8 octobre derniers ; la LIG (Lesbiennes d’Intérêt Général), « le premier fonds de dotation français à destination des lesbiennes et de leurs projets » : ce sont quelques engagements et organisations dans lesquels Alice Coffin s’est impliquée.
Dans cette interview menée par Heteroclite, elle parle PMA, activisme de rue, féminismes et enjeux autour du coming out, entre autres multiples passionnants sujets.
Heteroclite : Sous le précédent quinquennat, vous vous êtes battue avec le collectif Oui Oui Oui, notamment en faveur de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Le gouvernement actuel nous annonce que c’est pour cette année, avec la révision des lois bioéthiques. Est-ce que vous y croyez encore ?
Alice Coffin : Moi, sur cette question de la PMA, je ne crois plus à rien. On nous a tellement baladées qu’il est impossible d’avoir confiance dans la parole politique sur ce sujet. Mais je redoute que nos adversaires soient plus nombreux et les débats plus violents encore.
C’est cela qui me préoccupe vraiment. La PMA a fait sortir du bois des personnes qui ne s’étaient pas exprimées contre le mariage pour tous : par exemple la rédaction de Charlie Hebdo, Michel Onfray ou des gens qui ne sont pas nécessairement pro-Manif Pour Tous.
Ceux-là voient avec terreur se profiler ce qu’ils perçoivent comme la disparition de la figure paternelle. Ce sujet soulève d’autres questions que celui du mariage pour tous, et d’abord celle-ci, qui semble effrayer beaucoup de monde : «qui sont ces femmes qui prétendent vivre leur vie sans les hommes ?».
Plus globalement, on constate une absence totale de conviction profonde en faveur de la PMA pour toutes au sein de la classe politique française. Le gouvernement actuel, comme ceux de François Hollande d’ailleurs, se montre extrêmement timoré et mal à l’aise sur cette question. Au moment des débats sur le mariage pour tous, il a fallu attendre fin janvier 2013 pour que s’exprime enfin une parole politique enthousiaste et favorable à la PMA, celle de Christiane Taubira.
En France, très peu de responsables politiques osent afficher leur soutien à la PMA pour toutes et j’y vois la conséquence d’un vieux fond de lesbophobie. Il y a heureusement des exceptions, comme Laurence Vanceunebrock-Mialon (députée LREM de la 2ème circonscription de l’Allier, NdlR). Cette ancienne policière a raconté en novembre comment elle avait eu recours à la PMA en Belgique avec son ex-compagne. Elle se dit déterminée à faire avancer ce sujet. J’attends qu’il y en ait d’autres comme elles.
« En Australie, le mois dernier, un député conservateur a adressé à son compagnon une demande en mariage en plein milieu des débats parlementaires sur le mariage pour tous. C’est quelque chose d’inimaginable en France. »
Pourquoi une telle timidité vis-à-vis de la PMA ?
C’est aussi une conséquence de la très grande rareté des coming out au sein de la classe politique française. En Australie, le mois dernier, un député conservateur a adressé à son compagnon une demande en mariage en plein milieu des débats parlementaires sur le mariage pour tous. C’est quelque chose d’inimaginable en France.
Il n’y a rien eu de tel ou d’approchant durant ces longs mois de débats en 2012 et 2013. Pas de coming out, rien. Alors qu’on sait très bien qu’il y a des parlementaires, des membres du gouvernement, qui sont homos et au placard.
Que tant de responsables politiques, de journalistes et de personnalités influentes ne sachent pas dire leur homosexualité dit hélas beaucoup de choses sur la société française et son rapport à cette question. De la même façon, je suis sidérée par la faiblesse de la réaction au phénomène #MeToo en France, comparé à ce qu’il s’est passé aux États-Unis.
Cela montre qu’il y a dans notre pays encore énormément de blocages sur ces questions d’égalité femmes-hommes.
« On est désormais confronté.es à de nouveaux défis, notamment avec l’apparition des alternative facts ou des fake news, qui s’exercent très souvent contre les minorités : les personnes LGBT, migrantes, d’origine étrangère, etc. »
Au sein de l’Association des Journalistes LGBT, vous luttez notamment pour un meilleur traitement des thématiques LGBT dans les médias. Avez-vous l’impression que celui-ci s’est amélioré depuis la séquence désastreuse du mariage pour tous, il y a cinq ans ?
Les LGBTphobies se portent encore très bien dans les médias, mais elles sont aussi plus visibles. On assiste en effet à une prise de conscience générale du niveau de LGBTphobie et de mauvais traitements de ces questions dans la sphère médiatique. Les organisations LGBT elles-mêmes ont appris à saisir le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) quand il y a un problème.
Mais on est désormais confronté.es à de nouveaux défis, notamment avec l’apparition des alternative facts ou des fake news, qui s’exercent très souvent contre les minorités : les personnes LGBT, migrantes, d’origine étrangère, etc. Y faire face nous demande de mettre en place d’autres outils de veille, d’autres pratiques. Notamment en prévision des débats bioéthiques qui auront lieu cette année et dans lesquels ce genre d’intox va très certainement pulluler. Je m’attends à un grand n’importe quoi.
Par exemple à des glissements continuels dans les débats de la PMA vers la GPA, alors que ce sont bien leurs opposants qui tiennent absolument à lier les deux. Idem pour la formule «PMA sans père», reprise parfois telle quelle dans les médias alors qu’elle provient directement de l’argumentaire de La Manif Pour Tous.
Vous avez participé à la communication de l’European Lesbian Conference, qui s’est tenue en octobre à Vienne. Quels étaient les enjeux de ce grand rassemblement ?
Nous avons commencé à organiser cette conférence fin 2016, avec une dizaine d’activistes lesbiennes de différents pays. Au total, elle aura réuni pendant trois jours 500 participantes venues de 45 pays du continent européen (au sens très large). Bien sûr, les conditions politiques et économiques dans tous ces pays sont très variables.
Mais des problématiques communes propres aux lesbiennes ont rapidement émergé, comme la nécessité de mieux faire circuler les informations qui nous concernent, ou de renforcer le travail de lobbying et d’advocacy (plaidoyer) en faveur de nos droits. Nous avons constaté également une très grosse demande de données : il y a peu de recherches et d’enquêtes sur la situation des lesbiennes, car elles ne sont pas suffisamment financées. Il faut changer la donne là-dessus.
Les participantes étaient aussi animées d’une volonté très forte de travailler sur les archives et la mémoire lesbiennes. On a partagé nos expériences, nos vécus, nos stratégies militantes. On a appris beaucoup de choses sur ce que c’est d’être lesbienne dans d’autres pays. Les participantes du Kazakhstan nous ont par exemple raconté que lorsqu’elles sont contrôlées par la police, les policiers reniflent leurs doigts pour déterminer si elles sont ou non lesbiennes…
De mon côté, j’ai expliqué ce que nous avions fait avec le collectif Oui Oui Oui. Ce qui s’est développé en France au moment des débats sur le mariage pour tous intéresse beaucoup les activistes lesbiennes d’autres pays européens.
On s’est rendu compte de la nécessité d’organiser une force de frappe médiatique. Dans beaucoup de pays, les organisations lesbiennes sont très faibles, voire inexistantes. Globalement, l’ambiance était très enthousiaste. Les sentiments qui prévalaient étaient la joie et la stimulation. Et tout ça s’est conclu par une Marche lesbienne dans Vienne le samedi soir !
« Les lesbiennes ont été très actives dans la lutte pour la légalisation de l’avortement, qui, pourtant, ne les concernait pas directement »
Assiste-t-on actuellement à une sorte de revival du militantisme lesbien ?
Il faut faire attention à l’effet de loupe mais c’est vrai que la situation actuelle n’a plus rien à voir avec celle qui prévalait il y a dix ans. On est beaucoup plus nombreuses, de nouvelles organisations ont vu le jour et surtout, les lesbiennes se battent enfin pour elles-mêmes. Car il y a une longue tradition d’activistes lesbiennes impliquées dans des luttes qui ne sont pas spécifiquement (ou, en tout cas, pas exclusivement) lesbiennes. Par exemple dans les luttes féministes.
Parmi les femmes qui ont organisé le fameux dépôt de gerbe à la femme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe à Paris le 26 août 1970 (événement souvent considéré comme «l’acte de naissance» du Mouvement de Libération des Femmes, ou MLF, NdlR), il y avait quand même pas mal de lesbiennes : Christine Delphy, Monique Wittig, Cathy Bernheim…
Les lesbiennes ont également été très actives dans la lutte pour la légalisation de l’avortement, qui, pourtant, ne les concernait pas directement. Mais aussi, quelques années plus tard, dans la lutte contre le sida : la plupart des personnes qui organisaient les actions publiques d’Act Up, dans les années 90, étaient des lesbiennes. À la même époque, on en retrouvait également beaucoup dans les luttes de soutien aux sans-papiers ou, aujourd’hui, aux migrants.
Aux États-Unis, deux des trois cofondatrices du mouvement Black Lives Matter (qui lutte contre les violences policières à l’égard des Africains-Américains, NdlR) se définissent elles-mêmes comme des queer women of color.
Il y a aussi des lesbiennes au sein du collectif La Barbe. En fait, il y a un vrai savoir-faire lesbien lorsqu’il s’agit de politiser la rue, un savoir-faire sur lequel le collectif Oui Oui Oui s’est d’ailleurs appuyé.
D’où viennent ce savoir-faire et cette tradition d’activisme de rue ?
C’est simplement parce que les hommes avaient (ont toujours) beaucoup plus facilement accès aux espaces de pouvoir et leurs militants se sont donc davantage institutionnalisés alors que les femmes formaient (forment encore) la base des mouvements.
Je ne pense pas que cela soit un choix au départ, même si c’est peut-être aussi une conséquence de la défiance de nombreuses féministes «historiques» à l’égard du pouvoir, qui était synonyme pour elles de patriarcat.
« Penser qu’un homme gay est forcément un soutien de la cause féministe est hélas illusoire »
On croit parfois que les hommes gays seraient «naturellement» plus féministes que les hommes hétéros. Pensez-vous qu’il existe un sexisme propre aux hommes gays, qui se manifesterait de façon différente de celui des hommes hétéros ?
J’observe en tout cas que beaucoup d’hommes gays adorent décortiquer l’apparence physique des femmes. Sous couvert de fascination, leur regard peut souvent se révéler très aiguisé, très féroce, et c’est évidemment une forme de misogynie.
On pourrait croire en effet que les hommes gays, du fait de leur homosexualité, seraient plus sensibles aux discriminations de genre, mais ils partagent avec les hommes hétéros certains réflexes liés au privilège masculin. Par exemple accaparer la parole ou couper la parole aux femmes (manterrupting). Donc penser qu’un homme gay est forcément un soutien de la cause féministe est hélas illusoire.
A retrouver en intégralité sur heteroclite.org.
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