Reportage sur place.
« Je vous laisse patienter Madame. »
À l’accueil des urgences de Lyon Sud, ce lundi matin, tout nous semble a priori dans les clous. L’infirmière est souriante et emploie un ton cordial, mais sur sa blouse blanche, invisible de l’autre côté du guichet, elle a écrit au feutre noir « En grève ».
Comme pour beaucoup ici, c’est sa première grève. Tous les employés paramédicaux des urgences de Lyon Sud ont répondu à l’appel : les 41 infirmiers, les 29 aides-soignants et les sept ASH (agents des services hospitaliers). Les médecins ont pour l’instant exprimé leur « solidarité ». Mais les grévistes reconnaissent :
« On forme une équipe très soudée, tout le monde pleure, même les vieux qui ont de la bouteille, même les hommes, les médecins… On pleure tous ensemble. »
Les urgences, ils les ont choisies. Beaucoup revendiquent même une vraie passion « pour la diversité du service, pour l’adrénaline ». Ils ne se sont donc pas retrouvés là par hasard. Mais il y a deux mois, les choses ont commencé à devenir vraiment « très éprouvantes ».
Depuis, des tentatives pour alerter la direction d’abord, puis un préavis de grève déposé la semaine dernière et aujourd’hui, la grève reconductible comme « seul moyen d’expression ». D’après eux, cette crise n’est due à aucune épidémie, ou pic hivernal :
« Noël a toujours été le 25 décembre et l’épidémie de grippe après, on a toujours prévu ces choses là, mais là, ça dure depuis plus longtemps, et ça continue. »
« On est obligé de jouer à Tetris avec les patients »
Un « point de non-retour », une situation que le personnel raconte avoir vu progressivement empirer dans ce service qui était construit pour 60 patients et qui en accueille parfois aujourd’hui jusqu’à 120 par jour :
« L’Ouest lyonnais se peuple beaucoup, il y un vieillissement de la population qui draine de plus en plus de patients en situation de polypathologie »,
raconte une infirmière postée à l’entrée de l’hôpital. Occupée à distribuer des tracts en chasuble CGT, elle poursuit :
« Par ailleurs, dans les autres services de l’hôpital, on assiste aussi à des « fermetures de lit en aval ». Ce qui est problématique car on leur envoie des patients, depuis les urgences. »
Le temps d’attente atteint des records, 9 heures, 10 heures, avec un effet domino sur les ambulanciers et les pompiers, obligés d’attendre plusieurs heures qu’un lit se libère pour repartir avec le brancard sur lequel le patient est arrivé.
« Parfois on en vient à jouer à Tetris avec les patients, on ne peut pas le mettre dans un lit alors on le met dans un brancard, parfois pour libérer les pompiers on regarde si on peut le mettre dans un fauteuil », résume une infirmière.
Avant de conclure :
« On manque de tout, de lits, de brancards, même de draps, de gants de toilette. »
Ce temps d’attente de plus en plus long est pourtant précieux :« pas de morts ni de suicide pour l’instant, contrairement à Grenoble ». Mais on voit souvent « des pertes de chance »
« Une personne arrivée aux urgences pour une chute a du attendre 6 h avant d’être examinée et de découvrir une hémorragie cérébrale. Dans le cas d’un AVC, plus on traine plus on risque gros »,
assure une infirmière également occupée à tracter et dont la dernière grève remonte à 1988.
Elle poursuit :
« Les malades sont en danger. Tous les patients sont à touche-touche, alors que certains n’ont plus de défenses immunitaires. »
24 ans, infirmière depuis 3 ans et déjà 2 burn-out
À côté d’elle, une infirmière fraichement sortie des études raconte ses angoisses professionnelles tout en arrêtant les voitures qui pénètrent dans l’hôpital pour distribuer des tracts.
« L’autre jour, j’étais seule à la régulation, c’est le poste du premier interlocuteur que le patient rencontre, quand il arrive aux urgences. On doit encaisser toute la colère des gens. Ce jour là il est arrivé en même temps qu’une personne âgée qui avait un problème hématologique, là avec sa famille, et les pompiers, avec une personne qui avait un malaise. Il n’y avait qu’un box alors j’ai dû choisir entre les deux et me fier à mon instinct. J’ai pris la personne amenée par les pompiers et dix minutes plus tard elle faisait un arrêt cardiaque. Si j’avais pris l’autre, ou si il n’y avait pas eu de place du tout, comme ça arrive souvent, que serait-il arrivé ?
Elle est aujourd’hui dépitée :
« En arrivant aux urgences, je m’attendais un peu à ça. Mais pas à ce point là. Aujourd’hui je suis dégoutée du métier, mais je sais même pas où je pourrais aller pour trouver des conditions de travail meilleures c’est partout pareil. »
La promesse de « brancards supplémentaires »
Pour l’instant les revendications n’ont pas été entendues par la direction. Vendredi, il était seulement promis :
« Deux brancards et des lits d’ici fin 2018. Rien de véritable à court terme, plus des solutions à moyen terme et à long terme, sur le projet de 2023 de restructuration des urgences », assure un infirmier.
Contactée par Rue89Lyon, la direction qui a mis sur pied, ce jeudi et à la demande des grévistes un CHSCT extraordinaire (Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail) promet « des brancards supplémentaires, de revoir les livraisons, un personnel d’aide soignant en plus ». Mais elle assure continuer de vouloir privilégier les réflexions sur le moyen ou le long terme.
Du côté des grévistes, on assure que « cette situation est partout la même », on parle des groupes de solidarités entre blouses blanches qui fleurissent sur Internet, on évoque la fermeture de l’hôpital Henry Gabrielle, et l’ampleur du problème paraît vite plus grande que la situation des urgences de Lyon Sud.
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