Thomas Fourrey répond. Avocat au Barreau de Lyon, il est spécialiste du droit de la presse qu’il enseigne à université Lyon 2. Mardi 16 janvier, de 12h30 à 13h30, il est l’invité de la bibliothèque municipale de la Part-Dieu, dans le cadre du cycle « la fabrique de l’info » (tous les renseignements ici).
>> La rencontre sera animée par Laurent Burlet, journaliste à Rue89Lyon <<
Rue89Lyon : La proposition d’Emmanuel Macron de sanctionner les diffuseurs de « fake news » est-elle un retour à la censure ?
Thomas Fourrey : Non, ce n’est pas un retour à la censure mais plutôt un effet d’annonce, car la publication de fausses nouvelles existe déjà dans la loi sur la presse à l’article 27. C’est d’ailleurs sous cette qualification qu’avait déposé plainte François Fillon à l’encontre du Canard Enchaîné, préférant cette voie procédurale à la plainte pour diffamation. Il faut donc attendre ce que sera le projet de loi, s’il apportera quelque chose de nouveau par rapport à ce délit, qui est quasiment tombé en désuétude, puisqu’il impose de prouver « la mauvaise foi de l’auteur de la « fausse » nouvelle, ce qui est très dur en pratique.
Suite à la suppression de comptes français par Facebook et Twitter, certains crient à la censure. Est-elle encore à l’ordre du jour en France ?
La censure se définit comme un acte de contrôle a priori des publications par un gouvernement via son administration.
Il subsiste une seule forme de censure en France, concernant les publications de jeunesse qui sont soumis à la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence.
Ce que certains nomment « censure » pour Twitter et Facebook n’est que l’application par ces derniers de leurs conditions d’utilisation qu’elles ont elles mêmes établies. Il ne s’agit donc pas d’une censure au sens juridique du terme.
En droit français, quels sont les textes qui garantissent la liberté d’expression ?
Ce sont les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyens de 1789 ainsi que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme :
« Toute personnes a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…) ».
En droit interne, le texte fondamental qui fait partie des grandes lois de la IIIe République est la loi du 29 juillet 1881.
Ce texte qui ne réglementait à l’époque que les documents imprimés a traversé les époques et s’est finalement adapté, avec le concours du juge, aux médias contemporains (audiovisuels, Internet…).
Le principe de liberté d’expression souffre toutefois quelques exceptions. Il existe ainsi de nombreuses infractions qui viennent réprimer celui qui a usé de manière illicite de sa liberté d’expression :
- diffamation/injures
- incitation à la haine raciale
- contestation de crime contre l’humanité (la loi de juillet 1990 dite loi Gayssot)
- incitation à la commission d’infraction
- refus d’insertion d’un droit de réponse
- non-respect des interdictions liées à un procès (interdiction des images, de publier un sondage sur la culpabilité…)
- publication de fausses nouvelles
« Le statut de journaliste ne donne aucune prérogative particulière en matière de liberté d’expression »
Secret bancaire, secret des affaires, le devoir de réserve, etc. Finalement, il semblerait qu’il n’y ait que les journalistes à disposer d’une vraie liberté d’expression…
Détrompez-vous. Le statut de journaliste ne donne pas une liberté plus grande.
Dans l’exercice de votre métier, il existe une seule prérogative particulière : le secret des sources qui permet de ne pas divulguer une source même si une autorité administrative ou judiciaire vous le demande. Mais cette prérogative a trait aux conditions d’enquête. En matière de diffusion de l’information, le journaliste est un citoyen comme les autres. Il peut notamment être poursuivi pour recel du secret d’instruction. Mais c’est peu fréquent.
Tout de même. Il a fallu attendre 2016 protéger les lanceurs d’alerte. Et sous certaines conditions.
Effectivement, la loi du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin » porte sur « la protection des lanceurs d’alerte ».
Désormais, toutes les structures de plus de 50 salariés doivent mettre en place une procédure pour recueillir un signalement potentiel de lanceur d’alerte. C’est la première étape : pour être protégé par la loi, il faut avoir porter à la connaissance d’un supérieur « un crime ou un délit ». Si celui-ci ne fait rien, le « lanceur d’alerte peut » prévenir la Justice. Et si rien ne bouge dans un délai de trois mois, il peut rendre public ce signalement.
En cas de « danger grave et imminent », la personne peut saisir directement la Justice et rendre public l’affaire.
« Les juges sont plutôt favorables à la liberté d’expression »
La plupart du temps, c’est au terme d’un procès en diffamation intenté par une personne ou une institution cible d’une publication, que le juge peut contraindre cette liberté d’expression. Comment se déroule ce procès devant la chambre de la presse ? Quel est l’état de la jurisprudence ?
L’article 29 de la loi de 1881 définit la diffamation comme « l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou la considération d’une personne ».
Après qu’une personne ait porté plainte pour diffamation contre une autre personne ou un média, il y a une audience devant la chambre du tribunal correctionnel spécialisé dans la presse (à Lyon, il s’agit de la 6e chambre). A la barre, se déroule un débat contradictoire entre les deux parties.
Au journaliste (ou à la personne qui fait l’objet de la plainte) d’apporter la preuve de la vérité. Ce que l’on nomme « l’offre de preuves ». S’il l’apporte, il sera relaxé.
Dans les faits, neuf fois sur dix, le journaliste n’arrive pas à apporter totalement la preuve de ce qu’il avance. Le débat se déplace alors sur un autre terrain : la bonne foi.
Les juges estiment de cette bonne foi selon quatre critères :
- l’absence d’animosité
- la prudence dans les propos
- le sérieux de l’enquête
- le motif légitime d’information
Les juges étant plutôt favorables à la liberté d’expression, ils estiment qu’il n’y a pas diffamation du moment que la bonne foi est retenue.
Même si la charte de déontologie dit, parmi les 10 devoirs, qu’un journaliste doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », un journaliste peut être amené à évoquer la vie privée, notamment dans la presse people. Comment le juge estime qu’il y a atteinte à la vie privée ?
Les questions de vie privée forment aujourd’hui l’essentiel du contentieux en matière de presse.
Les juges font une balance entre la vie privée relative et la liberté d’expression. Autrement dit, le champ de la vie privée d’une personne célèbre est nécessairement moins important que celui d’un citoyen lambda.
C’est toute l’histoire de l’interdiction du livre du docteur Gubler en 1996, le médecin personnel de François Mitterrand, qui révélé que le président de la République socialiste souffrait d’un cancer dès 1981.
D’abord interdit par la justice française au nom de la protection de la vie privée, le livre a fini par être réédité suite à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui condamne la France, estimant, au nom de la liberté d’expression, qu’il peut être porté atteinte à la vie privée d’une personne (en l’espèce, en révélant son état de santé) lorsque il s’agit d’un chef d’Etat.
Chargement des commentaires…