Animée par Vincent Trémolet de Villers du Figaro, la conférence du festival La Chose Publique du 22 novembre de Jean-Yves Pranchère, co-auteur du livre Le Procès des droits de l’homme, Généalogie du scepticisme démocratique, a permis d’exposer les principales attaques contre les droits de l’homme.
« Nous ne sommes plus du tout dans un consensus vis-à-vis des droits de l’homme depuis les années 1980. »
Selon lui, ce dissensus devient de plus en plus sensible ces dernières années.
Certes, personne « n’attaque directement les droits de l’homme » sauf des « marginaux ». Mais il y a d’une part un discours autour du « droit-de-l’hommisme » et d’autre part, un courant de critiques des droits de l’homme toujours très fécond.
L’état d’urgence : « la fragilisation des droits de l’homme »
Si ce dissensus est très visible à l’échelle internationale, en France, les droits de l’homme sont également confrontés à un nouveau défi depuis le 13 novembre 2015. L’état de l’urgence puis son intégration au droit commun sont vus par Jean-Luc Pranchère comme une attaque contre les droits de l’homme.
Le 30 octobre 2017, « La loi renforçant la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme » est entrée en vigueur. Mais si l’état d’urgence était temporaire, les dispositifs de la loi de lutte contre le terrorisme nouvellement promulguée sont permanents. Cette nouvelle loi permet à l’administration, comme sous l’état d’urgence, de décider d’assignations à résidence, de détentions provisoires, de perquisitions administratives, de fermetures de lieux de culte, sans véritable contrôle a priori.
« Les droits humains marque la dépolitisation droits de l’homme »
Jean-Yves Pranchère distingue les droits de l’homme de l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.
Répondant à une question du journaliste sur l’emploi de l’expression « droits humains », le philosophe répond qu’il « comprend l’idée que « droit de l’homme » soit remplacé par « droits humains » car « homme » exclut la « femme ». Mais il ajoute que cette expression a deux défauts :
« Cette formule fait tomber la dernière partie de l’expression « les droits de l’homme Et du citoyen ». Or cela doit former une unité insécable. Par ailleurs, cette formule « les droits humains » tend à dépolitiser les droits de l’homme en les naturalisant ».
Pour lui, la sémantique n’est toutefois pas le plus important; qu’est-ce qu’on peut mettre derrière.
« La Déclaration de 1789 n’est pas une charte de droits sacralisés ou une énumération de droits absolus : elle est le résultat des efforts pour rendre effective la proclamation de l’égalité des hommes en droit. Elle décrit la manière dont les droits s’équilibrent entre eux sous le principe de l’égalité et de la réciprocité des libertés ».
Selon Jean-Yves Pranchère, la Déclaration de 1789 est un développement de la proposition de « l’égale liberté » – proposition dont les déclarations ultérieures seront une déclinaison.
« Les droits de l’homme permettent tout, même le voile intégral »
Vincent Trémolet de Villers du Figaro interroge alors Jean-Yves Pranchère sur la situation canadienne.
En septembre 2015, la cour fédérale du Canada a autorisé le port du voile intégral lors des cérémonies de citoyenneté. Justin Trudeau, alors le chef du Parti libéral canadien, a affirmé que la défense des droits individuels des minorités est ce qui fait la force du pays.
Jean-Yves Pranchère développe :
« les droits de l’homme permettent tout, même le voile intégral ».
C’est donc une critique supplémentaire des droits de l’homme : « ils ne peuvent pas faire une politique car il y a des droits qui sont en contradiction ».
On le voit avec cet exemple du niqab autorisé au Canada et interdit en France.
Jean-Yves Pranchère cite l’opposition entre le « droit à l’avortement » et les « droits des enfants » Mais aussi la question de la liberté d’expression. Elle est absolue aux Etats-Unis et limité par l’interdiction de l’incitation à la haine dans la plupart des pays européens.
Le philosophe offre une clé de lecture :
« Il faut partir du principe d’égale liberté. Les droits de l’homme ne sont pas une liste de droits mais une formulation du principe de composition des droits. Chacun des droits portent sa propre limite ».
La critique néolibérale : « Ce sont les droits de l’individu qui doivent primer »
Il y a toujours une nuance entre les droits de l’homme et les droits des individus.
La version néolibérale des droits de l’homme est liée à une configuration théorique en réalité hostile aux droits de l’homme. Les néolibéraux, comme Friedrich Hayek, ont totalement mis de côté les droits de l’homme dans les années 1970.
Jean-Luc Pranchère explique :
« le libéralisme n’est pas la politique des droits de l’homme, c’est la politique des droits de l’individu, qui subordonne l’égalité à la liberté. C’est aussi l’idée que le libéralisme doit se réaliser dans la souveraineté de tous sur tous, l’individu est propriétaire de lui-même ».
Le libéralisme veut en effet traditionnellement assurer la protection de l’espace privé contre les empiètements de l’Etat. Selon cette doctrine politique, l’individu est propriétaire de lui-même et de ses droits qui sont négociables sur un marché. L’individu devient entrepreneur de lui-même.
En conclusion, Jean-Yves Pranchère expose cette vision des droits de l’homme :
« Les droits de l’homme ne son pas un programme politique clé en main. Il s’agit d’une boussole politique. Toutes les critiques, mêmes les plus radicales, buttent sur un problème : les droits de l’homme, c’est le droit à avoir des droits ».
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