Hospitalité inconditionnelle, dispositifs politiques face aux flux migratoires, universalisme … telles sont les thématiques abordées par Martin Deleixhe au sein de son dernier ouvrage paru en 2016.
Sur le thème de l’hospitalité, l’auteur met en exergue un conflit inhérent à nos sociétés démocratiques; d’un côté, la souveraineté et de l’autre, la visée universaliste d’un régime démocratique :
“Deux principes coexistent dans la démocratie : l’idée que nous décidons pour nous même d’un côté et l’idée que nous sommes tous égaux et renvoie à des valeurs morales. Si nous décidons pour nous, nous pouvons décider qui nous acceptons et qui nous excluons. Cependant, l’idée d’une égalité universelle, elle, vit très mal l’idée d’exclure les étrangers”.
« Un droit à l’immigration pour s’éloigner d’une hospitalité purement morale »
À la question d’une organisation optimale de l’hospitalité, Martin Deleixhe ne propose pas de solution concrète mais une pensée philosophique qui éventuellement pourrait constituer un cadre pour la mise en place de politiques publiques.
Il n’est pas question de philanthropisme ici, mais bien d’intégration du migrant à un corps politique pour parachever l’hospitalité. Ainsi, selon l’auteur, “l’hospitalité permanente, c’est un enfer. […] Elle doit aboutir à la solidarité”. Il présente donc l’hospitalité non pas comme une fin mais un simple état de transition.
Si l’hospitalité se doit d’être temporaire, c’est parce qu’il est incohérent pour le philosophe d’exclure des acteurs, tels que les migrants, qui participent à l’activité économique au sein du territoire national mais n’ont pourtant pas droit à la parole dans le débat public. Pour justifier cela, Martin Deleixhe s’appuie sur des principes fondateurs des régimes démocratiques :
“dans la démocratie, ceux qui sont soumis aux politiques en sont aussi les auteurs. Les migrants doivent donc avoir leur mot à dire car ils sont également concernés”.
Ainsi, il s’agit, pour le politologue, de définir « un droit à l’immigration pour s’éloigner d’une hospitalité purement morale », basée sur l’action d’acteurs humanitaires, par exemple, pour rendre ce droit positif.
La crise migratoire actuelle nous montrent que des politiques d’accueil peinent à émerger. Bien au contraire.
“Nous nous trouvons plutôt dans des politiques de fermeture où les discours nationalistes se renforcent.”
“Dans le nationalisme, il y a toujours une forme de racisme, un besoin de naturaliser la différence”
Et si les limites de l’hospitalité résidaient finalement dans la modèle-même de l’Etat-Nation ? Autour du concept “d’ethnicité fictive de la nation”, Martin Deleixhe revient sur la construction étatique autour de certains symboles.
Une “race”, une langue, un territoire,… aucun de ces éléments n’existe en soi. Ils sont néanmoins fondamentaux pour définir l’État-Nation, sous sa forme actuelle, et délimiter un corps politique.
Ainsi, ce modèle présenterait, à sa racine, des facteurs d’exclusion irréconciliables avec une mise en place élargie de principes d’hospitalité qui aboutiraient à une ouverture de la communauté de citoyens d’un Etat.
Cependant, Martin Deleixhe reste optimiste, la solution pour le politologue se trouverait dans une nuance :
“Il faut mettre en place un processus qui permet aux étrangers de devenir des nationaux. Il ne s’agit pas d’un droit à la citoyenneté automatique, mais d’un droit d’y avoir potentiellement accès”.
Il s’agirait alors selon l’auteur de mettre en place une forme de contre-société qu’il définit comme basée sur des “principes d’appartenance qui ne soient pas nationalistes mais plutôt basés sur la citoyenneté politique et la participation au débat démocratique.” Cela passe par la mise en place de législations encadrant l’accès à la nationalité de l’étranger, contre toute forme d’attribution arbitraire.
Par ailleurs, selon Martin Deleixhe,les discours nationalistes voire populistes relèveraient d’une utopie. Les frontières n’ont jamais été étanches aux flux migratoires dans l’histoire.
L’exemple de la frontière Etats-Unis/Mexique est révélateur : malgré la construction d’un mur de séparation, elle reste la plus traversée au monde. Preuve en est, selon Martin Deleixhe, qu’une doctrine nationaliste de fermeture totale des frontières n’est aujourd’hui pas envisageable, et encore moins dans un contexte de globalisation accélérée.
“la France se trouve aujourd’hui dans une logique de répression face aux migrants”
Pour Martin Deleixhe, “la France se trouve aujourd’hui dans une logique de répression face aux migrants”, une parole publique qui n’arrive pas à énoncer des mesures permettant leur intégration.
Alors que nos voisins allemands mettent en place des politiques concrètes, notamment en termes d’accès à l’emploi, le gouvernement français s’enlise dans certaines incohérences, tout en proposant des solutions trop faibles face à l’ampleur du phénomène migratoire. La semaine dernière encore, le cas de migrants expulsés à Lyon, et réfugiés dans un amphithéâtre à l’Université Lyon 2 a montré les limites de l’intervention des pouvoir publics face à la crise migratoire et, notamment, l’absence de proposition d’hébergement durable pour ces populations vulnérables.
Il s’agirait ainsi pour l’auteur de passer “d’une politique de fermeture et de répression à une politique d’ouverture et d’intégration”. Alors que la France promettait d’accueillir 30 000 migrants sur l’année 2016, ils étaient environ 600 000 en Allemagne, par exemple. Mais les récents événements politiques Outre-Rhin inquiètent et ce chiffre devrait décliner.
Selon Martin Deleixhe, l’immigration est aujourd’hui, “un phénomène à deux vitesses”. Il faut savoir que les migrations Nord-Sud représentent aujourd’hui une minorité des flux migratoires mondiaux malgré les idées reçues. La mobilité « légale » reste, elle, réservée à une élite majoritairement issue des pays du Nord, qui peut se déplacer, contre une population plus vulnérable, qui, elle, subit la fermeture de frontières. Loin de l’idéologie kantienne d’un universalisme terrestre chère à Martin Deleixhe.
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