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Qui est la boss du studio lyonnais Jarring Effects ?

De sa Haute-Savoie natale jusqu’aux tables de mixage du studio lyonnais Jarring Effects, Céline Frezza a suivi un chemin bien singulier. Un parcours qui a fait d’elle aujourd’hui la seule femme en France à diriger un studio de musique. Portrait.

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Qui est la boss du studio lyonnais Jarring Effects ?

Si elle est discrète au possible, Céline Frezza n’est pas le moins du monde effacée : de la ténacité, de l’engagement, de la fidélité aussi, pour un parcours pas loin d’être unique par ici, qui en fait une personnalité aussi incontournable que respectée de la musique à Lyon, à l’œuvre dans l’ombre de nombre de disques (Ez3kiel, High Tone…) qui ont marqué la scène française.

Car avant d’être Erzatz, double scénique devenu groupe au fil des rencontres, Céline est la boss du studio Jarring Effects qui fêtait la semaine dernière les dix ans de son installation sur le plateau de la Croix-Rousse. Et la seule femme à notre connaissance à diriger un studio en France.

« En quinze ans de carrière, j’ai vu passer seulement deux musiciens qui avaient déjà rencontré une femme ayant son propre studio. Ma carrière aurait été différente si j’avais été un homme, j’aurais eu plus de visibilité.

Je ne me plains pas : à Jarring, tout le monde m’a toujours soutenu. Et je n’ai pas souffert de misogynie dans mon milieu. Mais quand on discute son, on va souvent écouter plus un homme que moi : j’ai toujours eu cette impression, et c’est toujours vrai je pense. Il y a encore des préjugés ».

© Le Petit Bulletin

A Mayotte, la grosse claque du réel

C’est en revenant d’un voyage dans l’Océan Indien, à 21 ans, que cette admiratrice de Patti Smith décide de se lancer dans une carrière de technicienne son. Par pragmatisme : elle compose depuis plusieurs mois sur un PC 333 MHz acheté en 1998, utilisant le logiciel Acid,

« mais musicienne, ce n’est pas un savoir-faire facile à vendre ; il me fallait un métier, je voulais construire au retour de ce séjour de six mois à Mayotte. Une bonne claque dans la gueule ! Je rejoignais là-bas ma sœur qui bossait dans un hôpital, nous étions confrontées au réel…. J’ai décidé de me lancer à fond dans la technique du son ».

S’ensuit une formation et un premier stage chez Fa Musique, emblématique société de sonorisation de la région. « Pour la première fois de ma vie, je me sens vraiment à ma place ! » dit celle qui a arrêté la fac quelques mois plus tôt, après quatre ans d’études qui devaient la mener vers le métier de sociologue.

« Je trouvais ça pertinent de s’intéresser à sa propre société. Mais petit à petit, j’ai organisé de plus en plus de soirées. Je me sentais moins en phase avec le monde universitaire, plus avec celui de la musique ».

Le premier outil de travail de Céline Frezza (hypothétiquement). © Uncle Saiful/Flickr

Bande à part

Il faut dire qu’en débarquant à Lyon pour ses études, la savoyarde a rencontré toute une bande qui commence à agiter la scène locale, par l’intermédiaire de Stéphane Bernard, alors encore chanteur de Kaly – bientôt Live Dub. Et qu’entre les raves et les soirées au Pez Ner souffle un vent de liberté et de curiosité totale qui chamboule bien des destins.

« Je venais d’avoir mon bac, j’avais 17 ans, tout s’est élaboré avec les High Tone, les Kaly…  Une grosse période de construction musicale pour moi. On allait beaucoup au concert, on n’avait pas Internet : fallait aller voir, chercher.

On allait chez Dark Fish, le magasin de disques de Mathias (le frère de Flore), c’est là que j’ai découvert l’abstrakt hip-hop, le label Def Jux, Anti Pop Consortium, Cannibal Ox : je suis tombé en amour pour ce son ».

Une révolution pour celle qui était encore fan de Ben Harper et avait vu son oreille s’éduquer au son de Couleur 3, émise de la Suisse voisine.

« J’ai grandi dans une épicerie en Haute-Savoie, à côté de Thonon-les-Bains, sur les rives du lac Léman. Ma mère était épicière, mon père comptable. La culture, c’est quelque chose de très personnel : je n’ai pas grandi dedans.

Même si un concert m’a vraiment touché vers mes 16 ans : de la musique contemporaine, à Evian. Il y avait une percussionniste incroyable, je me suis surprise à engueuler les notables qui faisaient trop de bruit à côté : mon père qui m’avait emmené était un peu gêné. C’est là où j’ai compris que la musique m’apportait quelque chose de différent ».

Rien ne pourra lutter, à part peut-être le polar qu’elle dévore, Caryl Férey en tête, sa seconde passion.

Vivre sa vie

Mais revenons à ce stage chez Fa Musique. Là, bosse aussi Éric « Rico » Giraudon, co-fondateur de Jarring Effects. Qui repère Céline « en train de brasser du câble sur une scène, avant un concert de Meï Teï Shô et Ez3kiel » et la sait déjà adepte de MAO (Musique Assistée par Ordinateur).

Quelques jours plus tard, il lui propose le poste d’assistante MAO, pour développer le studio alors mobile et qui sera bientôt installé rue des Fantasques avant de déménager sur le plateau. Elle accepte. Et se retrouve à bosser sur l’album Papillon de Monsieur Orange, premier disque d’une longue série où elle apprend en compagnie de Jean-Pierre Spirli (Philippe Découflé, les Wampas, Biolay…), avant de travailler dans la foulée avec Fred Norguet sur l’album Barb4ary d’Ez3kiel puis Wave Digger de High Tone, avec Grégory Aldéa, autre proche.

« Ensuite, j’ai eu une grosse période hip-hop où je me suis confrontée à des rappeurs. Maintenant, c’est plus world électro. Je me suis aussi formée à la post prod pour faire des documentaires ».

Jusqu’à Eustache McQueer, dernière sortie en date, et bientôt le rappeur Grems, qui vient d’entrer au studio pour son prochain album.

Le documentaire, c’est aussi une voie suivie par le label : un premier fut tourné en Afrique du Sud.

« Cape Town, c’est un changement de posture à Jarring. Monsieur Mo, le directeur artistique, voulait fonder un groupe de A à Z et moi je voulais voyager. Pour fêter nos dix ans de collaboration avec l’Afrique du Sud, on a choisi Cape Town. On a toujours été politique, mais on voulait quelque chose de plus écrit, on a donc décidé de se lancer dans le documentaire et de bosser avec des rappeurs inscrits dans leur communauté pour dire les choses.

On est parti un mois. Beaucoup de temps en studio, avec du stress : il fallait ramener un disque. Cape Town, ça a été très solaire. Arrivés à la 100e référence, on se reposait peut-être un peu sur nos acquis. Ce projet nous a relancés. Il fallait que l’on prenne un virage artistiquement. Ça nous a emmené à Détroit, pour un second projet, plus dans la veine sociale que musicale. Là-bas, on a rencontré une chanteuse de jazz reprenant du Billie Holiday qui nous a touché et on a fait un documentaire sur elle qui s’appelle Jazz ».

 

les grandes féministes ont beaucoup influencé mon parcours

« Les grandes féministes ont beaucoup influencé mon parcours »

Le chant, justement. Dernière prise de risque en date de Céline, au sein de son projet Erzatz qu’elle mène en parallèle depuis dix ans. Sa voix s’est immiscée sur son dernier album, Meïan, sorti cette année, et sur scène, aux Bars en Trans fin 2016 :

« Ça s’est pas super bien passé ; on choisit pas d’être ingénieure de studio par hasard, on aime être dans le noir…».

Mais Sayyid de Anti Pop Consortium, qui participe à ce disque d’abstrakt folk, était là, sur scène, il l’épaule, conseille.

« J’aurais jamais pensé en 1997 me retrouver sur scène en duo avec lui ! Mais il fallait que j’assume. J’avais engagé du monde dans ce processus, fallait aller jusqu’au bout. C’était plus le moment de me dégonfler. C’est moi qui écris les textes, je me sentais de le faire. J’avais envie, je revenais de Détroit, je m’étais intéressée à Billie Holliday par le biais de Jazz, je voulais donc écrire dans ce style d’ancienne chanteuse de jazz. D’un autre côté, j’ai été agoraphobe pendant longtemps, ç’a été un vrai problème pendant dix ans et je voulais en parler. C’était pas facile, c’est intime. Je suis fière d’en être sortie, je voulais le raconter ».

« Je lis beaucoup, aussi : les grandes féministes ont beaucoup influencé mon parcours. Sylviane Agacinski, Billie Holiday. Toutes ces femmes qui se sont battues à un moment donné. Je m’inscrit dans cette lignée là : j’évolue dans un milieu très masculin,  je me suis accrochée. Mais j’ai eu la chance d’être au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes personnes ».

Repères

1979 : Naissance en Haute-Savoie

1996 : S’installe à Lyon

1998 : Achète un ordinateur et commence à composer

2008 : Sortie du premier album de Erzatz, Will we Cross the Line ?

2012 : Cruel Summer

2017 : Meïan

2017 : Nouveau projet de documentaire et de disque à la Nouvelle-Orléans

 

Article à lire sur le petit-bulletin.fr, par Sébastien Brocquet


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