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Fist and chips, crevettes laquées et « Cake Moss » : le parfait livre de recettes queer

« Braise-moi » est un livre de recettes, non pas de grand-mère ou de vieil oncle mais plutôt de plume libérée.

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Boubi alias Émilie Bouvier, auteure des recettes de Braise-moi.

Édité par Heteroclite (copains.pines de presse locale, mensuel « gay mais pas que »), le recueil donne à voir sous un jour nouveau notre pratique de la cuisine, grâce à des jeux de mots et à un travail graphique qui modifient toute la saveur des plats.

Apprendre à monter les blancs en neige en démontant des clichés liés au genre, c’est une petite performance que réalise Boubi -alias Émilie Bouvier. Un bel objet à soutenir avant la Noyel (croquez donc du crowdfunding).

Rue89Lyon : Quand on parle de cuisine, on a souvent l’image d’une femme derrière les fourneaux ou d’un chef étoilé (et moins d’une cheffe). Est-ce le terrain sur lequel Braise-moi se rend, l’air de rien ?

Emilie Bouvier alias Boubi : Si Braise-moi a une dimension féministe, à plusieurs niveaux, il ne s’inscrit pas dans le sillage d’une mère Brazier ni n’a pour objectif de redorer le blason des cheffes. Tout simplement car ce livre ne revendique aucune prétention gastronomique.

Boubi alias Émilie Bouvier, autrice des recettes de Braise-moi.

Les recettes sont facilement réalisables, destinées à une cuisine plutôt quotidienne. En revanche, il prend indéniablement à rebours les codes du livre de cuisine traditionnel et se moque des règles imposées aux femmes en tant que maîtresse de maison (en filigrane dans les recettes), et en matière de régime alimentaire (avec une recette comme le Cake Moss par exemple).

Au contraire, Braise-moi propose une vision décomplexée et libérée de la cuisine en s’adressant aussi aux femmes débarrassées de leurs activités mulièbres. Une recette comme Les Cookies Dinker par exemple, soit des cookies salés, rend hommage aux femmes libérées (qui cuisinent pour leurs amis et non pour leurs enfants et préfèrent les apéros décadents aux quatre heures turbulents).

On a appris que si les femmes sont plus petites que les hommes, ce serait notamment parce qu’elles sont de longue date moins nourries qu’eux. De quoi tomber de sa chaise, non ?

Oui ! Et j’ai été émue à l’annonce de la mort de l’immense anthropologue Françoise Héritier, à l’origine de cette observation. En plus de ses études de terrains, lorsqu’elle parlait de sa propre enfance, elle mentionnait souvent avoir observé ces repas où les femmes mangeaient les reliefs non consommés par les hommes.

Pour ma part, je me souviens très bien avoir entendu ma tante ou ma mère me chuchoter d’un ton secret et complice en me passant le plat de service : « j’ai minimisé les quantités, laisse-en pour les hommes ».

Dans ma famille, lorsque mes frères, cousins, oncles vont encore couper le bois pour l’hiver (je ne suis pas née à la préhistoire mais chez moi il y a une sorte de tradition assez incroyable où les garçons se retrouvent l’an pour couper les peupliers afin d’en faire du bois de chauffage), ma grand-mère leur réserve un repas digne de la préhistoire, pour le coup ! Mon cousin me racontait amusé l’an dernier le repas des bûcherons : saucisson brioché en entrée, boeuf bourguignon en hors-d’oeuvre, cassoulet en plat principal, farandole de fromages…

Ce qui est drôle dans tout cela, c’est que les études nutritionnelles montrent que les femmes auraient physiologiquement plus besoin de protéines animales que les hommes, et eux, davantage de glucides.

J’ai appris aussi récemment que la différence de taille s’expliquerait également par la peur séculaire de l’accouchement, crainte qui conduirait inconsciemment les femmes à refuser l’élargissement de leur bassin et à se maintenir, par protection, à une taille modeste…

Bref, d’où ce « manuel de culture queer » pour montrer aussi que la différence est bien une affaire de construction culturelle.

« Braise-moi propose aussi une cuisine des fonds de frigo (le flan Q avec votre yaourt périmé de la veille) »

La nourriture est devenu un champ du militantisme très investi, le veganisme par exemple tend à défendre des modèles sociaux meilleurs, des alternatives à la surconsommation, etc. Qu’est-ce qu’en dit Boubi ?

Boubi rêve d’avoir un renard en écharpe et mange un pot de miel par semaine ! Je suis donc loin d’être une adepte du véganisme et de l’antispécisme. Blague mise à part, le sujet est bien sûr passionnant mais vaste car il embrase des questions philosophiques sur la place, la valeur et la « hiérarchie » des êtres vivants.

Pour faire court, je me place dans une perspective plutôt humaniste et défend une alimentation qui s’approche du végétarisme, je suis moi-même quasiment végétarienne et les recettes de Braise-moi en témoignent très largement. Je dis « quasiment », car je ne m’interdis pas éthiquement mais aussi par plaisir de consommer de temps en temps très raisonnablement de la viande et surtout du poisson et des crustacés que j’adore, lorsque j’en connais la qualité, la provenance et les conditions d’élevage.

Le gaspillage et la surconsommation sont des questions en revanche qui me tiennent à cœur, c’est pourquoi Braise-moi est aussi une cuisine des fonds de frigo (le flan Q avec votre yaourt périmé de la veille par exemple), du recyclage (on trouvera des pastilles du type : « Que faire avec des parures de crevettes ? ») et qui donne une place prépondérante à l’assaisonnement, aux épices, aux aromates pour proposer des recettes goûteuses et peu coûteuses avec pas grand chose, et surtout des légumes.

La recette du « Clafoutif » est à retrouver dans Braise-moi. ©Anne Bouillot

Braise-moi est-il un ouvrage militant, d’une certaine manière ?

Braise-moi est carrément un ouvrage militant ! En tous cas, même sous son aspect de militantisme à paillettes, je l’ai pensé comme tel. Un militantisme qui s’effectue certes par des voies comiques, ironiques, extrêmement légères mais à l’image de l’univers queer (c’est à dire tordu, à rebours des normes patriarcales et hétérosexuelles) qu’il dépeint.

Bien sûr la forme caustique, un peu potache et insolite (en utilisant le biais de la cuisine) ne permet pas vraiment un examen approfondi des questions culturelles.

Mais le livre propose une bibliographie et des prolongements sérieux commentés sous forme de pastilles humoristiques plus ou moins étoffées qui invitent le lectorat à accroître ses connaissances par lui-même, à réfléchir sur les stéréotypes de genres, à s’interroger sur les normes sociales, langagières (le Gasmacho par exemple se moque des synonymes sexistes attribués au mot « femme » dans la recette, puis propose une pastille informative qui les recense et les questionne) et plus qu’à assumer, à prôner cet univers décalé.

« Le Cake d’amour de la princesse Peau d’âne est revisité sous l’angle de la polyamorie »

Tu fais partie des profs qui s’engagent à enseigner l’accord de proximité plutôt que la règle du masculin l’emporte sur le féminin. Ton engagement féministe se situe là aussi, peux-tu nous en parler ?

Oui, je fais partie des 314 hystériques ou abruti.es à l’origine du manifeste qui brûleraient leur soutien-gorge pour un point médian ! Pour moi, la question de la langue est un combat extrêmement sérieux, loin d’être minime ou accessoire.

J’en parle dans Hétéroclite depuis longtemps et aussi à mes élèves. Ce qui m’agace aujourd’hui c’est le soupçon féministe, le soupçon idéologique qui entache systématiquement la prise au sérieux de cette question.

Pour faire vite, ce que je rappelle aux élèves, et à mon entourage, c’est que l’écriture inclusive est en totale adéquation avec l’histoire de la langue.

Contrairement au principal argument que l’on entend, à savoir, que la langue évolue toute seule, qu’elle n’a pas besoin de règles, je leur explique qu’elle a été amputée au XVIIème siècle de ses désinences féminines, que notre dictionnaire a été dépouillé volontairement de mots féminins jusqu’alors utilisés tout à fait normalement (dans Braise-moi j’évoque justement l’histoire du mot « poétesse ») par des grammairiens masculinistes, que l’accord de proximité non seulement s’inscrit dans l’histoire et la littérature mais qu’il privilégie la logique, donc au final n’est pas plus compliqué pour les élèves.

Je leur donne les éléments pour réfléchir et je l’applique en classe, particulièrement à l’oral, sans m’hystériser avec mon Velleda !

Et, je me trompe peut-être, mais je m’aperçois que cette question les interroge, les font réfléchir plus qu’elle les perturbe.

Qu’est-ce qu’une recette queer, finalement ?

Sur le plan nutritionnel, il n’existe pas de régime queer à proprement parler. Les recettes reposent sur une analogie entre les mets et les mots (les crevettes, coquettes mais dirty, prêtes à partir en after, sont laquées et gominées comme votre crête avant de rejoindre les paillettes de la nuit), sur une personnification des plats (le Gasmacho, fraîchement débarqué d’Espagne, est glacé comme le regard que vous lui lancerez quand il tentera de vous mettre une main aux fesses) ou sur une déconstruction de la cuisine genrée traditionnelle (le Cake d’amour de la princesse Peau d’âne est revisité sous l’angle de la polyamorie par exemple).

Ce qui peut être qualifié de queer en revanche, c’est l’approche de la cuisine : la Butch de Noël par exemple prend le contre-pieds des recettes légères, fruitées et girly de la bûche de votre belle-soeur au biscuit aussi aérien que sa mousseline de soie.

Le « Gasmacho », une recette à retrouver dans la piscine et dans le livre de recettes Braise-moi.

Il y a une forme d’évidence à lier la sexualité et la bouffe. Est-ce que la notion de plaisir est fondamentale dans tes propositions culinaires ?

Ce n’est pas tant la notion de plaisir qui est fondamentale dans mes propositions culinaires, mais plutôt la notion de libération.

Le titre du livre fait évidemment coïncider les thèmes de la cuisine et de la sexualité car celle-ci fait partie des problématiques queer et Braise-moi aborde les deux sujets sous un même angle, celui de la décomplexion.

C’est l’idée que l’on peut parler de sexualité au déjeuner comme on étale du Nutella sur une biscotte.

La notion de jouissance (culinaire) n’est donc pas centrale, mais certaines recettes en font l’apologie (comme le Mi-Queer par exemple) ou tissent des liens entre les deux domaines (comme Le Fist and Chips, une recette inédite à découvrir mais ici c’est le geste -amoureux et culinaire- qui est mis en exergue).

Qu’est-ce que Braise-moi peut apporter dans la production éditoriale énorme de la gastronomie et de la cuisine ?

Effectivement le flot de livres sur la cuisine, et mêmes insolites sur la question, est gigantesque. Il existe d’ailleurs déjà des livres de cuisine gays, lesbiens et féministes.

Très modestement, Braise-moi se distingue par sa forme hybride et humoristique. Il fusionne deux dimensions : l’aspect culinaire et culturel. Derrière l’étiquette queer, il rassemble tous ces univers (féministe, LGBT), il combine une culture pop, voire kitsch et une autre plus littéraire et élitiste.

Enfin, les photographies d’Anne Bouillot ont plus qu’une fonction illustrative mais s’inscrivent dans une perspective artistique à la fois esthétique, décalée et originale et décapent aussi le concept de la traditionnelle photo culinaire.

Pour résumer, Braise-moi permet de braiser ses endives tout en s’immergeant dans un bouillon de culture queer au gré d’une conception truculente de la cuisine.

Est-ce que Braise-moi peut faire la nique aux bouquins de Cyril Lignac à Noël ?

Si votre belle-soeur accepte d’offrir des « bons cadeaux » à la place d’un vrai livre (ça commence à être sexiste cette histoire de belle-soeur, mais on ne va pas se mentir, ce n’est pas tonton Roger qui se farcit les courses de Noël), et donc d’un vrai paquet sous le sapin, pourquoi pas !

En même temps, chaque année, elle se plaint des magasins bondés, peut-être que cette fois, elle sera bien contente de s’épargner la razzia à la Fnac (et les coups de cabas qui vont avec) contre un shopping en ligne sur le kiss kiss bank bank de Braise-moi.

« Mes ami.es se moquent de moi car je suis capable d’équeuter des haricots pour des spaghetti à 5h du matin »

On a parlé jusque là assez sérieusement car la nourriture, la consommation et le queer sont des sujets importants dont on ne finit jamais de faire le tour. Mais je ne voudrais surtout pas omettre le fait que tes recettes sont écrites avec du talent et beaucoup d’humour. Tu fais de nombreuses références à la pop culture. Ceci n’est pas une question, c’est vrai.

Merci, ça me fait très plaisir ! Ce qui est sûr, c’est que je m’amuse beaucoup en les écrivant, mes recettes sont parfois un prétexte (au sens étymologique) à une petite comédie, à des petits sketches que j’imagine et qui me font sourire. Ce n’est pas la Comédie Humaine dans la cuisine non plus, mais c’est vrai que ce qui me plaît avant tout, c’est d’écrire, de tisser des liens (entre tout ce que j’ai déjà développé au dessus, les mets, les mots, etc.) et surtout de mélanger des univers pour créer un décalage.

La pop culture est extrêmement présente, elle apporte une dimension légère (La Terrine Dion, Le Chutney Spear par exemple) mais l’humour naît aussi du contraste entre les univers, je pense (Catherine de Médicis et son sceptre, versus Sheila et son twirling bâton, dans La galette des Reines par exemple). Oui, je m’amuse beaucoup !

Quelle place prend la cuisine dans ton quotidien ?

Elle est aussi essentielle que l’alimentation. Du point de vue culinaire, les recettes me ressemblent assez et reflètent à peu près mes goûts personnels (légumes, sucre et crustacés). Ce que j’affectionne par dessus tout, c’est le recyclage culinaire, les patchworks de frigo : la soupe miso avec un vieux talus de brocolis coupé en julienne.

Et surtout, je mange extrêmement équilibré : mes ami.es se moquent de moi car je suis capable de couper des blancs de poireaux, d’émonder des tomates ou d’équeuter des haricots pour les mettre dans des spaghetti à 5h du matin.

On aimerait bien connaître le plat préféré de Boubi. Et aussi le moins admissible.

Sans hésitation, les huîtres ! À sec, froides, sans citron ni échalotes. En même temps, ce n’est pas un plat, dans ces conditions. D’ailleurs, c’est un peu comme les artistes qu’on adore, c’est souvent plus difficile d’en parler. Je n’ai encore proposé aucune recettes, mais j’ai des idées, une sorte de Naissance de Vénus avec des Saint-Jacques, une écume d’huître, etc. À peaufiner.

Le moins admissible ? Toute la famille de la saucisse ! Je ne vois pas l’intérêt : gras, salé, grossier, ou alors en condiment, mais sans qu’il y ait de message subliminal féministe derrière cette analyse, je ne comprends pas qu’elle soit aussi centrale dans nombre de plats dits du terroir et notamment lyonnais, jamais accompagnée d’un gracile petit navet ou d’une laitue en nage.

Un ingrédient magique, un conseil pour les nuls en cuisine ?

L’amour et la générosité ! Non je plaisante bien sûr. Sérieusement, une gremolata : mélange d’herbes ciselées (roquettes, persil, n’importe quelle fane), zestes d’agrumes, graines pilées (amandes, noisettes, sésame, graines de lin, pignons) : ça vous maquille et rehausse une salade, un plat en sauce, une omelette et vous faites illusion avec trois fois rien.

Merci Boubi pour les tips, on file aiguiser un couteau.


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