« Dictature technocratique », « empire supranational et bureaucratique », « une étape vers la grande dilution mondiale » : les mots de Marine Le Pen, prononcés lors du discours de Poitiers le 1er octobre dernier, à l’égard de l’Union européenne, ne sont pas tendres. Sous une salve d’applaudissements, la Présidente du Front national joue pourtant une partition déjà bien connue.
Mais si dans la forme les critiques à l’égard de l’UE sont toujours aussi acerbes, le fond du discours a quelque peu changé. Oubliée, l’idée d’un éventuel « Frexit ». Oubliée également, la sortie de l’euro, pourtant jugée indispensable il y a encore quelques mois : à la faveur du départ de Florian Philippot et de l’aile la plus souverainiste du parti, la ligne idéologique du Front national est sujette à des modifications qui ne sont pas assumées.
Le changement de discours vis-à-vis du futur de l’Union européenne est en effet subtil : à Poitiers, Marine Le Pen a cependant lâché le mot. Il faut désormais « réformer » de l’intérieur l’UE, plutôt que d’en sortir.
Un communiqué de presse diffusé le 11 novembre, affirme que « ce n’est pas l’Europe qui doit être refondée, mais l’Union européenne ». Le FN joue sur les mots pour brouiller les pistes, mais le fait est là : l’idée d’un éventuel « Frexit » est bel et bien enterrée. Quant à l’abandon par la France de la monnaie commune européenne, le sujet n’est même plus abordé. Circulez, y a rien à voir.
Il faut dire que Marine Le Pen avait esquissé un début de revirement au cours de la campagne présidentielle. Alors qu’elle affirmait en début de campagne que l’euro était « un boulet pour l’emploi, (…) pour notre compétitivité, (…) pour le pouvoir d’achat des Français », son discours avait changé au fil des semaines.
La sortie de l’euro était reléguée au second plan. Lors de la conclusion de l’alliance de dernière minute conclue avec Nicolas Dupont-Aignan, au second tour des élections, il était dit que « la transition de la monnaie unique à la monnaie commune européenne n’est pas un préalable à toute politique économique ».
Un resserrement autour du triptyque fondateur du FN : immigration, sécurité, identité
Selon Valérie Igounet, historienne et spécialiste de l’extrême droite, ce revirement du Front national vis-à-vis de l’UE n’est pas une surprise :
« Le départ de Florian Philippot est en fait un alibi : les cadres du FN profitent de ce départ pour abandonner ce thème qui divise et fait peur aux militants ».
Le torchon brûlait en effet depuis longtemps entre Florian Philippot, chantre d’une ligne dure face à l’Europe et à l’euro, et le reste du parti.
« Florian Philippot avait fait de la sortie de l’Union européenne « un thème central de la campagne présidentielle, alors que ce n’était pas l’essentiel du débat pour beaucoup d’électeurs », explique Sylvain Crépon, maître de conférence en science politique et spécialiste du Front national ».
Marine Le Pen, qui maitrisait pourtant mal le sujet, comme elle l’a montré lors du débat télévisé du second tour l’opposant à Emmanuel Macron, avait repris à son compte cette « UE-phobie ».
Sans voir que ce thème suscitait craintes et indécision parmi les sympathisants FN. Selon Sylvain Crépon, « la sortie de l’euro était vue comme un risque économique ». A la faveur d’une introspection jugée nécessaire après la déception de l’élection présidentielle, il est désormais établi qu’il faut recentrer le discours sur le triptyque fondateur du parti : immigration, sécurité, identité.
« Le FN risque de se voir couper l’herbe sous le pied par Laurent Wauquiez »
Ce resserrement autour de thèmes plus consensuels au sein du parti lui profitera-t-il ? Pour Pascal Perrineau, invité d’Europe 1, le départ de Florian Philippot est « une mauvaise nouvelle pour le Front national », qui renonce à une « dynamique électorale ressentie depuis 2014 dans toutes les élections ». D’autant plus que Florian Philippot avait poussé le parti à adopter une ligne plus sociale, plus mobilisatrice, au risque de ressembler en certains points au programme de la France Insoumise.
Pour Valérie Igounet, le parti est en perte de vitesse : « Le FN s’essouffle, c’est indéniable », nous explique-t-elle. D’autant plus que Laurent Wauquiez, le très probable futur Président du parti Les Républicains, risque bien de « marcher sur les plates-bandes » du FN sur certains sujets, notamment celui de l’identité, thème traditionnellement cher aux Républicains.
« Le FN risque de se voir couper l’herbe sous le pied » par un Laurent Wauquiez désormais incontournable à droite, analyse Sylvain Crépon.
Pour le chercheur, même si « tout le monde au FN est un peu groggy » après l’élection présidentielle, le potentiel électoral du parti ne devrait pas s’effondrer de sitôt, d’autant que les prochaines élections ne sont pas pour tout de suite. Cela laissera peut-être à Marine Le Pen le temps de remobiliser ses troupes un brin contestataires.
Par Elise Baumann, étudiante en journalisme à Sciences-Po Lyon
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