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« 12 jours » : Raymond Depardon filme la justice à l’hôpital psychiatrique du Vinatier

Un an après avoir filmé l’hôpital psychiatrique du Vinatier, le photographe et documentariste Raymond Depardon est revenu à Lyon, le 8 novembre dernier, présenter son film intitulé « 12 jours ». C’était au cinéma le Comoedia et Rue89Lyon animait la rencontre.

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Raymond Depardon, en conférence de presse pour la présentation de "12 jours" à Lyon, au cinéma le Comoedia. A sa gauche, la psychiatre Natalie Giloux et la magistrate Marion Primevert ©LB/Rue89Lyon

« J’entends des voix de la chaise électrique. »

Cet homme d’une quarantaine d’années est hospitalisé depuis 21 mois à l’hôpital du Vinatier. Il l’est de manière contrainte, sans consentement. « Interné », comme on disait à une autre époque.

Dans une salle aménagée à cet effet, le patient passe devant un juge des libertés et de la détention (JLD) qui doit s’assurer de la régularité de la procédure et prolonger ou pas son hospitalisation contrainte. A côté du patient, un avocat commis d’office l’assiste.

Entre le patient et le juge et , s’engage un dialogue qui prêterait à sourire s’il ne s’agissait pas d’un patient en crise et en grande souffrance :

« – Je n’ai jamais voulu me suicider
– Un collège de médecins psychiatres l’a dit.
– Je ne suis pas au collège !
– Je me cantonne à vérifier la régularité de la procédure.
– Procédure ? Mais je ne suis pas passé au tribunal ! »

Pour la première fois, la parole de cet homme sort des murs de l’hôpital psychiatrique. De manière exceptionnelle, Raymond Depardon a filmé des audiences qui ont lieu deux fois par semaine. A raison d’une vingtaine de cas par audience.

Depuis 2013 en effet, la loi oblige chaque personne hospitalisée sans consentement à passer devant un juge avant 12 jours et, en ensuite, tous les six mois.

En France, 92 000 mesures d’hospitalisations psychiatriques sans consentement (soit 250 personnes par jour) sont prononcées à la demande d’un tiers (HDT, souvent la famille) ou à la demande du préfet (hospitalisation d’office – HO).

A la croisée des chemins entre la santé mentale et la Justice, Raymond Depardon a filmé 72 audiences. De toutes ces audiences, il a retenu les cas de 10 patients que l’on voit à l’écran sans ajout de commentaire, à la manière d’un autre de ses documentaires, « 10e chambre ».

Comment juger la maladie mentale ?

Le mercredi 8 novembre, Raymond Depardon est revenu à Lyon présenter son film. Il était accompagné par la productrice Claudine Nougaret, par une psychiatre et une magistrate, les deux « conseillères » du film, à qui on doit l’idée du documentaire.

  • Natalie Giloux. L’ancienne responsable des urgences du Vinatier (l’UMA) est actuellement cheffe de service du secteur Villeurbanne.
  • Marion Primevert préside la chambre « propriété nationalité » au tribunal de grande instance de Paris et co-dirige la formation annuelle nationale « les soins psychiatriques sans consentement » de l’École nationale de la magistrature.

Cette dernière a exposé l’origine de la loi :

« Cette loi de 2013 a réglé un problème de discrimination. Jusque là, les personnes hospitalisées sans consentement étaient les seules personnes privées de liberté à ne pas voir un juge qui pouvait maintenir ou non la décision de privation de liberté ».

Auparavant, une personne était maintenue hospitalisée suite aux certificats d’au moins deux psychiatres. Désormais, un juge contrôle la procédure. Ces juges des libertés et de la détention (JLD) ne sont pas pour autant de super-médecins. Il reste des magistrats, comme l’explique Marie-Pierre Porchy, l’une des JLD que l’on voit dans « 12 jours » :

« Nous ne sommes pas des contrôleurs du diagnostic. Nous regardons notamment si les certificats sont suffisamment motivés ».

Justine Aubriot, une autre JLD du film estime que des abus ont pu être ainsi évités :

« La seule existence d’un contrôle fait que le psychiatre est plus vigilant dans la rédaction de son certificat. Il réfléchit à deux fois avant d’hospitaliser sans consentement. »

La cour d’une unité de l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Lyon. Photo issue du film « 12jours » de Raymond Depardon

Poubelle sur la tête, sentiment de persécution…

Dans le documentaire de Raymond Depardon, les juges peinent à se faire comprendre, tant les personnes hospitalisées sont en souffrance, en crise et/ou profondément sédatées.

« Notre travail essentiel est de comprendre et de se faire comprendre », reconnaît la magistrate Marie-Pierre Porchy.

Les audiences permettent au JLD de confronter les certificats médicaux avec l’état visible de la personne. Justice Aubriot a commencé les audiences JLD au Vinatier il y a un an :

« Il m’arrive parfois de me demander quel est l’intérêt d’une procédure en partie orale. Mais quand je vois arriver en audience un patient avec une poubelle sur la tête et qui me dit qu’il est en contact avec les extra-terrestres, je comprends ce que le psychiatre a voulu dire en notant un sentiment de persécution ».

9% des décisions aboutissent à une main levée de la décision d’hospitalisation sous contrainte (moyenne nationale). Au Vinatier, ce chiffre est de 2%.

Raymond Depardon, en conférence de presse pour la présentation de « 12 jours » à Lyon, au cinéma le Comoedia. A sa gauche, la psychiatre Natalie Giloux et la magistrate Marion Primevert ©LB/Rue89Lyon

« Extraordinairement difficile de défendre ces personnes »

Dans « 12 jours », les avocats sont en retrait. Rien à voir avec un tribunal correctionnel.

« Il est extraordinairement difficile de défendre ces personnes », remarquait lors de l’avant-première, l’avocat lyonnais Yannis Lantheaume.

C’est lié à notre rapport à la psychiatrie et à la maladie mentale. Car, parfois, pour soigner, il faut hospitaliser les personnes malgré elles parce qu’elles n’ont plus conscience de leur état. Comme le rappelle la psychiatre Natalie Giloux :

« La question n’est pas de savoir s’il faut libérer ou pas la personne mais de la soigner au mieux. Il faut juger de l’évolution de la maladie et de l’adhésion au soin ».

Frédérique Penot-Paoli, secrétaire générale du barreau de Lyon a mis en place les premières formations à destination des avocats commis d’office qui assurent les permanences dans les hôpitaux psychiatriques de l’agglomération. Elle va dans le sens de la psychiatre :

« Quand je faisais les formations, certains me disaient : « il faut libérer au maximum ces personnes ». Non, ce n’est pas notre travail d’avocat. Nous ne sommes pas au pénal ou lors des audiences de rétention administrative, où l’on a aucun scrupule à soulever tous les moyens pour libérer notre client. A l’hôpital, on doit apprécier la restriction de liberté par rapport à la nécessité de soin ».

Elle compare les avocats qui interviennent en psychiatrie avec ceux et celles qui assistent les enfants de moins de trois ans :

« Quand une personne ne peut pas se présenter à l’audience ou refuse, c’est à l’avocat de définir l’intérêt supérieur de cette personne. La loi nous y aide. »

La secrétaire générale du barreau rappelle que l’avocat est là également pour porter la parole et apporter des éléments du contexte familial et social, absent du dossier médical. « Parlez pour moi », dit la jeune femme qui veut récupérer la garde de son enfant dans « 12 jours ».

« Cet état de vulnérabilité extrême oblige, avocats comme juges, à nous mettre à la hauteur de cette dignité qui se dégage des patients en souffrance. »

Raymond Depardon citait la remarque d’une avocate d’une cinquantaine d’années :

« C’est la première fois que les avocats peuvent rentrer dans l’hôpital psychiatrique. Ils peuvent témoigner ».

« Ni froid, ni humaniste », Raymond Depardon a essayé d’être « à la bonne distance », selon ses termes, pour témoigner. Autrement dit, « montrer, sans stigmatiser ».

« 12 jours », un documentaire de Raymond Depardon; sortie en salles le 29 novembre


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Photo : OM/Rue89Lyon

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