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[Tribune] « L’Europe va-t-elle tuer le partage des biens et des connaissances ? »

Judith Rochfeld est agrégée des Facultés de droit et professeur de droit privé à l’École de droit de la Sorbonne, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1). Depuis 2007, elle s’intéresse particulièrement au renouvellement des figures de la propriété et à l’exploration des formes alternatives d’accès aux utilités des biens.

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Judith Rochfeld, professeur de droit privé à l’École de droit de la SorbonnJudith Rochfeld, professeur de droit privé à l’École de droit de la Sorbonne, invitée de La chose publique. Photo DRe. Photo DR

Elle est l’une des invité-e-s de « La Chose Publique », un festival des idées organisé par La Villa Gilet et Res Publica, qui se décline en une série de rencontres et de débats du 16 au 25 novembre 2017.

Rue89Lyon en est partenaire et nous publions les contributions des auteurs que vous pourrez rencontrer en novembre. Ici, « De quoi les communs sont-ils le nom ? » par Judith Rochfeld. Elle vient de co-diriger le Dictionnaire des biens communs (PUF, coll. « Quadrige ») sorti en 2017.

Judith Rochfeld, professeur de droit privé à l’École de droit de la Sorbonne, invitée de La chose publique. Photo DR

La notion de « communs » ne cesse d’être mobilisée aujourd’hui en France, en Europe, et dans une grande partie des pays occidentaux. Le terme trouve ses origines dans la traduction française du nom anglais « commons », mais n’est pas sans filiation avec le communis latin. Les phénomènes et théories qu’il évoque relèvent aujourd’hui de multiples registres.

La notion traduit tout d’abord le constat d’une évolution des pratiques sociales : les biens seraient davantage mis en partage, volontairement ou non ; les droits que l’on détient sur eux seraient plus distribués ; le réseau numérique aurait aidé à la diffusion de ce partage et l’aurait porté à une échelle mondiale.

Où il est question de logiciel libre ; d’habitat participatif ; de vélos ou voitures en usage successif ; d’entreprise qui serait le « bien commun » de toutes les parties prenantes, au-delà de ses seuls actionnaires.

Les « communs », une forme d’action politique ?

La connaissance, la culture, l’environnement, la terre, la mer, l’agriculture, la pêche, l’architecture, l’urbanisme, la santé, le travail, l’entreprise…, rares sont les domaines de la vie qui, aujourd’hui, ne se trouvent pas saisis sous le prisme des « communs ». Si la mobilisation est intense, c’est que la notion autorise à penser le changement social sur la base d’un réinvestissement du collectif, des communautés, du partage et de l’usage.

Dans ce prolongement, la notion est également porteuse d’une réinterprétation politique : le «commun» serait une forme d’action — le «faire commun» — qui pousserait à réinterpréter le rôle des États et de la propriété, qu’elle soit publique ou privé. Ces institutions, qui ont dominé nos formes d’organisation sociale moderne, auraient montré leurs limites en confinant à des gestions égoïstes ou déséquilibrées.

Le commun est ici proposé en alternative à ces figures tutélaires, selon des velléités de présider autrement à la destination du monde qui nous entoure et de réinterpréter les valeurs sur lesquelles il s’appuie ; en fonction des divers tenants et théories, il est revendiqué en figure concurrente ou complémentaire de l’État ou de la propriété.

Où on lui associe, dans des filiations idéologiques variées, les questionnements relatifs à la démocratie participative ; aux renouvellements des modes d’agir commun, telles la coopérative ou la « gestion sociale » de ressources ; aux formes nouvelles de l’entreprise, etc.

Les communs, voie d’une refondation d’une dimension européenne ?

L’Europe n’est pas en reste dans ces débats. Elle compose l’espace adapté pour diffuser, enraciner et peaufiner les répertoires des expériences de commoning. Elle est d’ailleurs déjà traversée par plusieurs expérimentations visant à tester de nouvelles pratiques, institutionnelles ou sociales, à caractère urbain, écologique, culturel ou cognitif.

Elle reconnaît même et prime certaines d’entre elles : Prix ECF Princess Margriet pour le théâtre Valle, en 2013 ; reconnaissance de l’expérience de l’Ex Asilo Filangieri de Naples en tant que bonne pratique à diffuser et reproduire par le Programme URBACT, en 2017.

Elle a également accueilli la constitution de l’Intergroupe pour les services publiques et biens communs, dans le cadre duquel s’organisent des rencontres au Parlement UE pour discuter des contours juridiques de la notion ; une assemblée des communs se développe ; un projet de création d’une Chambre des communs a été débattu au Parlement européen en 2016 ; plusieurs réseaux thématiques « bottom-up » (du bas vers le haut) se sont mis en place entre villes et acteurs sociaux.

La perspective des communs représente même, pour de nombreux acteurs, la voie principale d’une refondation d’une dimension européenne véritablement politique, qui ne serait pas réduite aux impératifs de la finance publique et de la compétitivité économique.

Trois directions principales pourraient s’y développer :

  • la circulation (des connaissances, des bonnes pratiques, des acteurs, des valeurs produites) ;
  • la reconnaissance de la dimension innovante (juridique, institutionnelle, économique) ;
  • le développement de politiques à la fois intégrées — respectant l’État social de chacun des États membres — et cohérentes avec l’autonomie et le caractère transnational des communs.

Dans ces trois directions, l’Europe manifeste pourtant, aujourd’hui, un retard dramatique qui risque d’anéantir les élans des acteurs sociaux, qui se trouvent au centre de cette réinvention.

Le commun, les communs : qu’est-ce qui nous unit ?, table ronde avec Judith Rochfeld et Daniela Festa, vendredi 17 novembre de 17h à 19h30 au Théâtre des Célestins (Lyon 2e)

> Titre et intertitres sont de Rue89Lyon


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