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Géolocalisation par Snapchat : « Si on me tue un jour, on pourra me retrouver »

Avec Zenly, une application récemment rachetée par Snapchat, il est possible d’utiliser la géolocalisation pour trouver ses amis, jusqu’à les « fliquer ».

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La géolocalisation à Rue89.

Il ne sait pas qu’on l’observe. Sur l’écran, on le cherche dans Paris et voilà qu’il apparaît rive gauche, à proximité de l’arrêt de métro Bibliothèque François-Mitterrand.

Zoom avec les doigts sur la carte de Paris. Le cercle qui entoure sa photo bouge. Il se déplace, remonte une rue, tourne à une intersection, et se dirige droit vers la Seine. Sans qu’il ne nous en ait fait part, on devine son emploi du temps de cette chaude soirée de juillet : boire des verres sur le pont de l’un des bars-péniche du quartier.

La propriétaire du téléphone me montre les autres fonctionnalités de Zenly, cette appli de géolocalisation récemment achetée par Snapchat et plutôt destinée aux ados et aux jeunes adultes. A cet ami trentenaire qu’elle suit à la trace, il est possible d’envoyer un message. Mieux, un émoji crotte, pizza, soleil ou bouche pulpeuse.

Plus classique, elle peut savoir si Bertrand (un pseudo), un ami de longue date, se trouve à son bureau, s’il est parti à la mer. Après un voyage à l’étranger, elle reçoit une alerte pour l’informer qu’il est de retour sur le territoire national.

Récemment, elle l’a grillé dans les bras d’une fille : après une soirée, il apparaissait à l’écran dans le quartier d’une ex, loin de son domicile. Il lui a dit qu’il la revoyait quand elle lui a envoyé un message pour le chambrer (avec un émoji adapté).

« Je n’avais rien à cacher », rigole-t-il.

« Si on me tue un jour… »

La géolocalisation est « une étrange pratique consistant à vouloir avertir la terre entière de l’endroit où on se trouve », lisait-on en 2011 dans « Encyclopédie de la webculture » (Robert Laffont).

On se géolocalise aujourd’hui pour tout ou presque : les smartphones sont devenus de véritables petites balises avec lesquelles il est possible de s’orienter dans l’espace, draguer dans un périmètre défini, faire venir jusqu’à soi une voiture ou un repas et partager, en temps réel, sa position géographique au mètre près.

C’est la dernière pratique qui nous intéresse et pour laquelle nous avons interrogé des vingtenaires et trentenaires qui se géolocalisent entre amis ou en couple. Ils le font parce qu’ils sont anxieux, fusionnels, control freaks ou parce qu’ils aiment bien l’idée de vivre en tribu.

De jour comme de nuit, quatre personnes peuvent savoir où est Krysti, 23 ans : son petit copain, qui habite en Suisse, son meilleur ami, sa sœur et un ami. Le visage de la jeune serveuse apparaît sur la carte de Londres, où elle vit, depuis l’app d’Apple Localiser mes amis.

A ses débuts, en 2011, la jeune femme l’utilisait pour repérer la présence de proches autour d’elle et les rejoindre en évitant les « on se voit ? T’es où ? ».

Pour Krysti, être en permanence géolocalisable a quelque chose de rassurant. Si elle ne répond pas au téléphone après son service, sa sœur ou son copain ont le réflexe de la visualiser sur la carte, et réciproquement. Lors des attentats, les portables passaient mal et l’ami avec qui elle partage sa position géographique a ouvert l’appli pour s’assurer qu’elle était en sécurité.

En soirée, quand elle a un peu trop bu pour rentrer seule, il est arrivé plusieurs fois à son meilleur ami de la géolocaliser pour lui commander un Uber. Elle rit :

« Si on me tue un jour et que j’ai mon téléphone, on pourra me retrouver. »

Se géolocaliser sur Zenly, depuis la rédaction de Rue89 à Paris. © Renée Greusard.

« Pourquoi au cimetière ? »

Le dimanche précédant notre interview, Victoria Pereira, bientôt 26 ans, a reçu en soirée un appel de sa sœur :

« Pourquoi es-tu au cimetière du Père Lachaise ? »

Elle a raccroché quand elle a su que tout allait bien : Victoria dînait dans une pizzeria en compagnie d’un ami.

Les jumelles « fusionnelles » ont partagé le même appartement parisien jusqu’en janvier 2016, avant que l’une emménage dans la même ville avec son amoureux. Un grand bouleversement pour celles qui ont passé leur vie ensemble.

« Un mois avant de se quitter, en plein cartons, j’ai anticipé notre séparation en téléchargeant l’appli, dit Victoria, social média manager et blogueuse.La géolocalisation était le seul moyen qui nous rassurait toutes les deux. »

Les deux jeunes femmes s’appellent tous les jours. Si l’une a prévu de sortir, l’autre le sait. Tous les soirs ou presque, avant de se coucher, Victoria ouvre Zenly pour regarder où se trouve sa sœur. Si tout va bien, son visage apparaît à son adresse. La jumelle, qui se couche généralement plus tôt, fait pareil.

« Ça me permet d’être sûre qu’elle ne se trouve pas dans le coffre d’une voiture dans une forêt du 91, sans déranger sa nouvelle vie de couple », dit Victoria. La géolocalisation est ce qui les relie physiquement avant la nuit :

« Je sais qu’on est toutes les deux en sécurité, bien que nous soyons séparées. »

Flicage ?

Bertrand, le trentenaire que l’on suivait près de la Seine, a « un usage de gamin » de Zenly. Il consulte l’appli deux ou trois fois au cours de la semaine. Il repère sa sœur partir en retard de chez elle le jour où ils ont prévu de se retrouver chez leurs parents.

L’appli lui indique également quand en pleine soirée elle tombe en rade de batterie (le pourcentage restant s’affiche sur l’écran). « J’ai un bon pote à côté, va lui demander de te dépanner », lui écrit-il.

Parmi ses abonnés, Bertrand a aussi un groupe d’amis. Quand ils ont rendez-vous, il les observe doucement se regrouper − ce qui peut être frustrant au moment où il est coincé au bureau. Impossible pour les célibataires géolocalisés qui s’éclipsent au cours d’une soirée de cacher un rencard. La bande d’amis s’envoie aussi des messages quand ils sont à un endroit qui leur rappelle une anecdote partagée.

Attention, Bertrand n’accepte pas n’importe qui sur Zenly. Ceux avec qui il partage sa géolocalisation sont uniquement des amis proches :

« Il n’y a rien que je fais que je ne leur dis pas par ailleurs. »

Il se souvient qu’une petite copine voulait l’ajouter :

 » J’ai refusé. Pour moi, ça devient du flicage… »

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