Quand on le lance sur l’histoire du lieu, Bruno Girard ne s’arrête plus, non sans une certaine émotion dans la voix. Et pour cause. Suite à la décision de la municipalité de résilier la convention d’occupation, l’Académie de Billard de Lyon va devoir fermer boutique le 7 juillet prochain après 109 années de bons et loyaux services.
Pour se justifier, la mairie avance le faible nombre d’adhérents qu’elle estime à une vingtaine. Un chiffre que le président de l’Académie, Bruno Girard, dément catégoriquement :
« Nous avons près de 10 000 visiteurs par an, de toutes nationalités et de tous âges. La vingtaine d’adhérents que la municipalité avance ne correspond qu’au nombre de compétiteurs inscrits dans notre club. Mais c’est sûr que s’ils viennent compter en plein milieu de la journée, ils ne verront pas grand monde. »
Interrogé dans un reportage sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, l’adjoint aux sports, Yann Cucherat, tente de motiver la décision :
« On veut faire quelque chose d’encore plus intéressant pour les lyonnais et pour le quartier. »
Académie de Billard et Salle Rameau : les pétitions se multiplient
Mais pour l’heure, ce « quelque chose » semble être encore flou. Un appel à projet privé pourrait être lancé par la mairie d’ici la fin de l’année. Un appel auquel le président de l’Académie et aficionado de billard français souhaiterait prendre part :
« Nous aimerions au moins bénéficier d’un sursis pour pouvoir présenter un projet. Par la suite, si la décision est négative, nous nous y plierons. »
Pour l’heure, la fronde s’organise au sein de l’Académie de Billard. En parallèle, une pétition papier est disponible sur le bar avec déjà 2750 paraphes au compteur. Et pour ceux qui habitent plus loin, Bruno Girard a également lancé une pétition en ligne, laquelle a collecté quelque 1500 signatures en provenance des quatre coins du globe.
A l’étage, la salle Rameau s’apprête aussi à baisser le rideau. Il y a deux ans, la municipalité a décidé d’arrêter d’y programmer des spectacles après juillet 2017. Pour protester, un collectif a lui-aussi essayé de mobiliser les citoyens via la plateforme Change.org.
« La ville souhaite faire appel à des projets privés »
Mais le premier adjoint, Georges Kepenekian, maintient sa position. Dans un courrier adressé au collectif, ce dernier a affirmé :
« La Salle Rameau ne connaît pas une utilisation maximale aujourd’hui en raison de son emplacement, conjoint avec des appartements. »
Avant d’avancer l’argument financier :
« Il convient donc de faire des investissements lourds pour pouvoir remettre la salle aux normes sur le plan acoustique. Afin de mener à bien ce projet, la Ville, ne disposant pas des crédits nécessaires pour cette opération, souhaite faire appel à des projets privés. »
Contactée par la rédaction de Rue89Lyon, la municipalité a affirmé qu’elle souhaitait conserver l’activité de spectacle dans la Salle Rameau. En revanche, la place que prendra l’activité culturelle au sein du nouveau bâtiment ne serait pas encore connue.
D’autant plus que la position avantageuse de la salle dans le 1er arrondissement a de quoi attirer bon nombre de groupes privés.
Musulmans au sirop et jeunes filles à la bière
Malgré tout, lorsque l’on pousse les portes de l’Académie de Billard, rien ne semble avoir changé. On se croirait encore au début du XXe siècle. Mais exit les gros cigares et les tenues distinguées, l’âme du lieu est toute autre.
Aux murs figurent encore des huiles sur toile, dont le sommet a été légèrement grisé par la fumée des cigares de l’époque. Des portraits des champions – tels qu’Albert Trillat, ancien président de l’Union Mondiale de Billard – et des vitraux d’époque habillent les parois de la salle.
Afin d’en découvrir un peu plus sur le lieu que son association a occupé pendant un temps, Christophe Leroy, directeur du Lyon Olympique Echecs depuis 1994, a mené l’enquête dans les archives. À l’origine, le bâtiment avait été construit pour accueillir de la musique symphonique à la demande du compositeur Georges Martin Witkowski. Dès 1911, la salle commence à abriter simultanément les billards et les jeux d’échecs. Quelques années plus tard, le sous-sol a hébergé le club de tennis de table de Lyon, c’est encore le cas aujourd’hui.
Cette cohabitation aurait d’ailleurs posé quelques problèmes puisqu’en 1971, alors que le club d’échecs est relégué au sous-sol, les pousseurs de bois – nom familièrement donné aux joueurs d’échecs – ont quitté les lieux, gênés par le bruit des pongistes.
Aujourd’hui, le club est devenu un lieu de rencontre et d’échange. Une atmosphère en somme bon enfant. Pas besoin d’adhérer, ni de consommer. Moyennant 12 euros de l’heure, chacun peut rentrer et disputer quelques parties, seul ou entre amis, ou même venir prendre des cours du soir. Et Bruno d’illustrer :
« Chez nous, c’est typiquement le lieu où tu peux voir des musulmans jouer à une table en sirotant un diabolo menthe. Et sur la table d’à côté, des jeunes filles en mini-jupes qui trinquent à la bière. »
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