Entretien avec Cédric Klapisch : « Le vin est un produit qui contient du temps »
C’est sur les terres du châteauneuf-du-pape, aux Rencontres du Sud d’Avignon, que Cédric Klapisch est venu évoquer en primeur le douzième degré de sa filmographie — lequel, à la différence du vin, peut se déguster sans modération. Son dernier film s’intitule « Ce qui nous lie ».
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Le Petit Bulletin
Publié le ·
Imprimé le 21 novembre 2024 à 18h56 ·
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Petit Bulletin : Qu’est-ce qui vous a amené à parler du vin et de la transmission aujourd’hui ?
Cédric Klapisch : C’est toujours compliqué de savoir pourquoi l’on fait un film. C’est sûr que le vin m’intéresse, pas seulement parce que je l’aime. Mais parce que c’est un produit qui contient du temps. Je voulais terminer par quelqu’un qui boit un verre de vin contenant tout ce que l’on a vu dans le film, mais j’ai placé ce plan assez tôt. Les personnages boivent le vin de leur grand-père, de leur père…
On sent que dans le verre, il y a une personne qui s’est exprimée. Au-delà de ça, le film raconte que le vin est à la fois un savoir-faire que l’on apprend par ses parents, un terroir, tellement de choses qui n’existent dans aucun autre produit. Le vin a quelque chose de mythologique, avec des dieux (Dionysos, Bacchus) très signifiants, qui mélangent la raison et le côté irrationnel. Bref, des choses assez complexes.
C’est un sujet inépuisable, et il a été pour moi une des raisons de faire ce film : ce produit est associé à l’image de notre pays, à de beaux paysages. Il questionne aussi notre identité : il y a quelque chose de la tradition française en plein mouvement, des choses archaïques qu’on garde et des choses de la modernité qu’on intègre. Or j’avais envie de parler de ce que l’on garde de la tradition et de ce qui évolue.
Pourquoi particulièrement en Bourgogne ?
J’ai connu le vin par la Bourgogne : depuis toujours, mon père n’achète que du bourgogne. À partir du moment où j’ai eu 18 ans, on a eu cette espèce de rituel d’y aller ensemble. C’est donc la région que je connais le mieux. J’ai vécu ensuite dix ans avec une femme dont le père ne buvait que du bordeaux — donc j’ai découvert d’autres endroits, puis d’autres pays.
Ce qui est beau dans le vin, c’est la diversité. En Bourgogne, on sent bien quelque chose de millénaire, le vécu, le terroir, le côté “Histoire”, avec les abbayes… Et la modernité : j’ai été étonné de voir que la Bourgogne est un monde en mutation. J’ai parlé avec des vigneronnes qui ont commencé à faire du vin il y a vingt ans. À l’époque, c’était très bizarre qu’une femme reprenne le vin dans la maison ; aujourd’hui, plus du tout.
Ce film sur un héritage immatériel se trouve “pollué” par les questions d’héritage…
C’était une question intéressante. Il se passe quelque chose de très particulier dans les régions viticoles : en dix ans, le prix de la terre a doublé en Bourgogne. Et ça s’accélère encore plus, car la spéculation est forcément exponentielle. On m’a rapporté que Bouygues a proposé 200 fois le prix d’un terrain cette année. Cela crée quelque chose de totalement irrationnel, comme le dit le notaire dans le film : si l’on vend tout son vin pendant 40 ans, on atteint à peine 1% du prix de la terre.
Finalement, le vrai héritage n’est pas chez le notaire : c’est le vécu, ce qu’on hérite de ses parents au sens presque psychanalytique.
Pourquoi ne montrez-vous le père que dans des flash-back, et pas sur son lit de mort ?
Je voulais qu’il y ait une espèce de frustration pour les spectateurs, comme pour le personnage de Jean. Comme dans la chanson Il pleut sur Nantes de Barbara, Jean a “raté” son père. Je ne sais pas ce que nous avons, nous, les garçons, mais il y a souvent avec la mère une présence forte et avec le père une trop grande absence — c’est ce que je raconte dans L’Auberge espagnole.
La chanson de Barbara est déchirante parce qu’il y a à la fois du lien et beaucoup d’affection, mais une rencontre qui ne se fait pas.
La rencontre qui se fait, en revanche, c’est celle du quotidien, de la vie ordinaire…
Dans le cinéma américain, si quelqu’un veut détruire la planète, c’est facile de dramatiser avec les dix secondes où l’on désamorce la bombe. C’est plus compliqué quand on traite la banalité, quand on enlève les vrais méchants. Car ici, on ne peut pas dire que le voisin ou le notaire soit le méchant : ce sont des gens qui ont des façon d’être différentes.
Entre frères et sœur, il y a des conflits, mais on ne peut pas dire que l’un est plus méchant que l’autre. Le drame se fabrique avec du rien, avec la banalité du quotidien. Perec a fait un texte qui s’appelle L’Infra-ordinaire, où il dit aimer le contraire de l’extraordinaire. Un train m’intéresse quand il ne déraille pas. Parce qu’il y a beaucoup plus d’histoires à raconter dans ce train qui ne déraille pas. J’essaie de prendre la vie normale et de voir ce qui est intéressant dans ce qui est simple et normal.
Pourquoi votre traditionnelle apparition clin d’œil se fait-elle ici à la toute fin ?
Je me suis rendu compte à la fin du tournage que je n’y avais pas pensé ! Il n’y avait qu’une scène où je pouvais apparaître : parmi les figurants des vendanges. Je n’avais plus que cette solution-là. En général, je me mets plutôt au début pour me débarrasser du problème. Par paresse (rires).
Le titre, Ce qui nous lie, fait écho à votre premier grand court-métrage, Ce qui me meut…
Ce titre est venu tard. Au début, le film s’appelait Le Vin, puis Le Vin et le Vent pendant qu’on tournait, et très tardivement, pendant le montage, j’ai trouvé celui qui convenait le mieux. La notion de fratrie a pris le dessus sur tout le reste. De Ce qui nous noue, on est passé à Ce qui nous lie. Parce que le lien, c’était mieux que le nœud (rires).
Vous sentez-vous davantage aujourd’hui dans le lien que dans le mouvement ?
C’est très étrange le cinéma : on refait des choses éternellement, et en même temps on ne cesse d’apprendre. J’ai l’impression d’être un réalisateur très différent de celui du Péril jeune. C’est drôle de voir ce qui reste et ce qui bouge.
C’est d’ailleurs l’un des thèmes de ce film : le personnage de Jean a besoin de voir ce qui se passe autour du monde avant, finalement, de perpétuer les choses qu’il connaissait au départ.
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