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Flore Vasseur : « Depuis pas mal de temps, je me dis qu’on n’est pas en démocratie »

Flore Vasseur, écrivaine et journaliste française, a réalisé cette année Meeting Snowden,  un documentaire hyper-instructif, diffusé sur Arte.

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La journaliste et écrivaine Flore Vasseur ©Hannah Assouline Etoile

Quatre ans après que Snowden a dévoilé publiquement des informations classées secrètes sur la NSA, la réalisatrice originaire d’Annecy et installée à Lyon se rend à sa rencontre à Moscou.

Flore Vasseur fait également venir en Russie la député islandaise Birgitta Jónsdóttir et le professeur de droit Larry Lessig pour une conversation inédite à trois voix. Plus un documentaire sur la démocratie que sur le lanceur d’alerte américain, Meeting Snowden invite au débat et à la réflexion.

Edward Snowden, Birgitta Jonsdottir et Larry Lessig en conversation dans Meeting Snowden ©Zadig / Arte

Rue89 Lyon : Plusieurs documentaires (Citizenfour, Ennemi d’Etat) ainsi qu’un film d’Oliver Stone sont sortis ces deux dernières années sur Edward Snowden. Pourquoi avoir choisi de réaliser un énième sujet sur cette personnalité ?

Flore Vasseur : D’abord, je ne pense pas qu’il y en ait trop. Puis le film de Laura Poitras a quatre ans. Il raconte de manière absolument brillantissime le « coming-out » d’Edward Snowden lorsqu’il devient lanceur d’alerte. Moi, je ne fais pas un film sur le « Edward Snowden hacker, geek et lanceur d’alerte de la NSA ».

Je fais un film autour de cette personnalité, avec deux autres figures politiques : Birgitta Jónsdóttir, fondatrice du parti pirate islandais. Ainsi que le professeur de Harvard Larry Lessig, constitutionnaliste et ancien candidat à l’élection présidentielle américaine. Le point dénominateur de ces trois personnalités, c’est d’avoir été sur la ligne de front du combat pour la démocratie.

Il ne s’agit pas d’un film sur la surveillance de masse ou sur le parcours de Snowden. La surveillance de masse m’intéresse uniquement comme symptôme d’une crise qui est bien plus large. C’est plutôt un documentaire sur la portée de son acte politique et sur la démocratie.

Comment avez-vous réussi à contacter Edward Snowden, Birgitta Jonsdottir et Larry Lessig ?

Ça fait dix ans que je travaille sur ces sujets, j’ai déjà fait trois romans sur l’emprise de la finance, de la technologie, sur la fin du capitalisme. Dans le cadre de ce travail, j’ai fait des longs papiers et des films sur Birgitta Jónsdóttir et Larry Lessig, je les connais et je ne suis pas une inconnue pour eux.

Paradoxalement, c’est sur Edward Snowden que j’avais le moins travaillé. J’avais seulement un peu aidé à la diffusion de Citizenfour en France. Une fois que Jónsdóttir et Lessig étaient d’accord, on a contacté les avocats de Snowden. Alors quand je suis arrivée avec cet angle différent sur la démocratie, et deux personnalités proches de son combat dont il connait le travail, j’ai eu une réponse rapide et positive. Je ne sais pas ce qu’il l’a poussé à accepter, mais je pense que le sujet et le format l’ont intéressé.

« C’est un film sur une conversation, et je pense qu’il est à voir en groupe car il déclenche des discussions »

Comment s’est passée cette rencontre ?

Je ne m’attendais pas à ce qu’Edward Snowden ait une telle vision et une telle réflexion. J’ai été estomaquée par sa maîtrise des mots et l’humilité qui le caractérise. C’est tellement rare aujourd’hui. Il est extrêmement concis, pointu et pertinent. Birgitta Jónsdóttir et Larry Lessig sont également dans cette ascèse.

J’avais l’intuition que j’allais avoir quelque chose de poétique dans mes interviews. Je ne suis pas allée faire un travail de journaliste. Mon intention est partie de mon propre désarroi, et le paradoxe, c’est qu’il faut aller à Moscou aujourd’hui pour organiser cette conversation sur la démocratie.

Justement, cela a été compliqué de tourner ce documentaire en Russie ?  

De mon point de vue, honnêtement, ce n’était pas plus difficile d’organiser un tournage aux États-Unis qu’en Russie. Je n’ai pas voulu me mettre en danger mais juste faire une conversation. Et le résultat, c’est qu’elle est possible dans les règles.

Ce qui a été compliqué, c’est que Birgitta Jónsdóttir et Larry Lessig sont extrêmement occupés. Ce qui était stressant, c’était de définir une journée qui permettait d’organiser potentiellement une rencontre entre eux. Je pense que ça a été extrêmement angoissant pour la production d’organiser ce tournage.

Choisir de diffuser votre documentaire en 2017 après les élections française et américaine était important pour vous ?

Je ne maîtrise pas la grille de diffusion sur Arte (rires). Mais il y a des enjeux de diffusion et je ne pèse pas dans ces discussions. Le film est prêt depuis avril et c’est un OVNI dans cette programmation d’Arte car il a été fait très vite : deux mois de pré-production, une petite semaine de tournage et trois mois de montage.

Il y avait un vrai enjeu à nous trouver une bonne place, et je pense que nous avons la meilleure possible. Moi j’ai envie que Meeting Snowden soit vu, qu’on en fasse des débats, des projections citoyennes. C’est un film sur une conversation, et je pense qu’il est à voir en groupe car il déclenche des discussions. Ces trois personnalités ont initié un débat, charge à nous, citoyens, de le poursuivre.

Ce film, c’est ma brique, maintenant il faut que tout le monde construise dessus.

« La presse sort de sa position de neutralité, se bat et commence à croire à nouveau en elle-même »

Comment avez-vous construit ce documentaire ? Aviez-vous des idées précises en tête avant la réalisation de Meeting Snowden ?

Je suis partie de France avec toute une série d’idées nettes que je voulais, comme faire des interviews ou filmer Birgitta Jónsdóttir et Larry Lessig dans la rue. J’avais beaucoup de choses que je ne pouvais pas maîtriser. Ici, le tournage était resserré au maximum. Donc il fallait faire preuve d’une efficacité et d’une souplesse énormes.

C’est pour ça que je rends hommage à mon équipe, très soudée, qui m’a fait confiance sans poser de questions. Il y avait une intensité émotionnelle et physique très importantes, et chacun a apporté sa part.

Le lanceur d’alerte Edward Snowden ©Zadig / Arte

À l’image des débats philosophiques portés par « l’avocat, la poète et le geek », on sent dans votre documentaire un aspect très humaniste. Comme le fait de voir Snowden se faire maquiller avant la prise.

Nous avons vraiment eu l’impression d’avoir rencontré quelqu’un. D’où ce titre : Meeting Snowden. On le rencontre au sens humain du terme. Ce n’est plus cette figure qui fait les titres des journaux, mais un individu qui a une vie impactée par ses idées.

On a voulu trouvé le moyen de suggérer ce moment d’intimité et de confiance qu’on a eu avec lui. Cet instant où je le maquille, c’est un moment de métamorphose pour tout le monde. On commence la peinture et le film démarre.

Snowden parle notamment de l’influence des médias et de la façon réductrice dont ils ont traité ses révélations sur la NSA. Quelle opinion avez-vous de la presse aujourd’hui ?

Son rôle est absolument fondamental, c’est l’un des derniers contre-pouvoirs. Mais la presse est extrêmement mal en point et piégée, avec l’emprise de l’intérêt privé sur l’intérêt général. J’ai évidemment beaucoup de respect pour mes collègues journalistes et je souffre, comme chacun des gens de la profession, de sa faiblesse financière. Car les médias, à de rares exceptions près, n’ont plus les moyens de faire de longues enquêtes. Et cela, on est tous en train de le payer extrêmement cher.

Ce qui se passe aujourd’hui, c’est un retour de flamme face à l’abysse, qui s’appelle Donald Trump. Ici, la presse sort de sa position de neutralité, se bat et commence à croire à nouveau en elle-même.

« Les lanceurs d’alerte sont très peu protégés par la loi et pas assez valorisés par l’ensemble de la population »

Il est dit dans votre documentaire que 60% des Américains ne lisent que les titres des articles de presse. La faute revient-elle aussi aux lecteurs ?

Voilà, on a tous une énorme part de responsabilité dans l’affaiblissement de la presse. Car le lecteur s’est habitué au « tout-gratuit », et tout ce qui est gratuit n’a plus aucune valeur. Résultat : la presse n’a plus les ressources pour faire son métier correctement.

On croit qu’on est informé en lisant les titres, mais ces derniers sont faits pour attirer de l’audience et ne disent pas forcément ce qu’il y a dans l’article. C’est terrible car c’est un raccourcissement de la pensée, et le travail du journaliste n’a aucune valeur.

Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a promis il y a quelques jours une loi européenne pour améliorer la protection des lanceurs d’alerte. Quelle est votre opinion à leurs sujets ?

Déjà, j’attends de voir ce que Jean-Claude Juncker va proposer, vu qu’il a été lui-même mis en cause par le lanceur d’alerte Antoine Deltour sur l’affaire des LuxLeaks. Mais aujourd’hui, les lanceurs d’alerte sont très peu protégés par la loi et pas assez valorisés par l’ensemble de la population. Il y a un message dominant qui dit que ces gens mettent en danger la stabilité du système.

Aux Etats-Unis, je crois qu’Edward Snowden est largement considéré comme un traître. Ça reste le même problème d’absences de lobbies citoyens qui, sur tous les plans, pourraient contrebalancer la force du message des autorités.

Au niveau français en revanche, je pense que ces jours-ci, et je ne sais pas combien de temps ça va durer, on est en train de laisser un peu plus la place aux citoyens, quels qu’ils soient.

« Birgitta Jónsdóttir, Edward Snowden et Larry Lessig sont les figures avancées d’un mouvement citoyen qui est absolument mondial »

Réaliser ce documentaire vous a-t-il fait changer de point de vue sur votre conception de la démocratie ?

C’est une bonne question. Ça fait pas mal de temps que je me dis de façon assez paranoïaque qu’on n’est pas en démocratie. Depuis des années, la question sur laquelle je travaille est : « qui gouverne ? ». La grande découverte pour moi en les écoutant, c’est de comprendre à quel point le réveil citoyen est diffus, à quel point c’est en train d’arriver partout. Birgitta Jónsdóttir, Edward Snowden et Larry Lessig sont les figures avancées d’un mouvement citoyen qui est absolument mondial.

J’ai essayé de reproduire cette idée avec les images d’archives à la fin du documentaire.

Le problème, c’est que les journalistes n’en parlent pas suffisamment et qu’on ne fait pas le lien avec tous ces événements. On va traiter ça de manière anecdotique sans y croire. Et c’est ce regard-là qui doit changer.

La journaliste et écrivaine Flore Vasseur ©Hannah Assouline Etoile

On voit en effet dans la conclusion de Meeting Snowden des images de Black Lives Matter aux États-Unis, Nuit Debout en France ou la révolution des parapluies à Hong-Kong. Pourquoi avoir fini avec ces vidéos d’archives ?

Parce que je veux dire que l’histoire n’est pas écrite, qu’elle est en train de se faire et qu’on ne regarde pas au bon endroit. Comme dit dans le film, si vous pensez que vous êtes la solution, vous vous trompez. Alors qu’au contraire, si vous comprenez que vous faites partie d’un mouvement et que l’objectif n’est pas de changer le monde du jour au lendemain, c’est formidable.

Il faut porter sa brique le plus loin possible pour que celui qui arrive derrière puisse le faire à son tour. C’est une espèce de phénomène d’entrainement dont vous n’êtes qu’une partie. Il faut que l’on comprenne que nous ne sommes pas seuls. C’est juste que l’on ne se parle pas et que l’on ne se voie pas. Voilà pourquoi mon documentaire est un message de modestie et d’humilité.

Ce n’est que ça, et c’est pourtant déjà ça.

Et vous n’avez pas peur d’être taxée d’utopiste aux yeux de certains intellectuels ?

Je m’en fiche et je l’assume entièrement. Ce film n‘est pas là pour convaincre les cyniques. Ce n’est même pas une position sur laquelle j’ai envie d’argumenter. Je ne dis pas que j’ai raison mais c’est ce en quoi je crois et ce qui me fait tenir debout.

Meeting Snowden est dédié aux gens qui se lèvent, ce sont eux le nerf de la guerre qui continuent de faire vibrer des sursauts de démocratie.

 

Meeting Snowden, diffusé sur Arte le dimanche 11 juin à minuit et sur Arte Belgique le jeudi 15 juin à 23h45.


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