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Adrienne Charmet : « Les données personnelles ne doivent plus être au cœur du business model »

Adrienne Charmet est membre de La Quadrature du net. Pour cette activiste des Internets, les questions et les enjeux liés au numérique ne sont pas assez présents dans le débat politique.

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Adrienne Charmet, membre de la Quadrature du net. Photo CC by Inria Actus via Flickr

L’association de La Quadrature du net défend de longue date les droits et libertés sur internet et mène un travail de fond auprès des décideurs et des politiques notamment de sensibilisation aux enjeux du numérique.

Elle milite notamment pour le respect de la vie privée et une libre circulation de la connaissance.

Auparavant, Adrienne Charmet avait notamment présidé l’association Wikimedia France. Elle participera à la conférence « Algorithmes et Big data : pour un espace numérique démocratique ! » organisée dans le cadre de l’European Lab qui se tient à Lyon les 25 et 26 mai.

Pour elle, les questions et les enjeux liés au numérique ne sont pas assez présents dans le débat politique.

Adrienne Charmet, membre de la Quadrature du net. Photo CC by Inria Actus via Flickr

Rue89Lyon : Selon vous, que faut-il craindre le plus pour la démocratie : la surveillance de masse ou les entraves à l’accès à l’information sur le net ?

Adrienne Charmet : Le vrai problème démocratique réside dans l’accès à l’information. On n’a pas tous le même internet, en tout cas pas le même accès à l’information. Si on tape la même chose dans Google, vous et moi, nous n’aurons pas les mêmes résultats de recherche.

Ils vont varier selon nos recherches antérieures, notre profil, ce que Google connaît de nous, s’il devine qu’on est un homme ou une femme.

Le grand public n’a pas conscience de ça.

Il y a des enjeux démocratiques directs dans la mesure où l’accès à l’information est dépendant de critères qui ne sont pas objectifs et pas neutres.

« Il ne faut pas laisser Google ou Facebook décider de ce qui est vrai ou faux »

C’est le risque de se faire enfermer dans des « bulles de filtres » ?

Typiquement, oui. Facebook ne présente pas le contenu de façon chronologique mais selon ce qui nous intéresse le plus, qui émane de contacts avec qui on interagit le plus. Si je like un contenu de l’État islamique, petit à petit Facebook va nous enfermer dans ce mode de pensée.

Si je like plus le contenu de mes amis de gauche, je ne verrai plus celui de mes amis de droite.

C’est la question aussi des fake news et de leur viralité. Comment lutter contre ce phénomène ?

Il ne faut pas laisser faire le travail de lutte contre les fake news à Google ou Facebook. Il ne faut pas leur laisser décider ce qui est vrai ou faux. Il ne faut pas déléguer ce travail à des tiers.

Il ne faut pas penser que le monde numérique est déconnecté de ce qui se passe en dehors d’internet. C’est une extension de nos vies. Ce n’est pas parce qu’on est sur internet qu’il faut attendre un outil technique pour lutter contre les fake news.

En vérité, les fake news renvoient à notre rapport à la vérité, à la liberté d’expression. Elles montrent une vraie faiblesse démocratique.

C’est à qui de le faire alors ?

C’est un travail commun entre les producteurs d’informations, les journalistes à travers tout leur travail de démontage des fausses informations et de la justice aussi. Il y a un arsenal juridique qui existe et qui peut permettre de lutter contre ceux qui diffusent de fausses informations. Mais il est peu utilisé ou alors mal adapté au numérique.

« Les données personnelles doivent être moins au cœur du business model »

La surveillance par la collecte d’informations fait peser moins de menaces selon vous ?

Ce n’est pas lié spécifiquement aux algorithmes mais plus à l’explosion des données personnelles qu’on laisse sur internet.

La surveillance de masse fait peser une chape de plomb sur tout le monde et entraîne de l’autocensure. Mais en réalité il n’y a pas vraiment besoin de la mettre en place, le sentiment d’être surveillé suffit.

Elle est une action plus systémique que le contrôle de l’accès à l’information. À plus long terme elle provoque de la méfiance mais le vrai problème démocratique réside dans l’accès à l’information.

Est-ce nécessairement une fatalité que nos données personnelles soient collectées sur le net ?

Beaucoup de gens le perçoivent ainsi.

Pour le traitement et l »utilisation de nos données, il faut une législation très protectrice. Elle doit permettre aux citoyens de choisir s’ils veulent ou non laisser leurs données et le cas échéant quels types de données. Et par défaut, la collecte de données devrait être interdite.

La question derrière la collecte c’est la monétisation et le modèle économique. Si le contenu est gratuit c’est qu’il y a de la publicité ciblée et il faut nécessairement profiler. Si le contenu est payant, pas besoin de collecter les données.

Les données personnelles ne doivent plus être au cœur du business model.

« Plus on laisse de traces sur internet et moins on va avoir de libertés »

Quels sont les enjeux démocratiques liés aux big data  ?

Le big data, ce sont des données agrégées. Leur traitement va permettre de dégager des tendances qui peuvent utiliser pour de la prescription. Là, le danger est plus de l’ordre du déterminisme.

Un exemple : les assureurs. Ils dégagent de l’analyse de données des modèles de risques pour faire évoluer leurs contrats et leurs offres. Disons par exemple qu’ils déterminent qu’à 30 ans il faut faire 5 kilomètres de course par jour : on peut imaginer qu’ils proposent des contrats dans lesquels le client doit porter un bracelet qui mesure son activité. S’il ne court pas 5 km par jour, il présente plus de risques et le montant de son contrat peut alors augmenter.

Le danger c’est que des grands modèles deviennent des normes. Il y a là des risques démocratiques à ce que les collectes de masse de données définissent des normes, qui définissent elles-mêmes comment nous devons nous comporter.

Existe-t-il des usages vertueux de nos données ?

C’est difficile d’en trouver. Certains permettent plus de transparence publique d’autres certaines pratiques notamment dans la santé.  Par exemple, les big data rendent service à l’épidémiologie à court terme mais à long terme seront-elles toujours aussi bénéfiques ?

Globalement, plus on laisse de traces sur internet et moins on va avoir de libertés. Collectons moins de données et donnons le choix de ne pas le faire par défaut.

« Il n’y a pas de politisation des questions liées au numérique »

Les enjeux démocratiques et politiques liés au numérique et aux données sont-ils suffisamment perçus par le grand public ?

La génération de nos parents n’ont reçu aucune éducation numérique. Ils ont appris à se servir d’un ordinateur et d’internet mais ils n’ont pas toujours de culture numérique et peuvent se trouver à relayer des fake news ou des chaînes de mails.

Les 25-40 ans n’ont pas forcément grandi avec internet mais là qu’on trouve les gens les plus concernés par l’utilisation des données et les enjeux du numérique.

Et puis les plus jeunes, eux, ont intégré qu’ils n’avaient plus de vie privée. Au lieu de réclamer la protection de la vie privée ils considèrent qu’ils n’en ont plus. S’ils ne veulent pas que quelque chose soit public, ils ne disent rien sur internet.

Et par le politique ?

Le niveau de compréhension n’est pas bon mais il ne fait que s’améliorer. Dans le débat politique, ce ne sont pas des sujets suffisamment pris en compte. Dans les programmes des candidats à la présidentielle, cette année, il y avait beaucoup de choses sur les start-up et le numérique mais rien sur les données personnelles.

Il n’y a pas de politisation des questions liées au numérique. Nous, à la Quadrature du net et avec d’autres, nous faisons cette démarche politique.

European Lab, les 25 et 26 mai aux Subsistances.


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