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Manger des chats sans le savoir, ou la nourriture en temps de guerre au CHRD

Le CHRD ne pouvait pas trouver titre plus juste pour son exposition sur l’alimentation, pendant brillant à celle consacrée en 2013 à la mode en temps de guerre : Les Jours sans. Vivre, survivre, sans rien ou presque… tel a été le long combat des Français dans une société qui a tout rationné et s’est inventé des ersatz.

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Monceau de rutabagas. DR

Plus qu’à ses traités et ses armes de combat, une guerre se mesure parfois à l’aune de petits bouts de papiers découpés, de quelques légumes revenus du Moyen-Âge et du besoin criant d’une bicyclette. Tout cela figure dans Les Jours sans, illustrant une vie contingentée de 1940 à 1949.

Dans ce lieu-même où Klaus Barbie pratiqua la torture, les panneaux de cette nouvelle exposition sont revêtus de rose et de vert pastel, couleurs des tickets de rationnement visibles d’emblée dans toute leur spectaculaire complexité.

Faire la queue, comme il est montré à l’étage supérieur en introduction, a été le lot quatre heures par jour des ménagères. Derrière cette nécessité, c’est tout un pan de la hiérarchie de la société qui se déploie : la création d’un secrétariat d’État au ravitaillement le 13 août 1940 pour contrôler le circuit du producteur au consommateur, la mise en place de ces tickets le 23 septembre et la catégorisation – E (enfant), J (jeune), A (adulte), T (travailleurs de force), C (travailleur agricole), V (personne âgée).

Les difficultés d’acheminement et d’évaluation de production poussent à une rationalisation extrême et cruelle : les crémiers doivent inventer la mesure du quart de litre quand ils ne connaissaient alors que le demi et il est ordonné aux femmes enceintes bénéficiaires de suppléments alimentaires au 5e mois de rendre leurs tickets restants en cas de fausse-couche.

Dans cette france devenue urbaine en 1931, les ruraux ont le privilège de cultiver leur terre et c’est ainsi que sont mis en place des « colis familiaux » qui n’ont de familiaux que le nom : ce sont en faits des vivres de la terre au prix non réglementé que peuvent acquérir les plus riches habitants des villes. Pour les autres, reste à parcourir de longues distances à vélo pour tenter de quémander un œuf à une tante.

L’une des grandes forces de cette exposition – outre sa pertinence intrinsèque – est d’être reliée aux précédentes qui se sont déroulées : pour illustrer ces campagnes avoisinantes, sont exposées les photographies couleurs de Paul-Émile Nerson vues il y a deux ans. De même que celles en noir et blanc d’Émile Rougé que l’on retrouve dans le parcours permanent ou celles d’André Gamet, dernier témoin photographe de cette guerre disparu le 17 mars dernier.

Loin d’être une anecdote ou pire une redite, ces échos accréditent l’identité, la cohérence et la pertinence de la collection de ce musée.

Rêver la nourriture

Pour contrer ces restrictions, les Français se débrouillent.

C’est alors que les almanachs donnent la méthode pour construire son clapier en ville (la consommation de la viande de lapin prend l’ascendant sur celle du bœuf sous l’Occupation), des jardins ouvriers éclosent à Parilly, Saint-Priest, des champs de patate à la Tête d’Or (pour les Allemands), des magazines féminins expliquent comment cuisiner « avec trois fois rien », des livres s’intitulent 100 recettes nouvelles de miettes de pain, le pâté se fait sans pâté mais avec du viandox, des œufs et des biscottes, un programme officiel d’enseignement ménager est acté en 1941…

La saccharine a remplacé le sucre et puis les familles ressortent ce contenant hérité de la Première Guerre mondiale qu’est la marmite norvégienne, servant à enfermer un plat pré-cuit pour qu’il continue à chauffer sans gaz, sans charbon, sans éléctricité.

En s’asseyant à une table, il est possible d’entendre, en portant un gobelet à son oreille, des témoignages récents de personnes âgées se souvenant avoir « mangé beaucoup de chats sans le savoir. »

Le gaspillage est proscrit, comme l’affirme une affiche, car de là naît « une misère plus grande. » Les enfants, bien conscients de toute cette âpreté comme le montre l’original d’une lettre de Serge Môquet à ses grands-parents, inventent des jeux où le gain fictif est un kilogramme de rutabaga.

Mais surtout, ils sont affaiblis. Pétain ne sait pas protéger la jeunesse. En 1942, les enfant ont perdu 1 à 7 kg, 1 à 5 cm selon leur âge par rapport à 1938.

Nerf de la guerre, la nourriture deviendra même objet des fantasmes de ceux qui en sont privé dans les camps : de très émouvants menus imaginaires sont ainsi composés avec soin à Buchenwald et le peintre Boris Taslitzky a laissé en héritage des figures d’hommes rachitiques cotoyés au camp d’internement de Riom.

Enfin, c’est au gré d’extraits du journal fraîchement découvert de William Brunat, médecin et résistant lyonnais, que se parcourt cette exposition. Il dit le froid, la peur, la faim et « les protestations [qui] redoublent ainsi que les menaces et les dénonciations » contre le régime propagandiste de Vichy. En cette période de guerre, Brunat fait ce constat qui n’a pas pris une ride :

« L’inégalité des ressources entre les individus, les territoires, les villes et les campagnes entraîne un délitement durable du lien social. »

Les Jours sans, alimentation et pénurie en temps de guerre
Au CHRD jusqu’au 28 janvier

>Par Nadja Pobel, sur petit-bulletin.fr.


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