Plusieurs caméras cachées ont été découvertes dans deux magasins et à la direction de la région Est de la branche « proximité » de Carrefour, c’est à dire l’enseigne Dia devenue Carrefour Contact. Pourquoi étaient-elles dissimulées et qui les a ainsi disposées ? Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Vienne.
Le 25 avril 2016, le directeur du magasin Dia des Minguettes, à Vénissieux, constate que le bureau situé à l’arrière a été « visité ». Il décide de regarder les images enregistrées des caméras de vidéosurveillance du magasin. Pour les visionner, il entre le code « maître » qu’il n’a pas utilisé depuis sa récente nomination.
Là, trois nouveaux écrans de vidéosurveillance s’affichent sur le moniteur au lieu des quatre qu’il y aurait dû avoir (correspondant au nombre de caméras déclarées).
Il prévient alors sa direction et le comité d’hygiène, de sécurité et des condition de travail (CHSCT). Quelques heures plus tard, quatre membres du CHSCT arrivent et se mettent à chercher les caméras qui filment « en plus ».
Tous ces employés sont syndiqués à la CGT et la CFTC, tout comme le directeur du magasin, syndiqué à la CFTC.
Comme dans un mauvais film, ils découvrent un véritable dispositif de surveillance :
- Une caméra orientée vers le bureau du directeur du magasin. Cachée au dessus d’un interrupteur.
- Une autre dans le couloir en direction des vestiaires dans un détecteur de présence.
- Une autre encore dans le petit local utilisé pour déposer les recettes du magasin.
Les syndicalistes préviennent alors un de leurs collègues, directeur adjoint d’un autre magasin de Vénissieux, avenue de Pressensé.
Hakim Benkhaled est également syndiqué à la CFTC et aujourd’hui secrétaire du comité d’entreprise. Il nous raconte :
« J’ai regardé dans le bureau de la direction et j’ai vu un point rouge sur un détecteur de mouvement et un fil qui va vers un enregistreur. Il s’agissait en fait d’un faux détecteur de mouvement ».
Des caméras cachées : combien de magasins Carrefour Contact concernés ?
Le directeur du magasin des Minguettes et le directeur adjoint du magasin de l’avenue Pressensé ont porté plainte et saisi l’autorité française de contrôle en matière de protection des données personnelles, la CNIL.
Quant à la direction de Carrefour, sa réaction n’a, pour le moins, pas été à la hauteur de l’enjeu. Contactée par Rue89Lyon, une porte-parole du groupe de grande distribution affirme :
« La direction de Carrefour Proximité a aussitôt régularisé la situation, conformément à la réglementation CNIL en vigueur ».
Ces découvertes de caméras cachées n’ont pourtant entrainé la mise à pied du responsable sécurité que deux jours plus tard. Or Eric P. était la personne en charge de l’installation des caméras de vidéosurveillance dans toute la région Est.
Les syndicalistes en tirent une conclusion : le responsable sécurité a eu le temps de faire le ménage, comme au magasin de Rillieux-la-Pape.
Le 30 avril, en urgence, trois membres du CHSCT se sont rendus au magasin de Rillieux-la-Pape où ils soupçonnaient la présence de caméras cachées. Ils ont vérifié les images des caméras de vidéosurveillance et ils se sont aperçus que trois heures après avoir alerté sur la présence de caméras espion, une délégation composée du Responsable Sécurité, Eric P., et de quatre autres personnes ont effectué des opérations dans le faux plafond.
Nicolas Thomas, secrétaire du comité d’entreprise (CFTC), au moment des faits, raconte :
« On a trouvé à Rillieux les mêmes branchements qu’à Vénissieux-Minguettes. On ne peut pas l’affirmer mais on est quasiment sûr qu’il y avait également des caméras cachées dans ce magasin ».
Un audit interne (que nous avons pu consulter) a rapidement été effectué les 9 et 10 mai 2016 dans un échantillon de dix magasins Carrefour Contact de la région Est.
C’est le responsable sécurité de la région Auvergne qui a réalisé l’audit. Il note pour le magasin de Rillieux qu’« aucun élément ne permet d’affirmer qu’un aménagement de caméras pirates ait été monté ». Pour les autres magasins qu’il a visités, la conclusion est toujours du même acabit. Même pour le magasin de Pierre-Bénite où, pourtant, le responsable du site pense le contraire, comme le relève celui qui a rédigé l’audit :
« Nous constatons la présence de quatre emplacements de caméras débranchées. Le responsable du site qui ne possède pas le code maître soupçonne qu’il s’agissait de caméras illicites. Mais ses dires sont à relativiser. Effectivement comme les autres responsables de la région lyonnaise, cette personne est au fait des agissements de Mr P. et de sa mise à pied ».
Le directeur de la sécurité, un fusible idéal ?
Le responsable sécurité de la région Est de Carrefour Proximité, Eric P., a été licencié le 30 mai 2016.
Dans la lettre de licenciement que nous reproduisons, on lui reproche les installations des caméras cachées dans les deux magasins de Vénissieux mais aussi de deux caméras dans les locaux de la direction régionale, à Saint-Quentin-Fallavier, dans le Nord Isère.
Lettre de licenciement du responsable sécurité de Carrefour proximité
Une caméra cachée filmait dans le couloir où se situe la machine à café et un autre était pointée vers le parking.
« En réunion, on nous a appris que ces caméras avaient été installées à la demande du directeur régional qui avait perdu ses clés », explique Nicolas Thomas de la CFTC. Celui-ci a beaucoup de mal à croire à cette justification.
Un an après leurs découvertes, les syndicalistes de la CFTC (première organisation syndicale de la région Est) se demandent toujours pourquoi ces caméras ont été installées.
Mais, pour eux, une chose est sûre : la thèse de l’acte isolée soutenu auprès d’eux par Carrefour ne tient pas.
Pour deux raisons :
- Le responsable sécurité a été licencié uniquement pour « faute » alors qu’il aurait pu être licencié pour « faute grave ou lourde », au vu des faits. La direction de Carrefour a été relativement clémente avec lui, alors que le « lanceur d’alerte », le directeur du magasin de Vénissieux-Minguettes, a reçu un avertissement.
- Dans la lettre de licenciement, la direction de Carrefour affirme pour les caméras du magasin de Minguettes qu’Eric P. a « dissimulé la commande de caméras cachées sous une fausse appellation ». Mais cet argument ne convainc pas les syndicalistes qui rappellent qu’« au-dessus de 200 euros, il faut deux signatures pour faire un achat ». Un plafond largement dépassé par le responsable sécurité qui a dû faire appel à des prestataires techniques pour installer ces caméras espionnes.
Une expertise qui passe mal chez Carrefour
Pour tirer cette affaire au clair, les membres du CHSCT ont commencé à enquêter eux-mêmes, en débarquant dans les magasins. Au vu de la tâche à accomplir et de leurs limites en matière de compétence technique, ils ont voulu nommer un expert, comme la loi les y autorise dans certaines conditions.
Mais la direction de Carrefour s’y est opposée. L’affaire a été portée devant le tribunal de grande instance de Vienne (compétent au regard de l’adresse du siège social) qui a donné raison à Carrefour.
En réunion de CHSCT, la direction met en avant l’existence de deux expertises que Carrefour a commandées, l’une faite en interne en mai (dont les syndicalistes ont eu connaissance) et une autre réalisée quelques mois plus tard par le cabinet Veritas. Mais celle-ci n’a pas été transmise aux représentants du personnel.
Cette expertise voulue par le CHSCT aurait pu déterminer s’il y avait eu d’autres caméras cachées et, peut-être, comprendre les objectifs poursuivis.
Les syndicalistes en sont réduits à avancer des hypothèses. Nicolas Thomas affirme :
« Les caméras ont été principalement installées dans les bureaux et vers la machine à café (à la direction régionale) pour surveiller des syndicalistes ».
Autre hypothèse : ces caméras situées dans lieux où se manipulait de l’argent auraient été installées pour « confondre d’éventuels voleurs ». Même si les images (illégales) n’auraient pu figurer dans une procédure de licenciement. Elles auraient pu être utilisées « pour faire pression ».
Ouverture d’une enquête préliminaire
Contacté par Rue89Lyon, le procureur de la République de Vienne nous apprend qu’une enquête préliminaire est en cours. Comme le rappelle la CNIL, des caméras sur le lieu de travail doivent être évidemment connues, notamment via une information des représentants du personnel. Elles doivent être déclarées à la CNIL et à la préfecture s’il s’agit d’un lieu ouvert au public. Surtout, sauf exception, elles ne doivent pas filmer les employés sur leur poste de travail.
Également contactée par Rue89Lyon, la CNIL n’a pour le moment pas encore statué sur cette affaire. Il sera difficile d’en savoir plus. Une porte-parole du groupe Carrefour nous explique que les caméras ont été installées avant le rachat des magasins français de l’enseigne Dia en décembre 2014 et impute la responsabilité de ces « dysfonctionnements » à la direction espagnole de l’époque.
S’il l’on en croit la lettre de licenciement, la plupart des caméras auraient effectivement été installées avant le rachat. Mais pour au moins un magasin, celui de Vénissieux-Pressensé, une caméra a été installée en juin 2015, six mois après le rachat.
Et malgré ledit rachat, les « dysfonctionnements » semblent avoir perduré.
En janvier 2006, France 3 (l’émission Pièces à convictions) et l’Humanité avaient révélé certaines méthodes de surveillance des salariés travaillant dans les supermarchés Carrefour. Parmi les techniques utilisées, des caméras cachées.
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