Dans la sixième chambre correctionnelle du TGI de Lyon, l’audience de 14 heures débute avec un peu de retard. Les longs bancs sont clairsemés. Seuls quelques proches venus assister aux procès qui se dérouleront jusqu’au soir. Le premier dossier est celui de Monsieur G. Une veste gris-taupe cintrée à sa large carrure, à 27 ans il est jugé pour homicide involontaire.
Le 30 juin 2014, à moto, il a renversé un homme de 89 ans, mort sur le coup.
Ce genre de dossiers, le tribunal correctionnel de Lyon en voit passer chaque jour. Il constitue le lot des affaires dramatiques mais ordinaires de la justice pénale. Pourtant, ce jour là, l’audience prend rapidement une tournure différente.
Avant même de rappeler les circonstances de l’accident, la présidente de séance, Madame Mazaud, prend la parole pour expliquer :
« Il s’agit aujourd’hui d’une affaire un peu particulière car, avant le procès, une rencontre a été proposée à l’auteur des faits, et à la victime ; ce dossier a fait l’oeuvre d’une expérimentation de justice restaurative ».
En effet depuis le 1er mars 2016, une expérience inédite en France a été mise en place à Lyon. Encadrées par des avocats honoraires réunis au sein de l’association Avhonor, des rencontres sont organisées en pré-sentenciel – c’est à dire avant le procès – pour que victime et accusé puissent discuter en face à face.
« Nous avons créé cette association en rébellion à ce qui se passait jusque là, car malgré la loi d’août 2014, il n’existait rien en pré-sentenciel », explique Alain Aucoin, président de l’association.
Comme une surprise et sans grand bruit, la loi du 15 août 2014 avait en effet introduit l’article 10-1 disposant que
« À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative ».
Si, en France, des rencontres ont effectivement déjà eu lieu une fois le procès terminé et le jugement définitif, soit en post-sentenciel, Lyon est la première ville à expérimenter la justice restaurative avant le procès, sur le modèle de la Belgique où elle est appelée « médiation réparatrice » et mise en place depuis une dizaine d’années déjà.
Alain Aucoin, ancien avocat pénaliste au barreau de Lyon, explique :
« Il fallait alors des tiers “indépendants”, comme le prévoit la loi, c’est pour ça que nous nous sommes portés volontaires. En tant qu’anciens avocats, il n’y a aucun conflit d’intérêts ni accointance, comme pourraient l’avoir un juge ou le membre d’une association qui défend forcément un intérêt particulier, même s’il est formé ».
« Aujourd’hui, le système est abrupt et punitif »
La justice restaurative doit permettre, sur le papier, une « autre vision », plus inclusive et moins binaire que ce à quoi ouvre le système pénal actuel. Outre les deux parties – accusation et défense, ou “infracteurs et victimes” pour reprendre le vocable de la justice restaurative – la société civile a également un rôle à jouer.
L’objectif n’est plus simplement la réparation matérielle d’un conflit et la punition d’un coupable, mais la « restauration d’une harmonie sociale ». Grande ambition, que défend Alain Aucoin :
« En matière de justice, il ne doit pas y avoir qu’un intérêt à défendre. L’objectif, c’est l’intérêt général. Or aujourd’hui, le système est abrupt et punitif. La justice restaurative, c’est le début d’une justice collective plutôt que punitive ».
Lors d’un procès, aucun temps n’est prévu pour permettre l’échange et le dialogue entre les deux parties qui sont placées dans une dualité indépassable d’accusation et de défense.
« La justice telle qu’on la connaît est bien souvent capable de confisquer la parole. Le moment du procès peut-être très frustrant notamment pour les victimes », ajoute Laurence Junod-Fanget, bâtonnière de l’Ordre des avocats de Lyon.
L’objectif des rencontres en amont du procès est bien de répondre à une double nécessité : apaiser les victimes et responsabiliser les auteurs en leur faisant prendre conscience de leur acte et ses conséquences.
En d’autres termes, apporter des réponses qu’un procès laisse en suspens, des deux côtés. Et si les rencontres peuvent aller jusqu’à l’établissement d’un accord, Madame Mazaud insiste :
« L’indemnisation n’est pas le but premier de la mesure. Elle ne doit surtout pas venir contrarier l’objectif principal qui est la discussion, l’explication en face à face ».
Toutes les infractions considérées : vols, agressions sexuelles…
A Lyon, les rendez-vous avec les avocats honoraires se déroulent dans un lieu censé être neutre : au sein du palais de justice, mais dans la bibliothèque des avocats et des magistrats. Pour chaque dossier, le tiers indépendant rencontre d’abord l’infracteur, puis la victime. Ensuite seulement, si les deux sont d’accord, ils se rencontrent en face à face.
Pas de restriction liée au type d’infraction commise. Tous les dossiers susceptibles de passer devant la chambre correctionnelle sont étudiés : vols, agressions sexuelles, coups et blessures volontaires ou homicides involontaires…
Mais plusieurs conditions doivent être respectées pour que les rencontres aient lieu.
- Tout d’abord, les faits doivent-être reconnus par l’accusé.
- Il faut ensuite accepter de discuter avec le tiers indépendant, et surtout victimes et auteurs doivent être respectivement volontaires pour rencontrer l’autre.
Or c’est là que le bât blesse. Sur les 15 dossiers sélectionnés entre les mois de mars et octobre, seuls deux avaient débouché sur des rencontres directes. Les autres n’étaient pas allés plus loin que la rencontre préliminaire individuelle avec l’avocat honoraire. En cause, la plupart du temps, la réticence des personnes victimes à rencontrer leur agresseur.
Mais pour la bâtonnière, cette première rencontre est déjà un grand pas :
« Pour la première fois, ils peuvent s’exprimer dans un lieu confidentiel, sans qu’il y ait aucun procès verbal de dressé ni de conséquence judiciaire. C’est énorme ».
« Je voulais pouvoir lui présenter mes excuses »
Dans la chambre n°6 du palais de justice ce 13 octobre, Monsieur G explique avoir tout de suite accepté la rencontre et demandé à rencontrer l’épouse de la victime. C’est cette dernière qui n’a pas souhaité participer à la démarche, à cause de son âge avancé et d’un problème de surdité.
Malgré tout, le jeune homme raconte que l’entretien avec l’avocat honoraire lui a permis d’arriver beaucoup plus sereinement à l’audience.
« Cela m’a permis d’éclaircir certains points, de me préparer pour le procès, même si ça reste très compliqué comme moment », lâche Monsieur G.
Il ajoute, à la demande de la présidente du tribunal :
« Je voulais pouvoir lui présenter mes excuses, peut-être lui demander pardon. En tous cas, essayer d’apporter des explications. Et puis moi, de mon côté, ça m’aurait permis d’avancer également ».
Il parle avec assurance mais sa voix est basse. Pour s’adresser à la victime, plutôt que de hausser le ton, il préfère lui écrire un mot sur un bout de papier que lui tend la greffière.
« La seule chose que je peux dire c’est que je suis désolé et que je n’ai jamais souhaité cela ».
La situation est inédite. Il essaye de retrouver l’intimité de la rencontre organisée quelques jours auparavant dans la bibliothèque des avocats. Mais la salle d’audience ne s’y prête pas, la réponse de la victime cingle :
« Lui n’a peut-être pas voulu mais, moi, mon mari est mort ».
Si la communication est impossible, comme dans une majorité des procès, le caractère inédit de l’audience tient à la réaction des avocats de la défense et de la partie civile elle-même. Dans son plaidoyer, loin de la vindicte, l’avocat de la victime conclut :
« Étant donnée l’hostilité de Madame N, je pense que la justice restaurative l’aurait aidée à avancer, et à mieux accepter. Elle souffre aujourd’hui d’une terrible rancœur, cette femme qui a perdu son mari après 57 ans de mariage. Il me semble qu’il aurait été vraiment utile que Madame N s’ouvre et se défasse de sa douleur ».
« Le procès n’est pas toujours la meilleure réponse »
Ancien président du TGI de Lyon, Paul-André Breton a participé à insuffler cette nouvelle philosophie pénale. S’il n’a pas assisté à la mise en place effective du projet lyonnais, il a demandé la réorganisation du tribunal et ainsi donné une orientation volontaire à l’expérimentation.
Si aujourd’hui le projet est porté par des avocats honoraires, les juges ont un rôle de premier ordre à jouer, les rencontres étant nécessairement proposées par le magistrat en charge du dossier. Il lui revient de décider si une procédure de justice restaurative est souhaitable, en accord avec le parquet.
Ce dernier point est essentiel, note Paul-André Breton :
« Il faut associer le procureur car si le parquet ne s’intéresse qu’à une répression “féroce”, il n’y aura jamais la place pour une autre démarche. Il s’agit de chercher la manière dont on peut améliorer la qualité de la réponse judiciaire, en sortant des schémas classiques de la justice répressive ».
Il s’agit donc de « changer les mentalités petit à petit », d’accepter de prendre plus de temps en amont, avec l’accusé tout comme avec la victime.
Aujourd’hui magistrat à Rouen, Paul-André Breton tente d’ailleurs de s’inspirer de l’expérimentation lyonnaise mais il doit bien reconnaître que la majorité des magistrats reste encore sinon réticente, du moins trop peu informée :
« Les professionnels recherchent la sécurité, ils tournent sur des procédures qu’ils connaissent, c’est comme dans le code pénal : il y a je ne sais combien de milliers d’incriminations mais l’ensemble des parquets tourne sur 300 ou 400 ».
L’objectif, pour Paul-André Breton, n’est pas de remplacer le système actuel, mais de le compléter, de rendre la réponse plus adéquate. Une idée partagée par Me Junod-Fanget :
« L’évolution qu’on prend avec la justice restaurative va de pair avec l’enseignement qu’on cherche à transmettre aux futurs avocats : plus de communication, de médiation, d’écoute. On apprend à considérer que le procès n’est pas toujours et systématiquement la meilleure réponse ».
Beaucoup de pédagogie reste à faire sur le sujet. La bâtonnière est optimiste : elle assure que plusieurs barreaux en France se sont déja montrés intéressés par le déroulement de l’expérience lyonnaise.
Un bilan sera dressé dans le courant du premier semestre 2017, afin de savoir si l’expérimentation se transformera en véritable projet de juridiction.
L’évaluation devrait porter sur plusieurs éléments : le point de vue des juges et avocats ; les témoignages des participants ; ainsi que sur le temps passé à l’audience. Si celles-ci sont plus rapides, c’est un point positif qui pèsera dans la balance reconnaît Laurence Junod-Fanget.
« Il y a bien sûr un intérêt très pragmatique. On peut gagner du temps et rendre la peine plus efficace ».
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