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La crise de l’hébergement d’urgence à Lyon 2/2 : apprendre des succès et des échecs de nos voisins européens

Lyon, comme le reste de la France, s’est enfoncé dans une gestion humanitaire des sans-abri et de l’hébergement d’urgence. Le problème se régénère à mesure qu’on le résout. Pourtant, les exemples de nos voisins européens montrent qu’il n’y a pas de fatalité.

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La crise de l’hébergement d’urgence à Lyon 2/2 : apprendre des succès et des échecs de nos voisins européens

La situation est difficile partout, mais les pays qui ont décidé de ne pas lâcher parviennent à relever le défi. Ceux qui ont laissé le filet de solidarité s’effilocher se retrouvent dépassés, voire dépouillés de morale démocratique. A nous de savoir ce que nous voulons et d’être capables d’apprendre de l’expérience des autres.

Les sans-abri plus nombreux partout… ou presque.

Les méthodes de recensement varient trop selon les pays pour présenter un chiffre d’ensemble. Seule certitude, la France, confrontée à une augmentation du nombre de sans-abri, est dans une situation tristement banale. Les données de l’INSEE témoignent d’une augmentation de 50% entre 2001 et 2012, et un quasi doublement à Paris au cours de la même période.

Les évolutions sont globalement comparables en Europe. Les pays de l’Est et du Sud concentrent les plus forts taux de mal-logement. Mais la privation de logement est un phénomène nouveau, en croissance rapide depuis la la crise de 2008, notamment en Grèce et en Hongrie. D’autres pays ont connu des réformes de leur système de protection sociale et d’aides au logement qui ont fragilisé la frange la plus précaire de la population, comme l’Angleterre ou le Danemark.

Seuls à connaître une diminution du nombre des sans-abri, les pays historiquement les plus attachés au droit au logement : la Finlande et l’Ecosse.

1. Finlande : l’amélioration permanente des politiques publiques

La Finlande est un pays dépassionné, en matière de politiques publiques. On se donne des objectifs mesurables, on regarde ce qui marche ailleurs, on l’essaie, on regarde calmement ce qui a bien fonctionné, ce qui peut être amélioré, et on retourne voir ailleurs, ainsi de suite.

La Finlande s’est ainsi donnée un plan de quatre ans Paavo (2008-2011), qui visait entre autres
à diviser le nombre de sans-abri par deux à Helsinki. Aux dispositifs de prévention, qui ont par exemple permis d’éviter 280 expulsions, ont été ajoutées des solutions supplémentaires et originales : 1250 places dans des logements accompagnés, en centres de soins, etc (dans une ville de 600 000 habitants, la moitié de l’agglomération lyonnaise).

Objectif atteint, les autorités finlandaises ont fait réaliser une évaluation sur la base d’une comparaison internationale et se sont attelées à un programme Paavo II (2011-2014), qui visait cette fois à répondre à toute personne sans abri, à travers la transformation de l’hébergement provisoire en logement durable accompagné et en assouplissant les formes d’accompagnement social, pour les adapter à la diversité des solutions de logement et à la mobilité des personnes. Cet objectif s’accompagnait de mesures préventive, à la fois pour détendre le marché du logement (à travers un conventionnement : travaux subventionnés contre tarif social), la production de logement social, etc.

La Finlande a réussi à résorber le mal-logement et à répondre aux besoins des personnes à la rue avec des outils qui existent aussi en France. Ce qui la distingue, c’est une animation des politiques publiques coordonnée, le courage de faire évoluer les métiers et la volonté de chercher les solutions les plus adaptées :

  • Les malades mentaux sont logés dans des logements ordinaires avec une aide médicale et sociale, pas dans des centres provisoires visant à une insertion pensée comme accès à la norme.
  • Les migrants primo-arrivants, trois fois plus nombreux qu’en France rapportés à la population (32 000 demandeurs d’asile en 2015), ont accès à d’autres services que les personnes en situation d’exclusion sociale.

A besoins différents, réponses différentes, mais jamais enfermantes : toute personne évolue, ses besoins aussi, personne n’est assigné à une caractéristique.
Bien sûr, les soubresauts de l’époque ont fait émerger brusquement des besoins inattendus, mais les temples protestants se sont ouverts le temps de trouver des solutions et dans ce pays où la demande diminue, les dépenses peuvent être mieux focalisées pour répondre à ces émergences.

La situation est actuellement stabilisée. Il ne reste que quelques rares centres d’hébergement d’urgence, pour répondre aux besoins immédiats et des accueils de jour diurnes et nocturnes, pour ceux qui ont besoin de ces lieux, même s’ils sont logés. Le nouveau plan de lutte contre le mal-logement peut se focaliser sur la prévention du sans-abrisme et la prévention de la chronicisation des difficultés.

2. Ecosse : l’autre pays du Dalo

La région qui a inventé avec succès le Droit au logement opposable dispose d’une large autonomie politique et financière par rapport au pouvoir central de Londres, en matière de politiques de l’habitat.
La solidarité repose beaucoup sur les collectivités locales.

Celles-ci possèdent près de 20% du parc total de logements, mais elles disposent en plus d’une possibilité d’influencer sur les attributions du parc privé : pour louer un logement, tout bailleur doit l’inscrire sur un registre, une sorte de catalogue d’agence immobilière, recensant tous les logements à louer.
La mairie dispose du droit de proposer un candidat sur ces logements. Le niveau municipal est donc logiquement responsable du droit au logement, depuis le Homelessness Act de 2003. Une personne reconnue mal-logée, qui n’obtiendrait pas de logement malgré sa demande, peut mettre en cause la responsabilité de la mairie devant le juge.

Un accent est par ailleurs mis sur la prévention : lorsqu’un ménage rencontre des difficultés dans son logement, il est d’abord aidé. Si les difficultés persistent, une association devient locataire principale de son logement, si cela persiste encore, le ménage est placé sous une forme de tutelle. L’Ecosse a ainsi à peu près abandonné les expulsions.

Lorsqu’une personne dysfonctionne avec son voisinage, on ne se contente pas de la déplacer pour la laisser dysfonctionner ailleurs, on l’aide à passer moins de temps à la maison, à retrouver des relations sociales ordinaires, on la soigne au besoin, on y consacre du temps.

Enfin, une sorte de comité d’appui itinérant créé par le Homelessness Act, composé de bailleurs, de politiques, d’associations, de représentants de mal-logés, fait le tour des villes, pour observer ce qui fonctionne et ce qui marche moins bien, pour essayer d’apporter de l’aide, mobiliser des moyens complémentaires, donner des exemples de ce qui se fait ailleurs. Comme en Finlande, cette approche d’amélioration permanente des dispositifs publics est déterminante dans la réduction du nombre de sans-abri.

Une personne privée de logement doit se faire reconnaître sur un registre des sans-domicile, auprès de n’importe quel service ou en ligne. Elle peut avoir accès à des dispositifs temporaires ou des logements durables. La fluidité des dispositifs temporaires, garantie par les mécanismes d’attribution municipaux, est la condition pour demeurer toujours en situation de répondre aux besoins. Parallèlement, la possibilité de solutions durables oriente vers les solutions temporaires, ceux qui ont vraiment besoin de ce type de réponse et sont demandeurs d’en sortir ensuite.

3. Autriche : le bon élève viennois

A Vienne, les logements sociaux représentent 25% du parc total, ce qui offre des marges de manoeuvre à la puissance publique.
Un service de prévention multi-forme, le Bawo, résout les problèmes, anticipe les expulsions, au point qu’elles ont à peu près disparu en Autriche, permettant aux dispositifs de solidarité de se focaliser sur d’autres enjeux. Le nombre de sans-abri a augmenté au cours des années passées, mais faiblement au regard des soubresauts qui ont traversé ce petit pays.

La crise migratoire a même été gérée de façon constructive : lorsqu’en 2015, 800 000 personnes sont passées par Vienne (soit la moitié de la population de la Ville), le Maire a donné deux jours de congés supplémentaires à tout fonctionnaire qui souhaiterait apporter son aide. Une application a été immédiatement créée pour signaler les besoins et les réponses disponibles : ici du lait, là des couches, des lits de camps.

Toutes les administrations ont été mobilisées, l’armée, la sécurité civile. Evidemment le résultat n’était pas complètement satisfaisant, mais quand la France se noie dans un verre d’eau à l’arrivée de 80 000 réfugiés, un pays sept fois plus petit a montré qu’il pouvait en accueillir dix fois plus avec sang froid, grâce entre autres à l’organisation des bonnes volontés.

homeless

4. Les mauvais résultats des réformes néo-libérales en Angleterre

L’Angleterre s’enfonce dans une crise du logement et de l’hébergement inédite. En un an le Royaume-Uni a perdu 8 places dans l’Index Européen du Mal-Logement, pour se retrouver à une bien peu glorieuse 20ème place, entre la Pologne et la Slovaquie (et malgré l’Ecosse, qui tire le pays vers le haut…).

Que s’est-il passé ? D’une part, la construction publique, puis la construction privée se sont effondrées depuis les années 1980 et sont restées à des niveaux faibles rapportés à la taille du pays. Le stock de logements est dans l’ensemble de mauvaise qualité.

Par ailleurs, l’Angleterre a connu des migrations internes très importantes, depuis les villes industrielles du nord, vers Londres et l’embouchure de la Tamise. Cela a complètement destabilisé les marchés. C’est une leçon importante pour la France : l’aménagement du territoire et l’équilibre entre les villes est une clé essentielle de la crise du logement. Dans le même temps, de nombreux logements sociaux ont été vendus à leurs occupants dans le cadre du « right to buy ».

C’est également une idée à la mode en France : un bailleur social apporte environ 1/5ème de fonds propres dans la construction de nouveaux logements, donc à chaque fois qu’il en vend un à ses habitants, il pourrait en construire cinq neufs. Sauf que l’exemple anglais montre que la vente accentue la ghettoïsation du parc social, fragilise les accédants à la propriété, trop modestes pour payer la maintenance des immeubles, et réduit le nombre d’attributions annuelles possibles.

Enfin, la fragilisation du statut de locataire et la réduction des allocations logement, également envisagée en France, à la fois par restriction de l’assiette et par une pénalité de sous-occupation prélevée sur les allocations logement (bedroom tax), n’ont pas donné les résultats escomptés : le marché du travail et le stock de logement étant ce qu’ils sont, les ménages n’ont pu ni déménager, ni augmenter leurs revenus, les expulsions de sont multipliées.

Le nombre de sans-abri a littéralement explosé dans le sud de l’Angleterre (+30% de sans-abri entre 2014 et 2015, et encore de 6% en 2016, après plusieurs années de stabilité, voire de baisse). Le niveau des personnes en hébergement temporaire est au plus haut depuis 2008. Au Pays de Galles, le nombre de sans-abri aurait augmenté de +30% entre 2015 et 2016. Au point que Theresa May, qui ne peut pas être suspectée de sympathie excessive pour l’Etat-providence, vient d’annoncer une augmentation significative des dépenses sociales pour faire face à la crise. Les réformes visant à réduire les dépenses de l’Etat ont conduit à une crise sociale qui le conduit à les augmenter…

5. Hongrie : la tentation du pire

Le pire des pays européens en matière de politique à l’égard des sans-abri est sans conteste la Hongrie. Le gouvernement de Viktor Orbana introduit une modification de la Constitution pour permettre aux maires d’interdire « l’utilisation abusive de l’espace public », porte ouverte à l’arrestation des indésirables, notamment les sans-abri et les personnes souffrant de troubles mentaux.

Par ailleurs, certains quartiers roms ont été dissous administrativement : les rues n’existent plus, impossible d’inscrire les enfants à l’école, de prendre un abonnement d’électricité, de voter, sans « domicile » reconnu administrativement. Une partie des personnes concernée vit désormais dans les bois, à la lisière des grandes villes, dans des conditions de dénuement particulièrement insupportables.

Mais le diable n’offre jamais uniquement une figure horrible : le même gouvernement a protégé les classes populaires, en imposant une baisse du prix de l’eau et de l’électricité, en faisant payer les banques pour certains excès sur les prêts immobiliers, en améliorant les centre-villes. Il satisfait la majorité et sacrifie les marges, et c’est le seul gouvernement à avoir connu une amélioration de ses scores électoraux depuis la crise.

C’est dangereux, car la déshumanisation des enjeux, bien engagée avec la question des réfugiés, peut rapidement s’avérer contagieuse. La France ne peut pas penser uniquement ses politiques, mais doit contribuer à définir les frontières de l’inacceptable, dans la construction de la maison commune européenne.

> Lire le premier volet : La crise de l’hébergement d’urgence à Lyon : cette dérive humanitaire inexorable et inutile


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